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HENRI II.

juillet suivant. Choses estranges furent remarquées en la mort tant inopinée de ce prince, qui de sa nature estoit debonnaire, mais ne voyoit ni oyoit que par les yeux et aureilles de ceux qui le possedoient et gouvernoient à leur appetit [1].

(R) Il vivait avec le duc d’Orléans son frère, dans une mésintelligence qui coûta bon à la France. ] La faction du dauphin avait pour chef Diane de Poitiers, qui était maîtresse de ce prince. Cela fut cause que la duchesse d’Étampes embrassa les intérêts du duc d’Orléans. J’ai parlé ailleurs [2] du préjudice qu’apportèrent aux affaires de François Ier. les intrigues de cette duchesse.

(S) Que sait-on si le duc d’Orléans n’aurait pas disputé la succession ? ] Tavanes, qui était à son service, et qui avait une passion démesurée de s’agrandir, espérait beaucoup de l’ambition de ce prince, « qui pensait à se rendre souverain du vivant du dauphin, son frère aîné. Aussi l’empereur Charles V le flattait-il fort dans son honneur, par des espérances qui lui avaient bien élevé le courage ; c’est pourquoi étant à l’extrémité, à Farenmonstier, où il avait été témérairement défier la mort dans une maison pestiférée qu’il choisit exprès, Tavanes, son confident, lui étant venu apporter la nouvelle de l’exploit qu’il avait fait sur la garnison de Calais, dont il avait tué huit cents hommes et fait quatre cents prisonniers, il lui dit ces mêmes mots, Mon ami, je suis mort, tous nos desseins sont rompus ; mon regret est de ne pouvoir récompenser vos mérites [3]. »

(T) Les dames... avaient montré à François Ier. de prétendues prédictions astrologiques. Castellan les réfuta. ] Environ deux ans avant la mort de ce prince, certaines femmes, qui avaient beaucoup de part à son amitié, lui dirent que les astres promettaient de grandes conquêtes au duc d’Orléans, et annonçaient que le dauphin ne ferait rien qui fût digne de la qualité de roi de France. Elles tenaient ces discours, parce qu’elles connaissaient l’affection particulière de François Ier. pour ce duc, et parce qu’elles souhaitaient de s’enrichir par le crédit de ce jeune prince. Elles le louaient ; elles l’élevaient jusques au ciel, et décriaient le dauphin comme un esprit lourd et pesant, et d’une étoile la plus malheureuse du monde [4]. Castellan ne put souffrir ni leurs flatteries, ni leurs médisances : il se tourna vers ces dames, et les regardant d’un sourcil froncé, il leur dit que l’astrologie était malaisée à apprendre, et qu’il était encore plus malaisé de l’ajuster aux événemens humains. Il ajouta que la vanité et l’impudence des astrologues les rendaient indignes d’être crus ; qu’il avait autrefois étudié ces matières sous Turreau [5], et qu’il y avait fait autant de progrès qu’aucun autre ; que par une espèce d’amusement, et pour satisfaire les curieux, il avait dressé avec toute l’exactitude possible l’horoscope du dauphin et celui du duc d’Orléans, et que, selon les règles de cette science des astres, il avait trouvé que le duc devait avoir âme bonne, grande, guerrière ; être soutenu des forces et de l’amitié des grands, et parvenir à une puissance très-considérable [6] : que le dauphin ne lui serait pas inférieur, ni à l’égard de la vertu militaire, ni à l’égard des autres vertus dignes d’un prince, et règnerait très-heureusement vainqueur de ses ennemis [7] : mais que toutes ces manières de prédire l’avenir étant vaines et douteuses, le plus sûr était de se fonder sur les mœurs, et sur le génie de l’un et de l’autre de ces deux princes, pour conjecturer ce qui leur arriverait. Le roi écouta favorablement ce discours-là : les flatteurs et les flat-

  1. Théodore de Bèze, Histoire ecclésiastique des Églises réformées, liv. II, pag. 195.
  2. Dans la remarque (R) de l’article de François Ier, tom. VI, pag. 577. Voyez aussi la remarque (E) de l’article Étampes, même volume, pag. 303.
  3. Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, pag. 572.
  4. Animo lento et sopito infelici quodam syderum positu natum. Gallandius, in Vitâ Castellani, pag. 73.
  5. Voyez, la remarque (C) de l’article Castellan, tom. IV, pag. 545.
  6. Valdè potentem futurum. Galland., in Vitâ Castellani, pag. 73.
  7. Suorum hostium latè victorem felicissimum regnaturum comperisse. Idem, ibid.