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MAROT.

son ancienne maîtresse [a], et ne se croyant point là assez en sûreté, il passa en Italie, et s’arrêta à la cour de la princesse Renée de France, duchesse de Ferrare [b], bonne amie de ceux de la religion. Il obtint de François Ier. la permission de revenir l’an 1536 (G) ; mais il fut tellement connu pour sectateur de ce qu’on nommait les nouvelles opinions, qu’il se sauva quelques années après à Genève. On prétend qu’il y débaucha son hôtesse, et que la peine de mort qu’il avait à craindre fut commuée en celle du fouet par la recommandation de Calvin (H). Il sortit de Genève, et s’en alla en Piémont, où il mourut l’an 1544, à l’âge d’environ soixante ans (I). La faute de chronologie qu’il semble que M. Maimbourg ait faite touchant la première fuite de Clément Marot est très-légère (K). Quant aux autres fautes qu’il a pu faire en parlant de ce personnage, voyez-en la réfutation dans les auteurs qui écrivirent contre son Histoire du Calvinisme. Vous trouverez dans Sleidan [c], et dans Pasquier [d], un bel éloge de Clément Marot. On peut dire sans le flatter, non-seulement que la poésie française n’avait jamais paru avec les charmes et avec les beautés naturelles dont il l’orna, mais aussi que dans toute la suite du XVIe. siècle il ne parut rien qui approchât de l’heureux génie, et des agrémens naïfs, et du sel de ses ouvrages. Les poëtes de la Pléiade sont de fer en comparaison de celui-là ; et si au siècle suivant, un Voiture, un Sarrazin, un Benserade, et quelques autres l’ont surpassé, ce n’est qu’à cause qu’ils ont trouvé tout fait l’établissement d’un meilleur goût, et d’une plus grande délicatesse de leur langue [e]. L’incomparable la Fontaine, qui s’est reconnu son disciple (L), a contribué beaucoup à remettre en vogue les vers de cet ancien poëte. Une infinité de curieux cherchaient ses œuvres avec ardeur, et avaient bien de la peine à les trouver. C’est ce qui a obligé un libraire de la Haye [f] à les remettre sous la presse. Cette édition est très-belle. Vous verrez dans les jugemens qu’on a recueillis sur Clément Marot [g], que les poëtes français lui sont redevables du rondeau, et qu’ils lui doivent en quelque façon la forme moderne ou le rétablissement du sonnet et du madrigal, et de quelques autres espèces de petits vers. On peut ajouter qu’il fut l’inventeur du mélange des rimes masculines et féminines [h], qui est une chose sans laquelle notre poésie serait très-rude et choquante. Il n’y a que trop de

  1. La duchesse d’Alençon était devenue reine de Navarre par son mariage avec Jean d’Albret.
  2. Voyez l’épître que Marot écrivit au roi pendant son exil.
  3. Sleidan., lib. XV, ad ann. 1543, folio m. 366.
  4. Pasquier, Recherches, liv. VII, chap. V, pag m. 613, 614.
  5. M. de la Bruyère, dont on verra les paroles dans la remarque (M) de l’article Ronsard, tom. XII, confirme ceci.
  6. Adrian Moetjens. Son édition est de l’an 1700, en deux volumes in-12.
  7. Baillet, Jugement sur les Poëtes, article 1275.
  8. Voyez les Observations de M. Ménage sur les poésies de Malherbe, pag. 402. Mais notez que Marot se dispensait quelquefois de ce mélange.