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MANARD.

des fils de Pompée est postérieure de beaucoup à la réconciliation de César et de Catulle. Manuce s’imagine qu’on parla alors à César de l’inobservation des lois somptuaires, de laquelle Mamurra était coupable. Cela est plus apparent que l’explication de Lambin.

MANARD (Jean), né à Ferrare, l’an 1462, a été l’un des plus habiles médecins de son siècle. Vous trouverez dans Moréri qu’il fut médecin de Uladislas roi de Hongrie ; qu’ensuite il fut professeur en médecine à Ferrare, et que s’étant marié fort vieux avec une jeune fille, il fit des excès qui le tuèrent. Les poëtes ne manquèrent pas de plaisanter là-dessus (A), et principalement ceux qui surent qu’un astrologue lui avait prédit qu’il périrait dans un fossé. Il mourut à Ferrare, à l’âge de soixante-quatorze ans (B), au mois de mars 1536, et fut enterré au cloître des carmes [a]. On assure dans l’inscription de son sépulcre, qu’il avait rendu à la médecine son ancien éclat (C), après avoir mis plusieurs fois en fuite les troupes barbares qui l’avaient déshonorée. Ses lettres sont le meilleur de ses ouvrages [b]. Calcagnin les a louées, et a parlé de leur auteur avec des marques d’une grande estime (D).

  1. Voyez la remarque (B).
  2. Elles sont divisées en XX livres. Vous trouverez le sommaire de chacune dans la Bibliothéq. de Gesner.

(A) Il fit des excès qui le tuèrent. Les poëtes ne manquèrent pas de plaisanter là-dessus. ] Paul Jove l’accuse d’une grande faute de jugement : fort vieux, dit-il, et fort goutteux, il épousa une fille dont la beauté et la jeunesse demandaient un homme qui fût à la fleur de l’âge. Le pis fut, ajoute-t-on, qu’il tomba dans l’intempérance aux dépens même de sa vie : il témoigna plus de passion d’avoir des enfans que de vivre, et il voulut bien hâter l’heure de sa mort, pourvu qu’il pût acquérir le titre de père. Duxit autem uxorem planè senex, et articulorum dolore distortus, ab ætate, formâque, florentis juvenis toro dignam, adeò levi judicio, et letali quidem intemperantiâ, ut maturando, funeri suo aliquanto prolis, quàm vitæ cupidior ab amicis censeretur [1]. Vous trouverez dans Moréri une épigramme de six vers latins [2], composée sur ce Cursius ; mais vous n’y trouverez pas sujet par ce distique de Latomus.

In foveâ qui te periturum dixit aruspex,
Non est mentitus : conjugis illa fuit


On a tant brodé la pensée de ce distique, que l’on est venu jusques à dire que Manard, pour éviter la prédiction, s’éloignait de tous les fossés. Il ne songeait qu’au sens littéral, et ne se défiait point de l’allégorique ; mais il reconnut par expérience que ce n’est pas toujours la lettre qui tue, et que l’allégorie est quelquefois le coup mortel : il mourut la nuit de ses noces pendant les momens de la jouissance, et ainsi fut accomplie la prédiction. Voilà comment quelques écrivains circonstancient la chose : je m’étonne qu’ils ne le comparent pas aux abeilles qui meurent des piqûres qu’elles font [3]. Joannes Manardus.....…..…. cùm ab astrologo ipsi prædictum fuisset, vitæ periculum in foveâ ipsi imminere, à foveis sibi timuit et fossis, non satis perspectâ oraculi κρύψει. Cùm verò illiberis, prolis aliquantò quàm vitæ cupidior, planè senex uxorem duceret juvenculam, primâ nuptiali nocte cum dilectâ concumbens, desideratis intentus amoribus, in genitali foveâ extinctus, suavi morte oraculi implevit scopum, et funus maluravit suum [4]. Je crois qu’ils se trompent. Une telle circonstance n’aurait pas été négligée par les premiers qui ont

  1. Paulus Jovius, in Elog., cap. LXXXI, pag. 190.
  2. Elle est dans Paul Jove, ibidem.
  3. Animasque in vulnere ponunt.
    Virgil., Georg., lib. IV, vs. 238.

  4. Sacra Eleusinia patefacta, pag. 181, 182, edit. Francof., 1684.