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MAJORAGIUS.

nous avons la défense de l’accusé parmi ses harangues. Il se justifia fort éloquemment, et cita beaucoup d’exemples illustres de la liberté qu’il avait prise. Il avoua de bonne foi la raison qui l’avait mû à n’oser paraître en public sous le nom d’Antoine-Marie ; c’est qu’il était si scrupuleux dans le choix des termes, qu’il n’en osait employer aucun qui ne se trouvât dans les auteurs de la belle latinité. Or il n’y a point d’exemple dans l’antiquité romane, qu’un homme ait été nommé Marie, ni qu’il ait eu tout à la fois un nom masculin et un nom féminin. Voilà pourquoi il convertit le nom Maria en celui de Marcus, par l’allongement de la dernière syllabe, et le mit devant celui d’Antonius ; car c’eût été une barbarie, un usage inconnu à l’ancienne Rome, que de s’appeler Antonius Marcus. Il fallut donc non-seulement allonger l’un de ses noms, mais aussi lui faire changer de place. Comme nous avons ici un exemple des superstitions de la secte cicéronienne [1], il faut rapporter les propres paroles de cet auteur. In verborum delectu, quod C. Cesar eloquentiæ principium esse dictitabat, adeô diligens, et penè dixerim superstitiosus eram, ut nullum omninò verbum, nullam verborun : conjunctionem, nullam dicendi formulam admittendam mihi esse censerem, quam non apud veteres latinos atque probatos auctores invenissem. Id igitur in nomine meo præcipuè servandum esse statuebam, ne, cùm latine linguæ candorem et elegantiam profiterer, aliquis mihi barbarum nomen et inusitatum aliquandò posset objicere : atque eò magis, quòd mihi nullo modo convenire videbatur, ut muliebre nomen cum virili conjungeretur. Quis enim apud antiquos unquàm talem nominis conjunctionem vel legit, vel audivit, ut quis à viro et muliere nominaretur [2] ? Quant au nom de Majoragius, il le préféra à celui de Comes, par la raison que j’ai rapportée ci-dessus [3]. Ainsi, au lieu d’Antonius Maria Comes, qui étaient les noms qu’il avait portés avant que d’être agrégé au corps des auteurs, il se nomma Marcus Antonius Majoragius en s’érigeant en auteur. J’ajoute que Majoragius était le nom de son père, et que son père avait eu ce nom à cause qu’il était né dans le village de Majoraggio proche de Milan. Julianus Comes, homo cùm innocentiâ atque integritate vitæ, tùm officio, fide, auctoritate sui municipii facile princeps ; mihi pater fuit, P. C. qui cùm Majoragium vicum habitaret, atque ita se comiter liberaliterque gereret, ut vicinis omnibus gratus et carus haberetur : cognomen à loco sortitus est, et Majoragius appellatus [4]. Au reste, ce Julien Majoragius ayant épousé Magdeleine le Comte, se nomma Comes, à l’imitation de ses beaux-frères, qui ne trouvèrent point du bel usage de se dire de Comite ou de Comitibus. C’est notre Majoragius qui me l’apprend. Cùm hoc locutionis genus à consuetudine latini sermonis abhorreret, primò vir eruditissimus avunculus meus, qui permultos annos Mediolani magnâ cum gloriâ publicè docuit, cùm elegantiæ sermonis almodùm studiosus esset, non ampliùs se de Comitibus, ut cœteri faciebant, sed Petrum Comitem cœpit inscribere.... Hunc imitati sunt ejus fratres Jacobus et Aloysius, atque etiam pater meus Julianus, qui horum sororem Magdalenam, matrem meam in matrimonio habebat [5]. Notez que Julien et sa femme étaient issus de mêmes ancêtres [6].

(E) M. Moréri a donné le titre de quelques-uns de ses livres. ] Il a oublié les harangues et les préfaces, imprimées plusieurs fois. Je pense que la première édition fut faite à Venise, l’an 1582 [7], par les soins de Jean-Pierre Ayroldus Marcellinus. Elle comprend XXV harangues, XIV préfaces, et le dialogue de Eloquentiâ. Je me sers de l’édition de Leipsic, 1628, enrichie de notes marginales par Valentin Hartungus, professeur en médecine. On n’avait point osé publier en Italie la harangue de Majora-

  1. Majoragius était un Cicéronien mitigé : il ne dédaignait pas les termes dont Cicéron ne s’est pas servi, pourvu qu’ils fussent dans d’autres bons écrivains de l’ancienne Rome. Voyez la remarque (E), vers la fin.
  2. Majoragius, orat. X, pag. 199, 200.
  3. Dans la remarque (A), citation (3).
  4. Majoragius, orat. X, pag. 104. Il dit, pag. 222 : Cùm præsertim Majoragii cognomentum haberem adhuc à parte hæreditarium.
  5. Majoragius, orat. X, pag. 221.
  6. Idem, orat. VIII, pag. 141.
  7. Elle est in-4°.