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MAUSOLE.

Aristote [1], vous y verrez que si d’un côté la cour de Perse taxait Mausole à de grosses sommes, il savoit de l’autre faire tomber ailleurs cette charge pour son dédommagement, et avec usure. Il était en cela plus injuste que ne le sont les gros partisans, lorsque, après avoir été taxés, ils se font livrer leurs subalternes. Vous verrez de plus, dans Aristote, que, sous ce roi de Carie, on sut habilement profiter de l’inclination des Lyciens à porter de longs cheveux. On imagina une espèce de maltote qui fut extrêmement lucrative. Voyez aussi ce que je cite d’Aristote dans la remarque (E).

(C) Il s’engageait pour de l’argent à toutes sortes de mauvaises actions. ] Voici les paroles d’Harpocration copiées par Suidas : Φησὶ δὲ αὺτον Θεόπομπος μηδενὸς ἀπέχεσθαι πράγματος χρημάτων ἕνεκα, de quo Theopompus scribit eum à nullo facinore pecuniæ causâ sibi temperâsse [* 1]. Sans doute c’est des histoires de Théopompe que ces paroles sont tirées. Il n’eut garde de parler ainsi dans l’éloge de ce prince, dans l’éloge, dis-je, qui gagna le prix qu’Artémise avait donné à disputer aux orateurs qui voudraient faire le panégyrique de son époux. On peut être très-certain que Théopompe fit alors de notre Mausole un prince achevé, et qu’il le combla de toutes sortes de vertus ; et puis voilà ce qu’il en a dit dans un autre livre. Cette duplicité de langue et de plume ne vaut rien. Tout doit être suspect dans des gens qui se divisent en deux personnages, et qui se croient permis, quand ils se considèrent comme orateurs, les mêmes mensonges qu’ils ne voudraient point adopter quand ils composent une histoire qui n’a pas été mise à prix. Cette distinction est un franc sophisme, et n’est pas meilleure que celle avec quoi l’on veut sauver l’honneur de Procope. Un auteur d’anecdotes et un auteur d’histoire sont responsables solidairement et par indivis de tout ce qui sort de leur plume, quand ils ne sont qu’un même écrivain. Au reste, quoique Vitruve parle plutôt à l’avantage qu’au désavantage de Mausole, on ne laisse pas d’entrevoir dans ses paroles les extorsions de ce prince [2]. Il loue la magnificence et le bon goût de ses bâtimens, et les grandes commodités qu’on y pratiqua.

(D) Il fut fort mêlé dans la guerre qu’on appela Sociale. ] MM. Moréri et Hofman se sont faussement imaginé qu’il y a eu deux Mausoles, et que celui qui eut part à la guerre Sociale n’était point le même que le mari d’Artémise, enterré dans le mausolée. S’ils avaient pris la peine de consulter les originaux, ils n’eussent fait qu’un article qui eût été pour ce mari, et qui aurait pu être assez plein indépendamment de sa femme.

(E) Il avait eu des prédécesseurs dont nous connaissons le nom. ] Nous lisons dans Suidas [3], que Lygdamis, contemporain d’Hérodote, était le troisième tyran d’Halicarnasse depuis Artémise. Or quoique Hérodote ne dise pas que Lygdamis, père d’Artémise avait été roi d’Halicarnasse, il y a pourtant beaucoup d’apparence qu’elle était fille de roi, et veuve de roi. On peut donc remonter jusques à son père, qui, pour le moins, selon le témoignage d’Hérodote [4], demeurait dans Halicarnasse. Elle eut un fils nommé Pisindèle, duquel le fils fut un autre Lygdamis qui chassa d’Halicarnasse Hérodote. Celui-ci y retourna, et en chassa le tyran [5]. Il est fort vraisemblable que Lygdamis second du nom, fut suivi immédiatement par Hécatomne, duquel les trois fils, Mausole, Idriée, et Pexodare, ont régné successivement dans la Carie, (voyez l’article d’Ada) ; mais il n’est pas certain qu’Hécatomne ait été fils de Lygdamis. Que sait-on si Lygdamis, chassé par Hérodote, recouvra son poste ? Que sait-on si Hécatomne ne s’établit point par voie d’usurpation, sans être parent de Lygdamis ? Une chose sait-on bien, c’est qu’il était de Mylasse [6], et qu’il y établit le siége

  1. * Suidas, in Μαύσωλος.
  1. Aristot., Œconom., lib. II.
  2. Halycarnassi potentissimi regis Mausoli domus... parietes habet latere structos qui ad hoc tempus egregiam præstant firmitatem... neque is rex ab inopuâ hoc fecit, infinitis enim vectigalibus erat farctus, quòd imperabat Cariæ toti. Vitruv., de Archit., lib. II, c. VIII.
  3. Suidas, in Ἠρόδοτος.
  4. Herod., lib. VII, cap. XCIX.
  5. Suidas, in Ἠρόδοτος.
  6. Strab., lib. XIV, pag. 453.