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MAROT.

très-pernicieuse, et qui ne mériterait pas que des gens de bien au fond du cœur la considérassent comme une règle. Mais quoi ! il en va de ceci comme de la démangeaison des bons mots : aucune considération ne la peut brider [1] ; et lorsqu’un poëte se voit en état de faire merveille dans une épigramme, pourvu qu’il y fasse entrer quelques pensées obscènes, il quitte en faveur de son esprit les sentimens de son cœur. Des Accords en usa de cette manière. J’eusse volontiers, dit-il, retranché mes fescennines libertés de cet âge-là ; mais, puisque la pierre est jetée, il n’y a plus de remède : je n’excuserai par ce distique, que j’ai donné à un docte et sévère sénateur de notre parlement de Dijon, avec le livre,

Putidulum scriptoris opus ne despice, namque
Si lasciva legis, ingeniosa leges.


Et à la vérité, c’est chose vraie que je ne me suis jamais plu d’être vu ingénieux pour être lascif, mais j’ai été lascif seulement pour être ingénieux [2]. De tels écrivains peuvent trouver leur leçon dans ce dernier vers d’une épigramme de Martial [3],

Tanti non erat esse te disertum.


Leçon qu’il donnait aux autres, et dont il avait besoin lui-même autant que personne, et qu’il ne pratiquait pas. Revenons à Marot, pour dire que, selon toutes les apparences, son cœur s’accordait avec son esprit ; mais, quoi qu’il en soit, il ne tournait pas mal ces sortes de vers. Son épigramme d’une Épousée Farouche a paru digne à M. Ménage d’être insérée presque toute entière dans l’endroit de ses observations où il veut prouver que l’on disait autrefois j’ai mors, pour j’ai mordu [4].

(N) Je rapporterai quelques faits curieux touchant la version de L psaumes de David. ] Florimond de Rémond [5] assure que Marot, après son retour de Ferrare en France, fut exhorté par Vatable à mettre les psaumes de David en vers français, et qu’ayant suivi ce conseil, il publia la version de trente psaumes, et la dédia à Francois Ier. Elle fut censurée par la faculté de théologie de Paris, qui de plus fit des remontrances et des plaintes à ce monarque. « Le roi, qui aimoyt Marot pour la beauté de son esprit, usa de remises, monstrant avoir veu de bon œil les premiers traicts, et desirer la suite du reste. C’est pourquoy le poëte luy envoya cette épigramme.

» Puisque voulez que je poursuive, ô sire,
» L’œuvre royal du Psautier commencé,
» Et que tout cœur aymant Dieu le desire,
» D’y besongner me tiens pour dispensé :
» S’en sente donc que voudra offensé,
» Car ceux à qui un tel bien ne peut plaire,
» Doivent penser, si ja ne l’ont pensé,
» Qu’en vous plaisant, me plaist de leur desplaire.


» La publication pourtant, après plusieurs remonstrances faites au roy, en fut défendue. Mais.

» Des hommes plus la chose est desirée,
» Quand plus elle est aux hommes prohibée.


» On n’en pouvoit tant imprimer qu’il ne s’en debitast davantage. Ils ne furent pas lors mis en musique, comme on les voit aujourd’huy, pour estre chantés au presche : Mais chacun y donnoit tel air que bon lui sembloit, et ordinairement des vau-de-ville. Chacun des princes et courtisans en prit un pour soi. Le roi Henri second aymoit et prit pour le sien le psaume, ainsi qu’on oyt le cerf bruire, lequel il chantoit à la chasse. Madame de Valentinois qu’il aymoit prit pour elle, du fond de ma pensée, qu’elle chantoit en volte : La Royne avoit choisi, ne vueillez pas, ô Sire, avec un air sur le chant des bouffons. Le roi de Navarre Anthoine prit, revange moy, prend la querelle, qu’il chantoit en bransle de Poitou, ainsi les autres. Marot cependant, pour la seconde fois, craignant d’être mis en cage, car il ne pouvoit contenir sa langue, se refugia à Genefve, où il continua sa ver-

  1. Voyez, dans ce volume, pag. 284, la remarque (D) de l’article Marie l’Égyptienne.
  2. Des Accords, préface des Bigarrures.
  3. La XLIIIe. du XIIe. livre.
  4. Ménage, Observations sur la langue française, tom. I, pag. 90, édition de Paris, 1675.
  5. Flor. de Lémond, Histoire de la Naissance et Progrès de l’hérésie, liv. VIII, chap. XVI, pag. m. 1042 et suiv. Voyez aussi M. Varillas, son copiste, au livre XXI des Révolutions, pag. 48 et suiv., édition de Hollande.