Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T08.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
HENRI IV.

il est ici question ? Nostre Henry, dit-il [1], fit une response qui monstra deslors quelle seroit la hauteur de son courage, la profondeur de son sens, et la grande douceur de sa clemence. Il supplia sa majesté de se resouvenir de sa foy donnée, de leur parenté si proche et de leur nouvelle alliance, et de n’apporter aucune violence à la religion qu’il avoit dès son enfance succée comme le laict de sa nourrice. Dit, que c’estoit un grand malheur qu’un si grand roy, qui avoit en son ame les semences de toutes grandes vertus, eust esté si pernicieusement conseillé de forcer ses subjets par meurtres et massacres de servir Dieu à sa fantaisie. Qu’il n’y avoit rien qui domptast les peuples courageux, et notamment les François, que la douceur du prince qu’ils reverent quasi autant que Dieu. Que c’estoit le chemin qu’avoit tenu Flaminius pour acquerir aux Romains toute la Grece : en sorte qu’estant le plus fort dans la ville de Thebes, si usa-t-il d’autant de persuasion pour attirer le peuple, qu’eust faict un harangueur de la tribune des harangues : et qu’il falloit qu’il sceust qu’il commandoit à des gens qui ne peuvent supporter toute la liberté ny toute la servitude, et que la puissance royale n’estoit pas une domination sur des esclaves, mais un gouvernement sur des concitoyens. Qu’il avoit ouy dire que ces grands Romains avoient commandé tous les peuples, et s’estoient rendus seigneurs de tout le monde, pour se monstrer sujets à la raison, et ne se laisser emporter à la vengeance [2]... Vostre majesté sçait qu’un seul exemple d’humanité des Romains eut plus de force pour s’emparer des Fallisques estrangers, que toute leur puissance militaire n’avoit sceu faire : qu’eust donc faict la douceur de vostre majesté à l’endroit des protestans ses naturels sujets ? Un grand roy comme vous ne doibt pas se laisser aller à tout ce qu’il peut faire : mais imiter le soleil qui chemine plus lentement, quand il est le plus eslevé [3]... Ceux qui vous ont si mal conseillé ont plus failly que vous, et sont aussi dignes de peine que ceux qui empoisonnent la fontaine publique, faisans mourir tant de gens qui en boivent. J’ai sauté la plupart des choses que ce long semeur de lieux communs met en la bouche du roi de Navarre ; mais je n’ôte rien à la réplique qu’il attribue faussement à Charles IX. « Voyla, ce dist le roy, de belles pièces que vous avez apprises de Chrestien vostre gouverneur : mais j’en scay bien une plus belle, que Dieu a donné le souverain commandement au prince, les ressorts duquel il n’est pas loisible au sujet de toucher : La gloire d’obeissance luy suffit. Allez et faites mon commandement sur peine de la vie : Et bien que je ne sois tenu de vous rendre conte de mes actions, si est ce que je veux bien vous faire entendre que tout grand exemple semble avoir quelque chose d’iniquité, qui se recompense par l’utilité publique [4]. » Notez qu’il suppose que le roi fit venir séparément le roi de Navarre et le prince de Condé. Les autres historiens racontent que Charles IX manda ces deux princes en même temps.

(N) La reine-mère voulut que lui et le duc d’Alençon fussent interrogés sur plusieurs cas très-atroces. ] « [5] Le chancelier voulut interroger le roi de Navarre ; mais, quoique captif et menacé, il ne voulut pas faire ce tort à sa dignité que de répondre. Toutefois, pour contenter la reine-mère, il fit un long discours, lui adressant la parole ; par lequel il déduisait beaucoup de choses touchant l’état présent des affaires ; mais il ne chargea jamais personne, comme avait fait assez faiblement le duc d’Alençon [6]. »

(O) Sa femme lui était un grand embarras, et ne laissa point quelquefois de lui être utile. ] Catherine de Médicis la lui avait amenée l’an 1558 [7]. Il tenait alors sa petite cour à

  1. Julien Péléus, avocat au Parlement de Paris, Histoire des faits et de la vie de Henri-le-Grand, tom. I, pag. 828.
  2. Là même, pag. 831.
  3. Là même, pag. 832.
  4. Là même, pag. 833.
  5. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 36, à l’ann. 1574.
  6. Voyez ci-dessus la remarque (G).
  7. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. 54.