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MALDONAT.

enseigner avec pieté, qu’il y a un Dieu par raisons naturelles, contre les athées, qui est la doctrine catholique : et non qu’on doive prouver la deïté par raisons naturelles seulement sans s’arrester à la foy, qui seroit l’heresie d’Abailard, qui ne vouloit rien croire que par raisons naturelles, et destruisoit la foy, qui croit ce qui est par dessus la raison et le sens. Et partant au lieu de se purger, il s’est chargé de deux nouvelles calomnies [1]. »

Pasquier aurait pu se défendre moins grossièrement, s’il avait dit que puisqu’on ne prouve pas les premiers principes, tous ceux qui s’avisent de prouver qu’il y a un Dieu avouent par-là qu’ils ne mettent point entre les premiers principes cette thèse, il y a un Dieu. Or c’est un acte impie que de ne la pas compter parmi les premiers principes. Mais cette réponse, quoique moins grossière que l’autre, n’eût pas laissé d’être très-mauvaise ; car elle eût porté accusation d’impiété contre les plus saints et les plus célèbres auteurs, et contre l’usage même de tous les siècles, autorisé par l’état et par l’église. Je n’aurais jamais fait, si j’entreprenais de nommer tous les auteurs qui ont prouvé par des raisons naturelles qu’il y a un Dieu : je dis les auteurs pieux, et autant recommandables par leur vertu que par leur érudition. Et chacun sait que dans toutes les écoles de la chrétienté où l’on enseigne la philosophie, il y a toujours un chapitre de métaphysique destiné aux preuves que la lumière naturelle nous fournit de l’existence de Dieu, et à la réfutation des sophismes des athées. La plupart des lieux communs de théologie qu’on a publiés contiennent un tel chapitre. On serait donc ridicule, si l’on prétendait que tous ceux qui prouvent par des raisons naturelles qu’il y a un Dieu sont impies, ou ne reconnaissent pas comme un principe cette thèse, il y a un Dieu. Il faut savoir que toutes les propositions qu’on nomme principes, ne sont pas également évidentes. Il y en a qu’on ne prouve point, parce qu’elles sont, ou aussi claires, ou plus claires que tous les moyens dont on se voudrait servir pour les prouver. Telle est, par exemple, cette proposition : La tout est plus grand que sa partie : si de deux quantités égales, vous ôtez des portions égales, les restes seront égaux : deux et deux font quatre. Ces axiomes ont cet avantage, que non-seulement ils sont très-clairs dans les idées de notre esprit, mais qu’ils tombent aussi sous les sens. Les expériences journalières les confirment ; ainsi la preuve en serait très-inutile. Il n’en va pas de même à l’égard des propositions qui ne tombent pas sous les sens, ou qui peuvent être combattues par d’autres maximes : elles ont besoin d’être discutées et prouvées. Il faut les mettre à couvert des objections. On ne peut nier que cette thèse, il y a un Dieu, ne soit de ce nombre : elle ne tombe jamais directement sous les sens : elle a été niée dans tous les siècles par des gens d’étude, et qui faisaient profession de raisonner ; et nous verrons ci-dessous [2], qu’elle est niée aujourd’hui par des sectes florissantes. Il n’est donc point superflu d’en entreprendre la preuve : il est même très-utile, et très-nécessaire de la donner, encore qu’on ne la pût pas faire sentir aux esprits vulgaires, comme les propriétés des nombres. C’est ce que prétend un fameux ministre [3].

Mais, dira-t-on, n’est-ce pas une conduite bien scandaleuse, que de proposer comme un problème, dans une leçon de métaphysique, s’il y a un Dieu ? J’ai ouï parler d’un prince allemand, fondateur d’une académie qu’il fut sur le point de casser, ayant appris qu’on agitait cette question-là. Apparemment quelqu’un l’avait alarmé, de la manière que l’on tâcha de surprendre le parlement de Paris contre Maldonat : disons un mot sur cette difficulté. Il est sûr que suivant les règles et la méthode de la

  1. Richeome, Plainte apologétique, num. 19, pag. 200, 201.
  2. Citation (55), dans un passage de M. Arnauld.
  3. Cette vérité, il y a un Dieu, se peut démontrer, comme je crois, mais ce n’est pas par une démonstration qui soit sensible à un esprit vulgaire, comme on peut faire sentir à tout esprit, quelque bas qu’il suit, que six font la moitié de douze. Jurieu, de la Nature et de la Grâce, pag. 248.