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MAJORAGIUS.

alla à Ferrare [1]. Il y alla donc l’an 1542. Or il était à Milan au mois de juillet 1543, et il y faisait sa charge paisiblement ; et ce fut alors qu’il publia la Défense de Cicéron contre Calcagninus. Il s’abuse donc lorsqu’il expose que cet ouvrage parut pendant que la guerre interrompit ses leçons, et avant qu’il quittât Ferrare pour retourner à Milan. Passons plus avant. Il étudia en droit à Ferrare sous André Alciat, qui n’y commença ses leçons qu’en l’année 1543 [2]. Donc Majoragius débite un mensonge, quand il dit qu’il fut reçu professeur à l’âge de vingt-six ans, et qu’au bout de deux années il s’en alla à Ferrare, où il ouït les leçons d’Alciat. C’est en cela qu’il s’est abusé : passez-lui ce mensonge, il sera facile d’ôter toutes les autres difficultés, et d’établir la vraie époque de son voyage de Ferrare. Puisque les leçons publiques cessèrent à cause que l’armée de France était arrivée dans le Piémont [3], il faut mettre cette interruption en 1544. Le duc d’Enguien fut envoyé cette année-là en Italie avec un renfort de troupes, et gagna la bataille de Cérizolles. Majoragius, paisible dans sa maison au mois de juillet de l’année précédente, avait composé l’épître dédicatoire de son traité contre Calcagninus ; mais avant qu’il mît cet ouvrage sous la presse, il fallut qu’il s’en allât à Ferrare ; et ce fut pendant qu’il y séjourna qu’il le mit au jour. Cette même époque se peut prouver par quelques endroits de la harangue, où Majoragius se justifie sur le changement de nom. Il observe qu’il est âgé de trente-deux ans [4] : il se justifiait donc l’an 1546. Il observe qu’André Alciat avait enseigné le droit à Ferrare les quatre dernières années [5] : cela n’est pas incompatible avec l’an 1546. Il observe qu’il était revenu à Milan depuis un an [6]. Il y était donc revenu l’an 1545 : d’où l’on doit conclure que l’interruption de ses leçons, et son séjour à Ferrare, durèrent un an, pendant lequel il publia des harangues, et l’apologie de Cicéron.

J’ai montré ailleurs [7] que les doctes marquent quelquefois assez mal la date de leurs aventures. En voici un qui s’est fait plus jeune qu’il ne l’était à son entrée aux charges publiques.

(D) Ses ennemis... lui intentèrent un procès sur le nom qu’il avait pris à la tête d’un ouvrage. ] Son nom de baptême était Antoine, comme celui de son aïeul paternel [8]. Sa mère, de son autorité particulière, y joignit celui de Marie, tant à cause de sa dévotion pour la Sainte Vierge, qu’à cause qu’elle se plaisait à ouïr ce mot. Boni ominis gratiâ.... nomini meo Mariam addidit, ut sanctissimum illud divinæ matris nomen, maternâ quâdam pietate muliebrique religione mihi additum, gratiorem ex nomine meo sonum atque amabiliorem ad ipsius matris aures apportaret. Eam enim sæpissimè commemini dicere, se Marie nomine mirandum in modum solitam esse recreari [9]. Ainsi dès le berceau notre Majoragius fut appelé Antoine-Marie ; son père et tous les voisins lui donnaient ce nom ; et ce fut sous celui-là qu’on le connut dans la suite, partout où il se faisait connaître. On fut donc surpris de voir qu’à la tête de son premier livre il s’appelât Marc-Antoine, supprimant le nom vénérable de la Sainte Vierge qu’il avait toujours porté. Je m’étonne de ne voir point que ce fut la principale batterie de ses accusateurs, et qu’ils ne tâchassent pas de le convaincre d’avoir fait injure à la mère du fils de Dieu. La cause fut plaidée devant le sénat de Milan avec beaucoup d’apparat. Je ne sais point si le plaidoyer des accusateurs [10] fut rendu public ; mais

  1. Ibidem.
  2. Voyez, tom. I, pag. 386, la citat. (35) de l’article Alciat (André).
  3. Cùm apud nos maxima esset belli suspicio, quoniam ingentes Gallorum copiæ jam Alpes transcenderant, atque in Taurinis consederant, omnes publici bonarum artium professores, ut fit, in ejusmodi temporibus, dimissi sunt et studia litterarum intermissa. Majorag., orat. X, pag. 198.
  4. Hic est exactæ vitæ meæ cursus, P. C. hæc studiorum meorum ratio ; hoc duorum et triginta annorum, quibus hactenùs vixi spatium. Majoragius, ibid., pag. 201.
  5. Majoragius, orat. X, pag. 199.
  6. Ibidem, pag. 190, 213.
  7. Dans l’article Agrippa, tom. I, p. 292, remarque (C).
  8. Hankius, de Romanar. Rerum scriptor., lib. I, pag. 215, se trompe, quand il dit : In avi materni memoriam... Antonius dictus est.
  9. Majorag., orat. X, pag. 195.
  10. Ils s’appelaient Fabius Lupus et Macrinus Niger.