Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/François 2


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FRANÇOIS Ier.[* 1], roi de France, a été un de ces grands princes dont les belles qualités sont mêlées de plusieurs défauts. Les historiens français [a] reconnaissent ce mélange avec la dernière sincérité ; et il y en a même qui se plaignent de ce que les écrivains espagnols, au lieu de le reconnaître, affectent de donner à ce monarque l’éloge d’un prince accompli (A). De part et d’autre cette conduite pourrait bien être trop artificieuse ; mais il semble qu’elle l’est moins du côté des auteurs français, que du côté des espagnols ; car il n’y a guère que des aveugles qui ne puissent voir clairement dans le règne de François Ier. une longue suite de fautes et d’imprudences. Peu s’en fallut que ce prince ne se dépouillât lui-même du droit de succéder à Louis XII. Il en prenait le grand chemin par les tendres cajoleries dont il enchantait la jeune reine [b] (B), lorsqu’on lui fit connaître le péril où il s’exposait. Quoiqu’on raconte diversement cette historiette (C), on convient qu’il profita de ce bon avertissement ; mais à l’égard des autres femmes, il garda peu de mesures[c], et l’on prétend qu’il lui en coûta la vie (D). J’ai dit ailleurs [d], que la principale de ses maîtresses le mit à deux doigts de perdre tout son royaume. Il ne se défiait pas de ce noir complot ; et voyant le mauvais tour que les affaires prenaient, il lui échappa quelques murmures contre la divine providence (E). Ce fut pendant une guerre que l’on termina beaucoup plus tôt que ne l’auraient cru ceux qui ne connaissaient pas à fond l’état des choses (F). Il connut trop tard qu’il avait choisi pour ses favoris deux ou trois personnes qui en étaient fort indignes, et dont les mauvais conseils lui avaient été extrêmement préjudiciables. S’il avait éloigné de lui douze ans plus tôt le connétable de Montmorenci [e], il ne se serait pas vu dans de si dures extrémités. Il y avait outre cela dans son étoile je ne sais quoi de malheureux, qui faisait que lors même qu’humainement parlant il se conduisait selon les règles de la prudence il ne réussissait pas. Toutes ces choses bien considérées rendent son règne très-admirable : car qui ne s’étonnerait de voir que ce prince, peu favorisé de la fortune, mal servi par sa propre mère (G), livré à des favoris imprudens, trahi par ceux qu’il honorait de sa plus étroite confidence, ait pu résister aussi glorieusement qu’il a fait à l’empereur Charles-Quint, c’est-à-dire à un ennemi dont les états étaient de beaucoup plus grands que la France ; qui avait plus d’argent et plus de troupes que lui ; qui était et un grand guerrier et un très-fin politique ; qui était fidèlement et habilement servi par ses généraux et par ses ministres ; et qui était secondé presque toujours, ou par l’Angleterre, ou par d’autres puissans princes contre lui seul ? Tout bien compté, il est plus glorieux à François Ier. d’avoir conservé son royaume dans de telles circonstances, qu’il n’est glorieux à Charles-Quint de ne l’avoir pu conquérir. Je crois qu’on pourrait dire de ces deux princes, que l’un sans l’opposition de l’autre eût pu parvenir à la monarchie universelle ; et que, puisqu’on se liguait plus souvent en faveur de Charles-Quint qu’en faveur de François Ier., l’on redoutait plus ce roi de France que ce roi d’Espagne. Je crois de plus que si la liberté de l’Europe ne fut pas entièrement opprimée par Charles-Quint, on en a presque toute l’obligation à la valeur de François Ier. [f]. Je ne sais si la mauvaise fortune de ce monarque a paru dans aucune affaire autant que dans l’alliance qu’il fit avec Soliman. Il n’en sut tirer aucun avantage solide, et il fournit une matière de déclamation à ses ennemis, qui le rendit odieux, et qui lui fit plus de mal que la Porte ne lui fit de bien. On ne saurait excuser que par les maximes d’une très-pernicieuse morale, les mensonges qui furent semés dans l’Europe sur ce sujet (H). On fit courir la formule du serment que l’on supposa que ce prince avait fait au grand-seigneur. Il ne se peut rien voir de plus affreux, de plus impie, ni de plus abominable que ce serment (I) ; et par cela même, et par quelques autres caractères, il faut juger que ce n’est qu’une imposture sans vraisemblance. On n’a pas laissé d’insérer ce formulaire, comme une pièce authentique, dans l’un des livrets qui ont paru contre la France pendant la dernière guerre [g]. Il courut un autre mensonge qui n’était pas moins absurde que celui-là, et qui concernait une prétendue invention de recouvrer les otages que François Ier. avait donnés (K). J’en ai lu un autre bien grossier, qui se rapporte aux embarras où ce prince se trouva l’an 1544 (L). Je parle ailleurs [h] d’une fable qui se rapporte au voyage que l’empereur fit par la France, pour aller châtier la ville de Gand. Ce n’est pas la seule qu’on ait fait courir par rapport à ce temps-là (M). François Ier. fut auteur de quelques innovations, parmi lesquelles il faut principalement compter la coutume que les femmes prirent d’aller à la cour (N). Cela ne fit point changer l’article de la loi salique, qui ne permet point que la couronne de France tombe en quenouille ; mais on peut dire que depuis ce temps-là jusques à la fin du XVIe. siècle plus ou moins, la France fut gouvernée par des femmes [i]. On a eu grand tort d’accuser François Ier. de trop d’indulgence pour les luthériens de son royaume (O). C’est un des mensonges que notre Dictionnaire doit critiquer. Si l’on avait dit que ce prince fut fort utile aux protestans (P) d’Allemagne, on ne se serait pas trompé. J’ai marqué ailleurs [j] les vaines excuses dont il les paya au sujet de quelques luthériens qu’il avait punis de mort. M. Varillas fait là-dessus un anachronisme (Q). Les dernières années de François Ier. furent un temps de calamité pour lui. Les suites de son incontinence [k], et le souvenir des malheurs où la mauvaise conduite de ses ministres l’avait engagé, le plongèrent dans un noir chagrin, qui l’empêchait de connaître ses véritables intérêts ; car il s’affligea mortellement d’une chose qu’il aurait dû regarder comme une bonne fortune. Je parle de la mort de Henri VIII, roi d’Angleterre [* 2], prince qui s’était ligué tant de fois contre la France, et qui aurait été toujours disposé à la renverser de fond en comble, pour la partager avec Charles-Quint. Les déplaisirs de François Ier., à l’occasion de ses enfans, ne furent pas la plus petite de ses angoisses (R). Je ne donne pas la suite de ses actions, parce qu’il faudrait redire ce que d’autres dictionnaires rapportent suffisamment. Le surnom de Grand, qui lui fut donné après sa mort, n’a point été de durée (S). Il le méritait à certains égards, et surtout à cause de son courage, et de cette générosité franche et ouverte, qui est si rare parmi les personnes de sa condition. La fermeté de son courage fut sujette à des éclipses [* 3]. Elle ne le soutint pas assez dans les rigueurs de sa prison. Il y pensa mourir de chagrin ; et il témoigna un peu trop de peur en rentrant en France (T). Je tiens pour un conte fabuleux ce que j’ai lu dans un petit livre qui a paru depuis quelque temps [l], c’est qu’il tua à Madrid un grand seigneur qui lui avait manqué de respect, et que l’empereur ne s’en formalisa pas.

Voici en quoi consistent les choses que j’ajoute à cet article dans cette seconde édition. On a débité faussement que François Ier. naquit après une longue stérilité de sa mère (U). On l’a compté parmi les princes qui étant montés sur le trône n’ont point voulu se venger des offenses qu’ils avaient reçues dans une condition privée. On prétend que, sous le règne de Louis XII, il fit appeler en duel Charles de Bourbon, qui par certains rapports avait tâché de le mettre mal dans l’esprit du roi, et l’on ajoute qu’ayant succédé à ce monarque il se souvint si peu de l’inimitié qu’il avait eue pour ce même Charles de Bourbon, qu’il l’éleva à la dignité de connétable [m]. L’amour qu’il eut pour les lettres n’est ignoré de personne ; mais peu de gens connaissaient la particularité qu’on a pu voir là-dessus, dans une lettre d’André Alciat qui n’est devenue publique qu’en 1697 (X). Il y a une autre chose particulière, et d’une plus grande importance, qui n’est connue que depuis peu, c’est que le duc d’Orléans, second fils de François Ier., offrit aux princes protestans d’Allemagne de faire prêcher leur religion (Y) ; on conjecture qu’il fit ces avances avec le consentement de son père [n]. J’ai parlé dans la remarque (N) du désordre que causa la nouvelle mode que François Ier. introduisit dans sa cour, lorsqu’il voulut que les femmes y parussent. On ne saurait mieux représenter ce désordre que Mézerai le représente, c’est pourquoi je ferai voir ci-dessous de quels termes il s’est servi (Z). L’auteur [o] de quelques dialogues, qui ont été imprimés à la Haye, l’an 1700, a fort bien marqué les défauts de ce monarque. C’est dans le dialogue qu’il a supposé entre ce prince et Louis XII. C’est dommage que ce dialogue soit trop court ; on ne peut guère y critiquer que cela. François Ier. fit un règlement qui mérite de servir de texte à une remarque ; je veux dire qu’il abolit la coutume de faire en latin les actes publics (AA). Naudé [p] a touché cela, et plusieurs autres particularités qui concernent l’érudition de ce prince, ses écrits et son affection pour les savans. La dernière chose que j’ai à dire est assez notable. On prétend [q] que François de Paule un jour avant qu’il mourût parla de cette façon à Louise de Savoie : Votre fils sera roi de France, et surpassera en gloire, en richesses, et en bonheur, tous les princes de son siècle, pourvu qu’il s’attache à procurer la réformation de l’église ; mais, s’il ne s’attache pas à cette affaire, il sera très-malheureux. Notez que François de Paule décéda le 2 d’avril 1507, et que Louis XII, qui régnait alors, vécut encore près de huit ans, et qu’il avait une femme qui n’était point stérile [r].

Voici des choses que j’ai recueillies depuis la seconde édition. On a débité faussement, qu’après qu’il eut été fait prisonnier devant Pavie, il fut transporté au château d’Ambres, proche d’Inspruck (BB). Entre les éloges qui lui ont été donnés pour le soin qu’il eut de faire fleurir les lettres, il ne faut point oublier la reconnaissance que les savans lui ont témoignée de ce qu’il avait fait faire d’excellentes éditions (CC). Le passage qu’il fit faire au travers d’une montagne est quelque chose de surprenant (DD). Il me reste quelque chose à dire sur le prétendu serment que certains auteurs satiriques ont supposé qu’il fit au grand-turc (EE), et que j’ai rapporté dans leurs propres termes [s].

  1. * « Cet article, dit Leclerc, est plein de faits nullement prouvés. Les témoignages de Brantôme, de Mézerai, de Varillas, etc., ne sont de nul poids. La discussion de tout ceci me mènerait trop loin de beaucoup. » Gaillard a donné une Histoire de François Ier. 1766-69, 7 vol. in-12, 1769, 8 vol. in-12 ; 1818, 5 volumes in-8o. ; 1819, 4 volumes in-8o. La Bibliothéque historique de la France mentionne beaucoup de lettres ou ouvrages de François Ier. et indique quels sont ceux qui sont imprimés, et où ils le sont. Deux lettres, jusqu’alors inédites, de François Ier. à sa mère, et écrites de sa prison, en Espagne, ont été imprimées pour la première fois dans l’ouvrage ayant pour titre : Mes voyages aux environs de Paris, par J. Delort ; 1821, 2 vol. in-8o. Voyez aussi ci-après la note ajoutée sur le texte, pag. 561.
  2. (*) Cette mort d’un prince plus âgé que lui de peu d’années l’avertissait que lui-même n’irait pas bien loin, et cette réflexion entre autres l’accabla. Voyez les mémoires de du Bellai, sur la fin du liv. X, et M. de Thou, tom. I, pag. 85, B. C. de l’édition de 1626. Rem. Crit.
  3. * La flatterie qui poursuit les rois au delà du tombeau, et l’ignorance qui répète tout sans examen, ont, pour ainsi dire, consacré, depuis très-long-temps, une phrase qu’on attribue à François Ier. : c’est le fameux Tout est perdu fors l’honneur, que ce monarque aurait écrit à sa mère. Voici le texte même de la lettre, telle que vient de la publier M. Dulaure, aux pages 4 et 5 du tome XII de son Histoire physique, civile et morale de Paris.

    « Pour vous advertir comment se porte le ressort de mon infortune, de toutes choses ne m’est demouré que l’honneur et la vie qui est sauve ; et pour ce que, en nostre adversité, ceste nouvelle vous fera quelque peu de resconfort, j’ay prié qu’on me laissât vous escripre ces lettres, ce qu’on m’a agréablement accordé ; vous suppliant ne volloir prendre l’extremité de vous meisme, en usant de vostre accoustumée prudence, car j’ay espoir en la fin que Dieu ne m’abandonnera point ; vous recommandant vos petits enfans et les miens ; vous supplians faire donner seur passage et le retour pour aller et le retour en Espaigne à ce porteur qui va vers l’empereur pour savoir comme il fauldra que je sois traicté. Et sur ce très-humblement me recommande à vostre bonne grace. Vostre humble et obéissant fils François. »

    On peut voir dans le livre même de M. Dulaure d’autres phrases un peu abjectes, extraites d’une lettre écrite par François Ier. à Charles-Quint.

    Ce n’est donc pas sans raison que Bayle parle des éclipses de courage de ce preux tant vanté ; et que Mézerai parle de sa peur. Le tout est perdu fors l’honneur est donc un de ces mots bien trouvés, mais qui ne sont pas vrais. Il en est de même du Fils de saint Louis, montez au ciel (21 janvier 1793), et encore de, La garde meurt et ne se rend pas (18 juin 1815).

  1. Beaucaire, Sponde, Mézerai, Varillas, etc.
  2. Femme de Louis XII.
  3. Il s’engagea au voyage de Milan, entre autres raisons, pour y coucher avec une belle femme. Voyez les Pensées sur les Comètes, pag. 715.
  4. Dans l’article Étampes, remarq. (E).
  5. Voyez l’article de Henri II, t. VIII.
  6. Tome V, pag. 65, remarque (A) de l’article Charles-Quint.
  7. Voyez la remarque (I).
  8. Dans la remarque (Z) de l’article Charles-Quint, tome V, pag. 70.
  9. Voyez dans la remarque (Z) les paroles de Mézerai.
  10. Tome III, pag. 255, remarque (B) de l’article Bellai (Guil. du.)
  11. Mézerai, Histoire de France, tom. II, pag. 1039.
  12. Il est intitulé Avis à l’auteur du Mercure historique et politique. Il fut imprimé, si je ne me trompe, l’an 1689, contre quelque chose que l’auteur du Mercure avait dit de Christine, reine de Suède. Je n’ai pu retrouver cet Avis.
  13. Voyez Camérarius, Médit. historiques, tom. II, chap. XLV, sub fin., pag. m. 194. Il cite du Ferron, in Vitâ Francisci I.
  14. Voyez la remarque (I), vers la fin.
  15. Le même, dit-on, que celui qui a donné les Aventures de Télémaque, c’est-à-dire, M. l’archevêque de Cambrai.
  16. Naudé, Addit. à l’Histoire de Louis XI, pag. 369.
  17. Voyez Richer, Hist. Concil., lib. IV, pag. 101.
  18. Voyez l’article Ferrare, remarque (A), ci-dessus, pag. 435.
  19. Voyez la remarque (I).

(A) Les historiens français...... se plaignent de ce que les écrivains espagnols..., affectent de lui donner l’éloge d’un prince accompli. ] Quelques critiques de M. Varillas auraient voulu qu’il eût imité les historiens... italiens et espagnols, en ce qu’ils ne se sont pas contentés d’exagérer les belles actions de François Ier. ; mais ils ont de plus caché celles qui n’étaient pas louables [1]. Il répond entre autres choses : Qu’ils n’ont pas prétendu obliger François Ier., et qu’ils n’ont écrit en sa faveur que par une fine politique qu’il importe de développer ; et voici comment il la développe. « Ils étaient jaloux de l’accroissement de la France, et ils appréhendaient qu’elle ne poussât ses conquêtes jusque dans leur pays, après qu’elle se serait débarrassée des guerres civiles où elle avait été occupée durant quarante ans. Il n’y avait point d’autre moyen pour l’en détourner, que de persuader aux Français qu’ils ne réussiraient pas mieux à l’avenir contre l’Espagne, l’Allemagne et les Pays-Bas, qu’ils avaient réussi sous le règne de François Ier. ; et pour y parvenir il fallait les accoutumer à lire dans l’histoire de ce prince, qu’il avait fait tout ce qui se pouvait humainement contre la maison d’Autriche, sans qu’il lui eût été possible de l’ébranler ; qu’il n’y avait en rien à redire dans sa conduite ; que les fautes que l’on croyait y avoir aperçues venaient de la monarchie, et non pas du monarque ; c’est-à-dire que François Ier. avait bien apporté tout ce qu’il fallait de son côté pour vaincre Charles-Quint ; mais que la France n’avait pu faire des efforts assez considérables, ni fournir assez d’hommes et d’argent pour une telle victoire ; que ce que l’on imputait au malheur du même François Ier. ne devait être attribué qu’à l’impuissance de son état ; et que si les plus grands capitaines et des plus adroits politiques qui furent jamais, eussent commandé les mêmes armées, et se fussent rencontrés dans les mêmes conjonctures, ils auraient succombé devant Pavie, et se fussent comme lui tirés d’affaire par les traités désavantageux de Madrid, de Cambrai, et de Crépy. Il n’y avait rien de plus aisé aux historiens français que de réfuter une erreur si grossière, en exposant, comme j’ai fait, la vérité toute nue, et en montrant par des titres authentiques, que François Ier. n’avait pas fait à beaucoup près tout ce qu’il pouvait contre Charles-Quint, et qu’il n’avait tenu qu’à lui de le vaincre en plusieurs rencontres ; qu’il y avait eu dans sa majesté très-chrétienne des négligences et des contre-temps qui ne pouvaient être excusés ; que ces irrégularités venaient toujours du monarque, et non pas de la monarchie ; que la faiblesse n’y avait eu aucune part ; et que si le malheur y en avait eu, ce n’avait été que la moindre. Que le tout était presque venu du malentendu, si commun dans l’histoire de France entre les souverains du temps passé et leurs ministres ; et que de meilleurs capitaines et de plus vigilans politiques répareraient un jour ce que François Ier. avait gâté. »

(B) Les tendres cajoleries dont il enchantait la jeune reine. ] Louis XII, qui avait épousé la sœur du roi d’Angleterre, au mois de novembre 1514, mourut le premier jour de janvier suivant, et plusieurs crurent que les trop grandes caresses qu’il avait faites à la jeune reine avaient causé sa mort [2]. Ces caresses, excessives pour un prince aussi délicat que lui, ne l’étaient point pour son épouse qui n’avait que dix-huit ans. Elle écoutait la fleurette tant en français qu’en anglais. Un gentilhomme de son pays l’aimait, et l’avait suivie en France. Elle l’épousa depuis. D’autre côté, elle parut tout-à-fait aimable à l’héritier présomptif de la couronne. Il s’appelait alors le duc de Valois. Voyons ce que Mézerai rapporte. » Le jeune duc de Valois, qui était tout de feu pour les belles dames, ne manqua pas d’en avoir pour la nouvelle reine, et Charles Brandon duc de Suffolk, qui avait aimée devant ce mariage, et qui suivait la cour de France en qualité d’ambassadeur d’Angleterre, n’avait pas éteint sa première flamme. Mais les remontrances d’Artur de Gouffier-Boisy ayant fait prendre garde au duc de Valois, dont il avait été gouverneur, qu’il jouait à se faire un maître, et qu’il devait appréhender la même chose du duc de Suffolk, il se guérit de sa folie, et fit observer de près toutes les démarches de ce duc [3]. » M. Varillas s’est fort étendu sur cette aventure : voici comme il parle, après avoir dit que le comte d’Angoulême [4] eut ordre d’aller épouser à Boulogne la princesse d’Angleterre au nom du roi. « Il ne put s’empêcher d’aimer celle qu’il épousait pour son beau-père [5], comme elle ne put s’empêcher de souhaiter que le ciel lui eût destiné le comte pour mari. La commodité qu’ils avaient de s’entretenir les eût peut-être fait émanciper à quelque chose de plus, si le protonotaire Duprat [6], qui avait été mis auprès du comte, pour modérer en quelque manière les emportemens de sa jeunesse, ne lui eût fait considérer que la nouvelle reine avait intérêt de n’être pas chaste ; parce qu’allant trouver un mari dont tout le monde lui disait qu’elle n’aurait point d’enfans, il était à craindre qu’elle ne succombât à la tentation de tâcher d’avoir un fils, qui lui conservât son rang en France, lorsqu’elle serait veuve, et la dispensât de retourner en Angleterre sous la sujetion de son frère ; mais que pour lui il avait le plus grand de tous les intérêts humains à prendre garde que la reine vécût chastement, bien loin de la solliciter d’incontinence ; puisque si elle avait un fils, quand même ce serait de lui, ce fils l’empêcherait de parvenir à la couronne, et le réduirait à se contenter de la Bretagne que sa femme lui avait apportée ; encore faudrait-il, contre l’ordre de la nature, qu’il en fit hommage à son bâtard. Cette raison ralentit l’amour du comte d’Angoulême, et ne lui fit plus regarder la reine qu’avec des yeux jaloux. Il l’observa de si près, qu’enfin il découvrit l’inclination qu’elle avait pour Suffolk [7]. » M. Varillas rapporte ensuite plusieurs choses très-curieuses concernant les précautions que l’on prit contre Suffolk. Voyez la remarque suivante.

(C) On raconte diversement cette historiette. ] Brantôme ne donne la gloire du sage avertissement ni à Gouffier-Boisy. ni à Duprat, mais à un gentilhomme de sa province. Je suis sûr qu’on aimera mieux ses paroles que les miennes ; ainsi je m’en vais les copier [8] : « On dit que la reyne Marie d’Angleterre, troisiesme femme du roy Louys douziesme, n’en fit pas de mesme [9] ; car se mescontentant et defiant de la foiblesse du roy son mari, voulut sonder le guay prenant pour guide monsieur le comte d’Angoulesme, qui depuis fut le roy François, lequel estoit alors un jeune prince beau et très-agréable, à qui elle faisoit très-bonne chere, l’appellant tousjours monsieur mon beau-fils, aussi l’estoit-il : car il avoit épousé desjà madame Claude, fille du roy Louys ; et de fait en estoit surprise, et lui la voyant, en fit de mesme ; si bien que s’en fallut peu que les deux feux ne s’assemblassent, sans feu M. de Grignaux, gentilhomme et seigneur d’honneur de Perigord, lequel avoit esté chevalier d’honneur de la reyne Anne, comme nous avons dit, et l’estoit encore de la reine Marie ; voyant que le mystere s’en alloit jouër, remonstra à mon dit sieur d’Angoulesme la faute qu’il alloit faire, et luy dit en se courrouçant : Conment Paque Dieu ! (car tel estoit son jurement ) que voulez vous faire ? ne voyez vous pas que cette femme qui est fine et cauteleuse, vous veut attirer à elle, afin que vous l’engrossiez ? et si elle vient à avoir un fils, vous voilà encore simple comte d’Angoulesme, et jamais roy de France, comme vous esperez : le roy son mary est vieux, et à present ne lui peut plus faire d’enfans, vous l’irez toucher, et vous vous approcherez si bien d’elle, vous, qui estes jeune et chaud, elle jeune et chaude, Paque Dieu, elle prendra comme à la glue, et elle vous fera un enfant, et vous voilà bien ; après vous pourrez bien dire adieu ma part du royaume de France : parquoy songez y. Cette reyne vouloit bien pratiquer et esprouver le proverbe et refrain espagnol, qui dit, que nunca muger aguda murio sin herederos ; jamais femme habile ne mourut sans héritiers : c’est-à-dire, que si son mary ne luy en fait, elle s’aide d’un second pour luy en faire. M. d’Angoulesme y songea de fait, et protesta d’y estre sage et s’en desporter ; mais tenté encore et retenté des caresses, et mignardises de cette belle Angloise, il s’y précipita plus que jamais. Que c’est que de l’ardeur de l’amour ! et d’un tel petit morceau de chair, pour lequel on languit, et on quitte et les royaumes et les empires, et les perd-on ! comme les histoires en sont pleines. Enfin M. de Grignaux, voyant que ce jeune homme s’en alloit perdre, et continuoit ses amours, le dit à madame d’Angoulesme sa mere, qui l’en reprima et tança, si bien qu’il n’y retourna plus. » Comparez ces trois relations, vous y trouverez quelques différences ; mais voici le principal point en quoi Brantôme diffère de Mézerai et de Varillas. Il dit que la jeune reine, se voyant veuve, tâcha de supposer un enfant afin d’exclure François Ier. Les deux autres historiens la déchargent de ce crime. Après la mort de Louis XII, on crut que Marie d’Angleterre était grosse, mais on fut incontinent assuré du contraire par le rapport qu’elle en fit elle-même. Voilà les paroles de Mézerai [10]. Voici celles de Varillas [11] : La reine fut observée avec la même exactitude qu’auparavant, tant qu’il y eut lieu de douter si elle était grosse. Mais après qu’elle eut déclaré qu’elle ne l’était point, et que l’on eut des preuves suffisantes pour juger qu’elle disait vrai, le comte d’Angoulême devenu roi, etc. Brantôme va bien tenir un autre langage [12]. « Ce dit-on pourtant, que ladite reyne fit bien ce qu’elle put, pour vivre et regner reyne mère peu avant et après la mort du roy son mary : mais il luy mourut trop tost, car elle n’eut pas grand temps pour faire cette besogne ; et nonobstant faisait courir le bruit après la mort du roy tous les jours qu’elle estoit grosse, si bien que ne l’estant point dans le corps, on dit qu’elle s’enfloit parle dehors avec des linges peu à peu, et que venant le terme, elle avoit un enfant supposé, que devoit avoir une autre femme grosse, et le produire dans le tems de l’accouchement. Mais madame la regente, qui estoit une Savoyenne, qui scavoit que c’est de faire des enfans, et qui voyoit qu’il y alloit trop de bon pour elle et pour son fils, la fit bien esclairer, et visiter par medecins et sages-femmes, et par la veue et descouverte de ses linges et drapeaux, qu’elle fut descouverte, et faillie en son dessein et point reine mère, mais renvoyée en son pays. » Ceci réfute invinciblement ceux qui disent en faveur du roi Jacques [13], qu’il ne peut point monter dans l’esprit d’une personne qui est au milieu d’une grosse cour, et toujours entourée d’une infinité de domestiques, de supposer un enfant. Voilà Brantôme, qui savait son monde autant qu’un autre, et qui connaissait merveilleusement la cour ; le voilà, dis-je, qui nous débite un pareil dessein, comme formé actuellement à la cour de France. C’est une preuve qu’il y a des gens d’esprit qui peuvent s’imaginer qu’il est possible d’en venir à bout.

(D) L’on prétend qu’il lui en coûta la vie. ] Les auteurs français parlent de cela fort librement. L’un d’eux ayant fait mention d’un abcès qui mit ce prince à l’extrémité[14], ajoute : J’ai entendu dire quelquefois qu’il avait pris ce mal de la belle Ferronnière, l’une de ses maîtresses, dont le portrait se voit encore aujourd’hui dans quelques cabinets curieux ; et que le mari de cette femme, par une étrange et sotte espèce de vengeance, avait été chercher cette infection en mauvais lieu pour les infecter tous deux. Le danger étant passé, ce mal le tint encore long-temps en douleur[15]. C’est ainsi que parle Mézerai sous l’an 1539. Voyons ce qu’il dit touchant la dernière maladie de ce monarque. Cet ulcère malin qui lui était venu l’an 1539, n’ayant pu être guéri par ses médecins, qui n’osèrent pas le traiter avec la rigoureuse méthode qu’il faut apporter à ces maux-là, s’était traîné jusqu’au col de la vessie, et commençait à la ronger avec des ardeurs insupportables : tellement que cette douleur et cette infection, qui était répandue par toute l’habitude du corps, lui causaient une fièvre lente, et une morne fâcherie qui le rendaient incapable d’aucune entreprise[16]. Cette fièvre lente, convertie bientôt en continue, l’emporta le 30 de mars 1547. Quoique cet auteur, dans son Abrégé Chronologique, ait dit la plupart des choses qu’on vient de voir, je ne laisse pas de mettre ici ce qu’il répète : on y trouvera de nouveaux faits. « Trois mois après le roi fut grièvement malade d’un fâcheux ulcère, qui lui vint à la partie que les médecins nomment le périnée. Ce mal, disait-on, était l’effet d’une mauvaise aventure qu’il avait eue avec la belle Ferronnière, l’une de ses maîtresses. Le mari de cette femme, désespéré d’un outrage que les gens de cour n’appellent qu’une galanterie, s’avisa d’aller dans un mauvais lieu s’infecter lui-même, pour la gâter, et faire passer sa vengeance jusqu’à son rival. La malheureuse en mourut, le mari s’en guérit par de prompts remèdes. Le roi en eut tous les fâcheux symptômes ; et comme ses médecins le traitèrent selon sa qualité plutôt que selon son mal, il lui en resta toute sa vie quelques-uns, dont la malignité altéra fort la douceur de son tempérament, et le rendit chagrin, soupçonneux et difficile[17]. » M. Varillas, quoique fort court, contre sa coutume, sur une matière comme celle-ci, ne laisse pas d’ôter au lecteur toute la nécessité des supplémens d’imagination[18]. J’ai lu dans Brantôme que le roi communiqua à la reine Claude le mal qu’il avait gagné. Voyez le Calendrier du père l’Enfant[19], vous y trouverez cette vérole de François Ier., gagnée dans le lit de la belle Ferronniére. Cet auteur cite du Verdier en la Vie de ce monarque.

J’ai ouï dire que cette maîtresse n’était appelée la Ferronnière, qu’à cause que son mari était un marchand de fer. Je douterais moins de cela, si je n’avais lu dans Louis Guion que celle qui fut infectée par son mari, et qui infecta le roi, était la femme d’un avocat. Voici les paroles de cet écrivain [20] : « François Ier. rechercha la femme d’un advocat de Paris, très-belle et de bonne grâce, que je ne veux nommer, car il a laissé des enfans pourveus de grands estats, et qui sont gens de bonne renommée, auquel jamais ceste dame ne voulut oncques complaire ; ains au contraire le renvoyoit avec beaucoup de rudes paroles, dont le roi estoit contristé. Ce que connoissans aucuns courtisans et maquereaux royaux, dirent au roy, qu’il la pouvoit prendre d’autorité et par la puissance de sa royauté. Et de fait l’un d’eux l’alla dire à ceste dame, laquelle le dit à son mari. L’advocat voyoit bien qu’il falloit que luy et sa femme vuidassent le royaume, encore auroyent ils beaucoup à faire de se sauver, s’ils ne luy obéissoient. Enfin le mari dispense sa femme de s’accommoder à la volonté du roi ; et afin de n’empescher rien en ceste affaire, il fit semblant d’avoir affaire aux champs, pour huit ou dix jours. Cependant il se tenoit caché dans la ville de Paris, fréquentant les bourdeaux, cherchant la vérole, pour la donner à sa femme, afin que le roy la print d’elle, et trouva incontinent ce qu’il cherchoit, et en infecta sa femme, et elle puis après le roy. Lequel la donna à plusieurs autres femmes qu’il entretenoit, et n’en peut jamais bien guerir, car tout le reste de sa vie il fut mal sain, chagrin, fascheux, inaccessible. » Je m’étonne que Brantôme ne désigne aucune femme particulière dans le passage que je vais citer, où il parle de cette vérole. Le roy François, dit-il [21], aima fort aussi, et trop, car estant jeune et libre, sans différence il embrassoit qui l’une qui l’autre, comme de ce temps tel n’estoit pas galand qui ne fust putassier partout indifféremment, dont il en prit la grande vérole, qui lui avança ses jours, et ne mourut guère vieux, car il n’avoit que cinquante trois ans, ce qui n’estoit rien ; et lui après s’être veu eschaudé et mal mené de ce mal, avisa que s’il continuoit cet amour vagabond, qu’il seroit encore pris, et comme sage du passé, avisa à faire l’amour bien galamment, dont pour ce institua sa belle cour fréquentée de si belles et honnestes princesses, grandes dames et damoiselles, dont ne fit faute que pour se garantir de vilains maux, et ne souiller son corps plus des ordures passées, s’accommoda et s’appropria d’un amour point sallaud, mais gentil, net et pur. Tout aussitôt il parle de l’amour de ce prince pour la demoiselle de Helli, et c’est prétendre que la vérole précéda la prison [* 1]. On ne peut douter que cet écrivain ne le prétende, puisqu’il assure dans un autre endroit [22] que le roi donna à la reine Claude la vérole qui lui avança ses jours. Or cette reine mourut au mois de juillet 1524.

(E) Il lui échappa quelques murmures contre la divine providence. ] Brantôme [23] nous va commenter ce texte. J’ay ouy dire à une dame de ce temps aussi, que de toutes les guerres le roy avoit receues de Charles-Quint, il ne se fascha jamais tant, comme quand il sceut la prise de Saint-Disier [24], et que l’empereur venoit teste baissée avec une si grande armée assieger Paris, qu’il le voyoit desja esbranlé ; il estoit lors un peu malade et gardoit la chambre, et la feue reine de Navarre sa sœur estoit avec luy, et force autres dames. En s’escriant un peu il dit, ah ! mon Dieu, que tu me vends cher un royaume, que je pensois que tu m’eusses donné très-liberalement ! ta volonté pourtant soit faite ! Puis dit à ladite reine, ma mignonne, (car ainsi l’appeloit-il) allez vous en à l’eglise, à complies, et là pour moy faites priere à Dieu, que puisque son vouloir est tel d’aimer et favoriser l’empereur plus que moy, qu’il le fasse au moins sans que je le voye campé devant la principale ville de mon royaume, et qu’il ne soit dit un jour, que mon vassal rebelle me soit venu voir jusques-là, comme son ayeul le duc de Bourgogne fit au roi Louys XI, qui luy donna la bataille si près ; mais pourtant je suis resolu d’aller au devant, le prevenir et luy donner la bataille, où je prie Dieu qu’il me fasse mourir plustost que d’endurer une seconde prison. Il pouvoit bien dire alors, ô couronne, si l’on savoit ce que tu pèses ! etc. [25].

(F) Cette guerre se termina plus tôt que ne l’auraient cru ceux qui ne connaissaient pas à fond l’état des choses. ] La plupart des gens s’imaginaient que Charles-Quint ayant fait de si grands progrès dans la Champagne n’écouterait que des conditions de paix trop honteuses à son ennemi pour être acceptées. Ils n’espéraient donc pas un bon succès de la négociation ; mais ceux qui savaient qu’il serait très-aise de terminer cette guerre eurent beaucoup d’espérance. Tel fut un poëte italien réfugié à Paris : lisez ce passage : Lorsque le roi François Ier. et l’empereur Charles le Quint se trouvèrent en présence l’un de l’autre dans la France, l’an 1544, avec chacun une puissante armée, fort lassés l’un et l’autre de se faire la guerre, quelques grands personnages s’entremirent à faire la paix, qui pour lors se fit entre ces deux grands monarques. Quelques-uns demandèrent à Louis Alamanni, Florentin, s’il croyait que ces personnages pussent faire cette paix, auxquels il répondit en distique italien :

Com’ esser può ch’a noi pace si toglia,
S’un n’ha necessita, l’altro n’ha voglia ?


C’est-à-dire,

Que nous n’ayons la paix, comment se peut-il faire,
Vu qu’elle plaît à l’un, à l’autre est nécessaire [26] ?


Il n’y avait rien de plus juste que ce raisonnement, et il n’y a point de pronostic [27] d’une paix prochaine, plus assuré que le besoin où se trouvent les parties de faire cesser la guerre. Le défaut d’argent produit une lassitude qui n’est pas moins opérative que la satiété. On fait comme la femme de l’empereur Claude [28] : on se retire sans être soûlé ; mais on est las. Avant cela on faisait la sourde oreille aux médiateurs : alors on les prie d’agir, ou plutôt on se passe d’eux, on négocie en droiture ; on convient du principal, on conclut, ou sans leurs offices, ou en ne les employant que par forme. Voici ce qu’on lit dans un historien de la paix des Pyrénées [29] : Sur le sujet de cette paix, ainsi conclue sans l’intervention de ceux qui l’avaient moyennée de longue main, on s’est souvenu d’un mot que dit un jour le pape Innocent : comme il était à une fenêtre de son palais sur la place Navone, il y vit deux hommes de basse condition qui se battaient outrageusement à coups de poing, il défendit qu’on les séparât, ajoutant, vous verrez que, quand ils seront las, ils s’apaiseront eux-mêmes ; ce qui étant arrivé peu après, ainsi seront, reprit-il, les Français et les Espagnols ; quand ils seront bien las de faire la guerre ensemble, ils feront la paix entre eux sans l’entremise de qui que ce soit.

(G) Il fut mal servi par sa propre mère. ] Elle était de la maison de Savoie. Je ne parlerai que de deux choses qu’elle fit au grand préjudice de la France. Elle se fit donner l’argent qu’on avait promis à Lautrec, gouverneur du Milanais, ce qui fut cause qu’on perdit ce pays-là ; et lorsqu’elle vit François Ier., fort en colère de cette perte, demander raison de cet argent au trésorier de l’épargne [30], elle nia tout court qu’on lui eût représenté la destination de ces sommes. Le démenti qu’elle donna à ce trésorier fut cause que ce pauvre misérable fut pendu [31]. Quel mal ne causa-t-elle pas à la France, par l’envie d’épouser Charles de Bourbon ? Le dépit de voir ses avances méprisées la porta à persécuter ce prince par mille chicanes de palais, qui l’outrèrent jusques au point qu’il traita avec l’empereur, et qu’il alla commander en Italie contre les intérêts de la France et contre la personne même de François Ier. à la journée de Pavie [32].

(H) On ne saurait excuser... les mensonges qui furent semés dans l’Europe sur l’alliance du Turc. ] J’ai parlé ailleurs [33] de la harangue que Charles-Quint fit à Rome, l’an 1536. Ajoutons ici que les copies qu’il en fit tenir aux princes de l’Empire et aux villes impériales, étaient différentes, et même contraires les unes aux autres [34]. Il retrancha dans les copies destinées aux protestans ce qui leur pouvait déplaire, et y ajouta des choses qui devaient leur être agréables. Il répandit des émissaires dans tous les cercles de l’Empire, pour y publier que le roi de France avait fait brûler à petit feu tous les sujets de l’Empire qui s’étaient trouvés dans son royaume pour trafiquer, ou pour voyager, et qu’il avait traité de même tous les Français qui avaient demeuré en Allemagne : Qu’il avait fait ligue offensive et défensive avec les Turcs : et que c’était de concert avec eux qu’il avait usurpé la Savoie et le Piémont, afin d’attirer dans ces deux provinces toutes les forces de la chrétienté, et de faire naître à Soliman l’occasion de donner sur l’Allemagne, pendant que l’empereur serait occupé vers les Alpes. Ces impostures, qui ne se disaient au commencement qu’à l’oreille, devinrent ensuite le sujet des prédications, et furent autorisées par des libelles approuvés des magistrats ecclésiastiques et séculiers. La calomnie, toute grossière qu’elle était, eut des effets surprenans, et l’Allemagne entière en fut prévenue en moins de quinze jours. Le plus fameux de tous ces libelles fut celui qui se débita dans Nuremberg, avec privilége de l’empereur. Il portait pour devise une épée environnée de flammes, et contenait un défi à feu et à sang de l’empereur au roi et à toute la nation française, s’ils ne renonçaient dans quinze jours à l’alliance des Turcs. Ce libelle fut suivi d’un autre de même nature, qui marquait le jour qu’avait été fait ce défi prétendu, et le nom du hérault, avec quelques circonstances qu’on disait avoir été tirées de son procès verbal ; et comme personne ne se mettait en devoir de découvrir la fourbe, elle eut tout son effet, puisqu’elle jeta dans les esprits des semences de haine contre la France, qui y demeurèrent après même qu’on les eut désabusés..... Langey trouva ces libelles à son arrivée dans Francfort, et y fit deux réponses, l’une en allemand et l’autre en latin. Il se prévalut admirablement de la conjoncture que les marchands de tous les cercles de l’Empire retournaient de la foire de Lyon. Il les fit comparaître devant le magistrat de Strasbourg : et leurs dépositions furent imprimées et envoyées de tous côtés. Elles portaient qu’on les avait traités en France avec toute sorte d’humanité : que le défi de l’empereur était une fable : et que bien loin que les Français outrageassent sans sujet les Allemands, ils ne les recherchaient pas même pour le fait de la religion. Ainsi l’imposture céda à la vérité [35].

Voici une autre imposture encore plus étonnante. « Frégos [36] et Rincon [37] s’étaient défaits de leurs papiers à la sollicitation de Langey ; et ceux qui les avaient tués [38], principalement pour avoir ces papiers, furent tout-à-fait surpris de n’en trouver aucun. Ils s’en fussent pourtant consolés, si le meurtre fût demeuré dans les ténèbres ; mais après que Langey l’eut rendu plus clair que le jour, le conseil de l’empereur en Italie prévit que la France en tirerait de grands avantages par toute l’Europe, surtout dans l’Allemagne, où l’on avait plus d’égard à la foi publique qu’ailleurs, s’il n’y remédiait par une imposture. Il feignit que des pêcheurs avaient trouvé dans le Pô les hardes et les cassettes des ambassadeurs, et forgea sut ce mensonge des instructions et des chiffres à sa mode, qu’il publia comme ayant été collationnés aux originaux. L’instruction, qu’on attribuait à Frégose, contenait tous les moyens que la politique pouvait inventer, pour exciter le sénat de Venise à se détacher des intérêts de l’empereur. On y proposait le partage du duché de Milan entre les Français et les Vénitiens, et l’on ne parlait en aucune manière de conserver à l’empereur la souveraineté de cet état ; au contraire on disposait des villes et de leurs banlieues comme devant être incorporées au domaine de la république et à la monarchie française, qui ne relevaient de personne. L’instruction, imputée à Rincon, était encore pire, en ce qu’elle ajoutait l’impiété à la malice. On y proposait à Soliman de convenir avec la France, pour attaquer en même temps la maison d’Autriche par deux endroits ; et pour lui rendre cette correspondance plus nécessaire, on l’avertissait en secret que la Hongrie, qu’il venait de conquérir, lui échapperait sans doute l’été suivant, s’il donnait le loisir à l’empereur de tirer ses forces de Sicile, de Naples, de Milan et des Pays-Bas, et de les joindre à l’armée formidable que la diète de Ratisbonne ne manquerait pas de lui accorder ; au lieu que si sa hautesse voulait s’engager à marcher en personne au printemps avec trois cent mille hommes, pour entrer dans l’Allemagne, le roi se jetterait dans le duché de Milan avec cinquante-mille hommes, et tiendrait occupées par cette diversion les forces de l’empereur, durant que sa hautesse, prenant au dépourvu les Allemands, et les trouvant divisés sur la religion, en aurait aussi bon marché qu’elle avait eu des Hongrois la précédente campagne. L’artifice des Impériaux était si grossier, qu’il ne fallait qu’un peu de lumière pour le découvrir, parce que non-seulement ils n’offraient point de produire les originaux ; mais encore ils donnaient lieu de les soupçonner d’avoir commis le meurtre, en avouant dans une conjoncture si délicate d’en avoir profité. Cependant il fit sur la diète de Ratisbonne toute l’impression qu’on s’en était promise ; et François Ier. y passa pour un prince prêt de renoncer à sa religion et à son honneur, pourvu qu’on l’aidât à démembrer de l’empire le duché de Milan. Son ambassadeur Olivier fut écouté avec une prévention qui fit prendre à contre-sens toutes les paroles sorties de sa bouche, et ce ministre eut le déplaisir de s’en retourner sans rien obtenir, après avoir vu accorder à l’empereur près de quatre-vingt mille hommes, pour être employés selon qu’il le jugerait à propos [39]. »

Je renvoie à M. de Wicquefort [40] tous ceux qui voudront apprendre à juger bien sainement de cette conduite ; mais je ne sais à qui renvoyer ceux qui auraient des dispositions à gémir, en considérant que des calomnies si diaboliques et si grossières ont été si avantageuses à leurs auteurs. C’est un grand sujet de scandale, il faut l’avouer ; mais ainsi va le monde : il faut adorer ces grands et profonds mystères de la providence, sans en murmurer. Finissons par cette petite réflexion : notre siècle ne nous fournit point d’exemple des impostures que M. Varillas rapporte ; car parmi tant de libelles dont les auteurs anonymes supposent tout ce qu’il leur plaît, on ne voit pas de fausses suppositions revêtues de l’autorité, comme étaient celles que la cour de Charles-Quint savait fabriquer.

(I) Il ne se peut rien voir de plus affreux...... que le serment qu’on supposa que François Ier. avait fait au grand-seigneur. ] Tout le monde se souvient encore de la harangue que le marquis de Rebénac fit au pape, l’an 1692, pour représenter le mal que pouvait causer au catholicisme l’alliance de l’empereur et du roi d’Espagne avec les princes protestans. L’anonyme, qui publia une réponse à cette harangue, n’oublia point d’objecter que Francois Ier. fut ligué avec les Turcs contre Charles-Quint. L’on ne sera peut-être pas fâché, ajoute-t-il [41], de voir ici la formule du serment que ce prince fit au sultan Soliman, pour affermir cette infâme alliance, qui subsiste encore, et qui semble avoir été resserrée par des liens indissolubles sous Louis XIV. Je sais bien que vous n’en rougirez pas ; car s’il n’y eut pour lors que le chancelier du Prat, qui fut assez religieux pour le désapprouver, il est à croire qu’à présent que votre cour s’est élevée au-dessus de toutes les lois divines et humaines, il n’y a plus de sacrilége ni d’impiété qui soient capables de lui inspirer de l’horreur. Permettez-moi seulement de prier ici le lecteur de me pardonner, si j’expose à ses yeux un objet qu’il ne pourra envisager sans frémir, et qu’une nuit éternelle devrait avoir dérobé pour jamais à la connaissance de tous les chrétiens. La voici : Per Deum magnum et altum, misericordem et benignum, formatorem cœli et terræ, et omnium quæ in eis sunt : et per sancta hæc Evangelia : per sanctum Baptisma, per sanctum Joannem Baptistam, et per fidem christianorum, Promitto et Juro, quòd omnia quæ novero, aperta erunt Altissimo Domino sultano Solimano, cujus regnum Deus fortificet. Ero amicus suorum unicus, et inimicus inimicorum. Ero redemptor captivorum Turcarum ex vinculis hostium ejus : nihil in meâ parte fraudulentum erit. Quod si hoc neglexerim, ero apostata, et mandatorum sancti Evangelii christianæque fidei prævaricator ; Dicam Evangelium falsum esse ; Negabo Christum vivere, et matrem ejus Virginem fuisse ; super fontem Baptismatis porcum interficiam, et altaris præsbiteros maledicam ; super altare fornicabor cum luxuriâ ; et sanctorum patrum maledictiones in me recipiam. Ita me Deus respiciat ex alto. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’exagérer ici sur l’énormité de ce serment.

Je trouve deux choses à redire dans le procédé de cet écrivain ; l’une est qu’il ne cite personne ; l’autre est qu’il n’a pas traduit en langue vulgaire la formule qu’il rapporte. Quand il n’a été question que de dire en général que François Ier. avait fait une alliance avec la Porte, notre anonyme [42] n’a pas oublié de citer les Mémoires de Ribier. D’où vient donc que s’agissant d’une circonstance beaucoup plus atroce, il n’a cité aucun auteur ? Il aurait fallu citer, pour bien faire, ou un écrivain français, ou un écrivain tout-à-fait neutre entre la maison d’Autriche et la France ; mais, au pis aller, il aurait fallu nous dire qu’un tel auteur espagnol, ou belge, ou allemand, a inséré ce serment dans son ouvrage, et a indiqué les voies par où l’on avait découvert ce beau mystère. Notre anonyme, n’ayant rien fait de semblable, donne à connaître qu’il n’a osé déclarer d’où il a tiré la formule, et qu’il a bien vu qu’en le déclarant il décréditerait toute son autorité. Il semble aussi avoir usé d’artifice en ne donnant point une traduction française de la formule : il a craint peut-être de faire sentir la supposition à trop de gens. Quoi qu’il en soit, voici ce que signifie le latin qu’il a publié. « Par le Dieu grand et haut, miséricordieux et bénin, auteur du ciel et de la terre, et de toutes les choses qui y sont, et par ces saints Évangiles, par le saint baptême, par saint Jean Baptiste, et par la foi des chrétiens, je promets et jure que tout ce que je saurai sera manifesté au Très-Haut Seigneur sultan Soliman, dont Dieu veuille fortifier le règne. Je serai l’ami unique des siens, et l’ennemi de ses ennemis. Je rachèterai les prisonniers turcs des liens de ses ennemis. Il n’y aura aucune fraude de mon côté. Que si je néglige ces choses, je serai un apostat, et un prévaricateur des préceptes du saint Évangile et de la foi chrétienne ; je dirai que l’Évangile est faux, je nierai que Jésus-Christ vive, et que sa mère ait été vierge ; je tuerai un pourceau sur les fonts du baptême, et je maudirai les prêtres de l’autel, je paillarderai sur l’autel avec la luxure, et je recevrai sur moi les malédictions des saints pères. Ainsi Dieu me regarde d’en haut. » Je ne sais si aucune personne de bon sens, et versée dans la connaissance des choses, serait capable de s’imaginer que cette formule ait jamais été dressée entre les ministres de France et ceux de la Porte [43]. Tout y choque la vraisemblance, rien n’y est digne ni de la gravité de Soliman, ni de celle de François Ier. Le grand-seigneur se serait bien contenté des formules ordinaires : il était trop habile homme, pour ne savoir pas qu’il lui serait avantageux d’avoir un tel allié.

On m’objectera peut-être que c’est la coutume des sectateurs de Mahomet de prescrire cette forme de serment, et j’avoue que l’on reprocha aux Vénitiens d’en avoir prêté un semblable en la personne du bâtard de Chypre. Mais cela ne servirait tout au plus qu’à éluder l’observation accessoire que je viens de proposer en passant. C’est d’ailleurs une question si les Vénitiens acquiescèrent au formulaire, et s’il est possible d’en donner de bonnes preuves. Quoi qu’il en soit, comme l’ouvrage où on leur fit ce reproche pendant qu’ils étaient en guerre avec Louis XII est assez rare, je mettrai ici la teneur de ce serment. « Ledit bastard feit un horrible, execrable et tresdamnable serment audit souldan : lequel depuis fut translaté de langue arabique en latin, et apporté au pape Pie par aucuns chevaliers de Rhodes, pour laquelle cause il ne voulut onques recevoir les ambassadeurs dudit Jacques comme ambassadeurs du roy chrestien : ainçois le leur reprocha bien asprement. Puis donques que les Vénitiens s’en font heritiers, n’est il pas nécessaire qu’ils fassent le semblable serment que ledit Jaques feit en la maniere qui s’ensuit ?

« Premierement il invoqua le nom de Dieu tout puissant par quarante fois, et puis dit ainsi : Par le grand Dieu haut misericordieux et benin, formateur du ciel et de la terre, et de toutes choses qui sont en elles : et par ces saints Evangiles : par le saint baptesme : par saint Jean Baptiste, et tous les saints : et par la foy des chrestiens : Je promets et jure que toutes les choses que je sauray seront descouvertes à mon souverain seigneur Alleseraph Asnal, souldan d’Egypte et empereur de toute Arabie, duquel Dieu vueille fortifier le royaume, et que je seray amy de ses amis, et ennemy de ses ennemis, je ne luy celeray rien. Et ne souffriray nulz coursaires en mon royaume : ny ne leur bailleray vivres ne ayde. Tous les Égyptiens qui sont esclaves en mon regne, je les racheteray et mettray à pleine liberté : j’offriray tous les ans le premier jour du moys d’octobre ou de novembre, en forme de tribut aux souverains temples de Hierusalem et de Lameca, la somme de cinq-mille ducatz d’or : je garderay que les Rhodiens ne baillent nulles armes aux pirates. Tout ce qui surviendra de nouveau digne d’estre sceu, je le feray asavoir au souldan en juste verité sans fraude nulle. Et si je faux en aucune des choses dessusdites, je seray apostat de la foy chrestienne et des commandemens des saints Évangiles : je nierai que Jesus-Christ vive, et que sa mere fust vierge : je tueray sur les fons de baptesme un camel : et maudiray les prestres de l’église : je renieray la divinité : et adoreray l’humanité : je feray fornication sur le grand autel auecques une Juive : et recevray sur moy toutes les maledictions des saints peres. Marc Corrario Venitien, duquel depuis ledit roy bastard espousa sa fille à sa male santé, n’estoit il point present à voir faire ledit serment et hommage ? dont sans nulle faute il est vraysemblable, quilz tiennent Cypre à mesmes conditions, puis quilz ont usurpé le titre[44]. »

(K) Il courut un mensonge….. touchant une…… invention de recouvrer les otages que François Ier. avait donnés. ] François Ier. en sortant de sa prison livra ses deux fils aux Espagnols : il ne pouvait les retirer que sous une condition qui lui était désavantageuse, car on les voulait retenir jusques à ce que le traité de Madrid fût exécuté. Il y eut des gens, ou assez sots, ou assez malins, pour répandre dans le monde qu’il faisait venir un magicien allemand, qui transporterait d’Espagne en France les deux otages, sans que personne s’en aperçût, et qui ferait une infinité d’autres miracles. Vous trouverez cette sottise dans une lettre d’Agrippa ; car c’est lui qui a écrit cette lettre, encore que le titre porte, dans l’édition in-8., Amicus ad Agrippam. C’est une transposition des mots : il faut lire, Agrippa ad amicum : elle fut imprimée sous ce titre, avec les trois livres de la Philosophie occulte, l’an 1533, comme le remarque Gabriel Naudé, à la page 410 de l’Apologie des grands hommes. Voici les paroles d’Agrippa : Accersitus est è Germania non modicis sumptibus vir quidam dæmoniorum, hoc est Magus, in quo potestas dæmonum inhabitat, ut, sicut Jamnes et Mambres restiterunt Moysi, sic iste resistat Cæsari. persuasum enim est illis a patre mendaciorum, illum futurorum omnium præscium, arcanorum quorumcunque consiliorum conscium, ac deliberatarum cogitationum interpretem : tantâ prætereà præditum potestate, ut possit regios pueros reducere per aëra, quemadmodum legitur Abakuk cum suo pulmento traductus ad lacum leonum, possetque, sicut Helisæus obsessus in Dothaim, ostendere montes plenos equorum et curruum igneorum, exercitumque plurimum : insuper et revelare ac transferre thesauros terræ, quasque volet coget nuptias amoresque, aut dirimet, deploratos quoque curabit morbos stygio pharmaco [45]. La lettre fut écrite de Paris le 23 de février 1528. Il remarque même que les cardinaux et les évêques consentaient au dessein de faire venir le magicien, et fournissaient aux frais de la récompense : Huic tam nefario idololatriæ et sacrilegorum artifici audaciam præstat, quæ istis tam impensè favet orthodoxa illa mater, et christianissimi filii accommodatur autoritas, et è sacris pecuniis largiuntur munera, conniventibus etiam atque tam nefariam operam conducentibus columnis ecclesiæ, episcopis et cardinalibus, et impietatis ministro impii applaudunt proceres, quemadmodum operibus lupi congratulantur corvi [46].

Jean Wier, disciple d’Agrippa, rapporte une partie de ces beaux contes, je veux dire ce qui concerne l’enlèvement des otages. Quemadmodum dicitur, quo tempore Francisci primi regis Galliæ filii detinebantur obsides in Hispaniâ, magum in Galliam evocatum è Germaniâ fuisse, qui tantâ credebatur præditus potestate ; ut posset regios pueros per aëra reducere, thesaurosque investigare et transferre [47]. Le comte de la Roca [48] n’ignorait point ce passage de Jean Wier : ce n’est pas qu’il eût lu les livres de cet auteur, il avait seulement vu que Bodin en cite cet endroit-là ; mais il a eu tort de se contenter de dire que Bodin en a parlé, il fallait qu’il ajoutât que Bodin rejette cela comme une fable. Il me suffist, ce sont les paroles de ce jurisconsulte français [49], de convaincre Wier par ses propos mesmes, et par ses livres. Car luy mesmes [* 2] escrit, qu’il a veu les hommes transportez en l’air par les diables, et qu’il n’y a point d’absurdité ; et au mesme lieu il escrit une chose fausse, qu’on alla chercher en Allemaigne un sorcier, qui promettoit tirer du chasteau de Madry les enfans du roy François, et les faire transporter en l’air, d’Espagne en France : mais qu’il n’en fut rien fait, parce qu’on craignoit qu’il leur fist rompre le col. Je n’ai point trouvé cette dernière circonstance dans le livre de Jean Wier. Je me sers de l’édition d’Amsterdam, 1660.

(L) J’ai lu un autre mensonge bien grossier, qui se rapporte à... l’an 1544. ] Jean Saxon, recteur de l’académie de Wittemberg, faisant afficher un programme, le 12 d’octobre 1544, déclara entre autres choses que ce n’était point le hasard, mais la justice de Dieu, qui était cause des malheurs dont la France était accablée. L’empereur, dit-il, s’est approché de Paris : la reine de France et le dauphin lui ont été au-devant, pour lui faire de très-humbles supplications. Non casu jam Gallia miserabiliter vastatur, et rex potens venit in tantum discrimen ut cùm Carolus imperator accesserit ad Lutetiam usque, supplices occurrerint regina et delphinus, ut ante paucos annos ad Carolum Burgundum venit supplex rex franciæ Ludovicus, cui induit dux Carolus Burgundicum thoracem cui confessio victoriæ inscripta erat, vivat dux Burgundiæ [50]. Ces deux faits mis en parallèle sont faux : le premier absolument et sans nul mélange de vrai, l’autre dans ses principales circonstances ; car lorsque Louis XI fut contraint de suivre à Liége le duc de Bourgogne, il ne l’avait pas été trouver en forme de suppliant, il avait demandé une conférence, parce qu’il avait espéré de le duper. C’est une honte que le recteur d’une illustre académie ait débité dans un programme une fausseté qui serait indigne de la Gazette.

(M) Ce n’est pas la seule fable qu’on ait fait courir par rapport à ce temps-là. ] « Combien de romans n’a-t-on point fait du roi François Ier. ? N’est-on pas venu jusqu’à dire qu’il s’est battu en duel avec l’empereur, et que ce prince passant par la France, le roi, par une générosité sans exemple, lui offrit son royaume ? Que Charles avait un jour occupé le trône des Français, qu’il avait fait condamner un criminel, et lui avait après donné grâce, pour marquer son autorité [51] ?

(N) Il fut auteur... de la coutume que les femmes prirent d’aller à la cour. ] On lira sans doute avec joie ce que je m’en vais citer. Un jour, c’est Brantôme qui parle [52], entretenant un grand prince de par le monde des grandes vertus de François Ier..... il m’en dit tout plein de bien : mais il le blasma fort de deux choses, qui avoient apporté plusieurs maux à la cour, et en la France, non-seulement pour son regne, mais pour celuy des autres roys ses successeurs ; l’une pour avoir introduit en la cour les grandes assemblées, abord et residence ordinaire des dames ; et l’autre pour y avoir appelé, installé et arresté si grande affluence de gens d’eglise. Pour le regard des dames, certes il faut avouer qu’avant luy elle n’y abordoient ny frequentoient que peu, et en petit nombre. Il est vray que la reyne Anne commença à faire sa cour des dames plus grande que des autres precedentes reynes, et sans elle le roy son mary ne s’en fust gueres soucié ; mais ledit roy François venant à son regne, considerant que toute la decoration d’une cour estoit des dames, l’en voulut peupler plus de la coustume ancienne. Brantôme nous apprend de quelles raisons se servait le prince critique. S’il n’y eust eu que ces dames de cour, disait-il [53], qui se fussent débauchées, c’eust esté tout un ; mais elles donnoient tel exemple aux autres de la France, que se façonnant sur leurs habits, leurs grâces, leurs façons, leurs dances et leurs vies, elles se vouloient aussi façonner à aimer et paillarder, voulant dire par-là, à la cour on s’habille ainsi, on danse ainsi, on y paillarde aussi, nous en pouvons faire ainsi. À l’égard des prélats il disait [54] : Que commençans alors à se debaucher et deregler ils donnerent exemple aux autres de la France d’en faire de même, et qu’il eust mieux valu qu’ils eussent esté en leurs dioceses à prescher leur troupeau [55]. Brantôme réfute toutes ces raisons : il soutient qu’avant le règne de François Ier., la corruption n’était pas moindre ni parmi les femmes, ni parmi les gens d’église [56], et qu’on n’avait vu qu’hérésies et brouilleries en France, depuis que les sermons étaient devenus fréquens [57]. Voyez les réflexions de M. Jurieu, sur tout ceci [58].

(O) On a eu grand tort de l’accuser de trop d’indulgence pour les luthériens. ] Vous verrez cette accusation très-fortement réfutée dans ces paroles de Mézerai : « L’infection des erreurs s’augmentant, le roi fit rallumer les feux pour en purger la France. Il en était resté du levain à Meaux, depuis que l’évêque Briconnet y avait retiré le Fèvre et les Roussels. Il y en fut pris plus de soixante qu’on amena à Paris, dont quatorze furent brûlés, les autres pendus, les autres fouettés et bannis. Procédés qui, joints à tous les autres semblables que j’ai marqués ci-dessus, convainquent évidemment de mensonge cet auteur italien qui a écrit nos guerres civiles de la religion et de la ligue [59], lequel par une grossière oubliance ou par une insigne malice a dit en son premier livre : que du temps de ce roi commença de s’épandre la créance de Calvin, soit qu’il le permît, soit qu’il n’y prit pas garde : et que l’on eut plutôt de la peine et du mépris pour elle, que de l’appréhension et du soin de s’en défendre. Quoi donc, faire six ou sept rigoureux édits pour l’étouffer, convoquer plusieurs fois le clergé, assembler un concile provincial, dépêcher à toute heure des ambassades vers tous les princes de la chrétienté pour en assembler un général, brûler les hérétiques par douzaines, les envoyer aux galères par centaines, et les bannir par milliers : dites-nous, je vous prie, est-ce là permettre, ou n’y prendre pas garde ? sont-ce de simples résolutions, ou bien des effets ? Cela vous avertira, judicieux lecteur, de lire cet étranger avec un peu plus de précaution, et vous donnera peut-être le sujet d’y remarquer quantité d’autres fautes que les curieux ne lui doivent pas pardonner, puisqu’il a ainsi parlé du père des bonnes lettres [60]. » Il serait à souhaiter pour la gloire de ce monarque, que la cause de M. de Mézerai ne fût pas si bonne. Un historien, à qui les ténèbres des préjugés ne cacheraient pas les idées de la droiture et des lois universelles de l’ordre, souhaiterait que les reproches de Davila fussent bien fondés,

Juvat, dirait-il, hæc opprobria nobis,
Et dici potuisse, et non potuisse refelli [61] ;


mais malheureusement je n’ai que trop de raisons d’accuser de calomnie cet Italien : pourquoi faut-il que je l’en puisse convaincre par tant de preuves [62] ? Tout homme qui a les idées de la véritable gloire, et qui a du zèle pour la mémoire de Francois Ier., tiendra ce langage, soit qu’il fasse profession du protestantisme, soit qu’il vive dans la communion romaine ; car il n°y a rien de plus détestable que d’employer les supplices contre ceux qui ne se séparent d’une religion que par la crainte d’offenser Dieu, et qui dans tout le reste se comportent en très-bons sujets ; il n’y a rien de plus raisonnable que de laisser à Dieu seul l’empire de la conscience.

Opposons à Davila ce passage de Brantôme. Les luthériens et ceux de la nouvelle religion ont voulu beaucoup de mal à François Ier., et c’est ce qui leur a donné possible grand sujet de medire ainsi de lui comme ils ont fait, tant ceux de ce temps-là que d’aujourd’hui, parce qu’il en a fait faire de grands feux, et en espargna peu d’eux qui vinssent à sa connoissance ; et dit-on que c’a été le premier qui a montré le chemin à ces bruslemens, d’autant qu’il s’en parloit peu du temps de ses predecesseurs, dieu merci, que Luther n’étoit point encore venu, premier et nouveau heretique, qui eut grande vogue parmi la chretienté, encore qu’il y en eût eu aucuns auparavant. Je laisse cela à ceux qui le savent mieux que moi. Ce grand roi pourtant, nonobstant tous ces feux et bruslemens, se rendit protecteur de Genève, lorsque Charles duc de Savoye la voulut assieger, voire l’eust prise ; ce qui luy porta grand dommage de toutes ses terres que les Bernois luy prirent ; en quoy l’on blasma fort sa dite majesté, et d’y avoir envoyé dedans pour secours, des bandes du seigneur Rance de Lore. Accordez-moy un peu ces feux avec cette protection [63].

(P) François Ier. fut fort utile aux protestans. ] Nous venons de voir qu’il sauva la république de Genève, la métropole des réformés, leur mère qui envoyait ses apôtres et ses livres en France, et ses conseils de toutes parts pour le soutien de la cause, Cette démarche de François Ier. agrandit le canton de Berne, de quoi la réformation se ressent encore. Il rendit de bons services à la ligue de Smalcalde directement, et plus encore indirectement ; car il fut cause que Charles-Quint ménagea en cent rencontres les protestans d’Allemagne, afin de les détacher des intérêts de la France. Comme il est plus conforme aux principes de la religion et de la piété, de reconnaître le doigt de Dieu, je veux dire une influence particulière de la providence, dans l’établissement de la réforme, j’approuve ceux qui en jugent ainsi ; mais je ne saurais m’empêcher de dire qu’il y a des gens de bon sens, qui croient que la seule concurrence de Charles-Quint et du roi de France était plus que suffisante, pour fournir aux protestans les moyens de se maintenir ; et que si Luther a eu de plus grands succès que tant d’autres réformateurs dont il avait été précédé, c’est parce qu’il s’est mis au monde sous les auspices favorables de l’émulation de François Ier. et de Charles-Quint, deux princes qui pour se contrecarrer favorisaient tour à tour sa nouvelle secte. Or, dès qu’elle fut bien ancrée en Allemagne, elle envoya assez de secours aux calvinistes de France pour disputer le terrain, etc. La question que fait Brantôme sur le peu d’accord qui se trouve entre brûler une centaine d’hérétiques, et protéger leur nid, leur centre, leur métropole, embarrasse tous ceux qui ne savent pas que c’est une des plus fréquentes scènes de la grande comédie du monde. C’est ainsi que de tous temps les souverains se sont joués de la religion : ils jouent à ce jeu-là encore aujourd’hui, ils persécutent chez eux ce qu’ils font triompher dans d’autres pays autant qu’il leur est possible. N’allez pas dire sous ce prétexte qu’ils n’ont point de religion. Cela n’est pas vrai : ils en ont souvent jusqu’à la bigoterie : qu’est-donc ? ils ont encore plus à cœur le bien temporel de leur état, que le règne de Jésus-Christ [64]. Je n’en excepte point le pape, et je pense qu’il ne fut guère plus content que François Ier. des progrès de l’empereur contre la ligue des protestans. Citons Mézerai. « Le bruit des armes de l’empereur donnait l’épouvante à toute la chrétienté ; le pape même tremblait de peur qu’ayant subjugué l’Allemagne il ne passât en Italie. Quand François eut donc bien considéré les conséquences de la ruine des protestans, il changea d’avis et fit ligue avec eux, s’obligea de recevoir le fils aîné du duc de Saxe en France, et de lui permettre en particulier l’exercice de sa religion, promit d’envoyer 100,000 écus à son père et autant au landgrave de Hesse, eu attendant qu’il pût les assister de troupes [65]. » N’était-ce pas avoir un beau zèle pour sa religion ? Il faisait brûler de petits particuliers, parce qu’ils n’allaient pas à la messe, et il donnait de puissans secours à des princes qui avaient aboli la messe dans leurs états. C’était attaquer le parti par les girouettes, c’était lui enlever quelques tuiles et quelques pierres, ou lui piller quelques bicoques, pendant qu’on lui bâtissait des forteresses, et des places d’armes [66]. Joignez à ceci la remarque (AA) de l’article Henri II, et la remarque de l’article Surgier.

(Q) M. Varillas fait là-dessus un anachronisme. ] Car il suppose [67] que lors que François Ier. fit mourir six luthériens, le 19 de janvier 1535, la monarchie française était plus dangereusement ébranlée par l’Institution de Calvin, qu’elle ne l’avait jamais été par les Anglais, et par la maison d’Autriche. Nous avons montré ci-dessus [68] que Calvin se détermina à publier cet ouvrage, afin de réfuter les calomnies que l’on répandait contre ceux que François Ier. faisait mourir ; qu’on répandait, dis-je, pour adoucir les protestans d’Allemagne, fort choqués du dernier supplice des six luthériens

(R) Les déplaisirs de François Ier. à l’occasion de ses enfans, ne furent pas la plus petite de ses angoisses. ] L’aîné s’appelait François. Il était né au château d’Amboise, le 28 de février 1518 [69]. Il fut empoisonné dans une tasse d’eau fraîche, par Sébastien Montécuculi, et il mourut au château de Tournon, le 10 d’août 1536 [70]. Le roi son père porta cette mort si impatiemment, que de longtemps il ne s’en put remettre, car il avoit très-grande esperance et une bonne opinion de ce fils. Monsieur de Bellai le raconte fort bien en ses Mémoires [71]. Le second fils de François Ier. régna après lui sous le nom de Henri II. Il ne faut point douter qu’il ne donnât beaucoup de chagrins à son père, lorsqu’il entretenait correspondauce avec Montmorenci disgracié, et qu’il formait une faction contre la duchesse d’Étampes, favorite de son père. Il forma cette faction avec Diane de Poitiers, sa maîtresse, et l’on ne saurait dire le mal que ces deux femmes causèrent par leurs jalousies [72]. Si la division qui régna entre la maîtresse du père et la maîtresse du fils, causa des chagrins au roi, la discorde qu’il y eut entre le dauphin et son frère le duc d’Orléans, ne fut pas une source moins féconde d’amertume et de dommage. La faction de la duchesse d’Étampes prit le parti du duc d’Orléans. Celle de Diane de Poitiers traversa ce prince, et l’empoisonna enfin. Voyons ce qu’en dit Mézerai. Le duc d’Orléans, prince de grande espérance, mourut le 8 septembre, à Forest-Moustier, soit de peste, soit d’un poison qu’on soupçonna lui avoir été donné par les créatures de son frère. Car elles ne pouvaient souffrir que le roi le chérît si fort qu’il faisait, et qu’il se fâchât de ce que le dauphin malgré ses défenses entretenait commerce avec le connétable de Montmorenci, dont elles souhaitaient le retour, parce que leur maître le désirait ardemment [73]. Quel chagrin ne fut-ce point à François Ier., de voir que son propre fils, en s’ingérant plus qu’il ne fallait dans les affaires, le contraignait à prendre des précautions qui ne lui étaient ni agréables, ni avantageuses ? La faction du dauphin fut cause que le roi donna les mains au traité de paix de Crespy. Le dauphin avait écrit à son père une lettre du consentement des hauts officiers des troupes, pour demander à sa majesté qu’il lui plût renvoyer le connétable à l’armée pour y faire sa charge, et qu’il ne manquait plus que ce chef pour la rendre invincible... Le roi n’avait jamais eu tant de dépit qu’il en témoigna en lisant cette lettre. Il se plaignit que son fils anticipait sur son autorité, et que ses officiers prétendaient lui donner la loi. Il parla de son mécontentement à toutes les personnes qui l’abordèrent, et fit une réprimande sévère à ceux qui l’avaient fâché. Il avertit fièrement le dauphin, que c’était à lui de montrer à ses sujets l’exemple d’une parfaite obéissance ; et non pas de censurer sa conduite, en lui proposant dans une occasion dangereuse ce rétablissement d’un favori disgracié avec connaissance de cause. Il menaça les autres de son aversion, s’ils persistaient dans leur imprudence ; et la brigue de la duchesse d’Étampes, profitant de son chagrin, lui représenta si efficacement que l’unique moyen de se délivrer pour toujours des importunités qui lui pourraient être faites en faveur du connétable, consistait à conclure promptement la paix, que sa majesté en donna l’ordre à l’amiral d’Annebaut, etc. [74]. « Cette paix étant plus avantageuse au duc d’Orléans qu’à la France, le dauphin, qui ne pouvait souffrir ni l’agrandissement de son frère, ni le dommage du royaume, fit des protestations contre, dans le château de Fontainebleau, en présence du duc de Vendôme, du comte d’Enghien son frère, et de François, comte d’Aumale, le 2e. jour de décembre [75]. » Il est aisé de s’imaginer que le roi de France avait alors la destinée de plusieurs autres grands princes ; c’est d’être très-malheureux en famille, c’est de sentir mille jalousies, et mille inquiétude causées par celui qui lui devait succéder. Ceux qui empoisonnèrent le duc d’Orléans sauvèrent la vie peut-être à deux cent mille hommes, et peut-être aussi qu’ils épargnèrent à la France la funeste honte de troubler l’ordre de la succession [76].

(S) Le surnom de Grand, qui lui fut donné après sa mort, n’a pas été de durée. ] Qu’on lui ait donné ce surnom après sa mort, c’est Théodore de Bèze [77] qui me l’apprend : mais que cela n’ait fait que passer, je l’infère de ce que tout le monde dit et écrit François Ier., et non pas François-le-Grand. On dit, on écrit, Henri IV, où Henri-le-Grand. C’est la même chose. Il en serait de même de François Ier., et de François-le-Grand, si ce dernier titre n’était tombé fort peu après sa naissance. Il n’est pas besoin d’avertir que le grand roi François Ier., et François-le-Grand, sont deux choses de diverse signification [* 3].

(T) Il témoigna un peu trop de peur en rentrant en France. ] Je me servirai des paroles de Mézerai : sitôt que le roi fut sur la rive de deçà, il monta promptement sur un cheval turc, comme s’il eût eu peur de quelque embûche, et piqua à Saint-Jean-de-Luz, qui est à quatre lieues de là, où s’étant rafraîchi demi-heure, il alla avec pareille diligence à Bayonne [78]. Il fallait qu’il eût reçu pendant sa prison un traitement bien indigne, puisqu’il chargea ses enfans de l’en venger à peine de sa malédiction. J’ai lu cela dans une lettre du secrétaire [79] de l’amiral Chabot, que M. le Laboureur a publiée. Elle fut écrite de Londres, le 5 de février 1535, et contient entre autres choses qui furent dites par Henri VIII à ce secrétaire, qu’il estoit souvenant et bien recordé, quand ils se entretrouverent dernierement ensemble, que ledit seigneur [80] parlant un jour à messeigneurs le dauphin d’Orleans et d’Angoulesme ses enfans en la presence du dit roi, leur dit ces propres mots : Que s’il savoit qu’ils oubliassent jamais les tors et inhumains traitemens faits à lui et eux par ledit empereur, en cas qu’ils ne s’en vengeassent, si faire lui mesmes ne le pouvoit, comme il esperoit durant sa vie, qu’il leur donnoit dès lors sa malediction [81].

(U) On a débité faussement que Francois Ier. naquit après une longue stérilité de sa mère. ] Plusieurs de ceux qui ont publié la vie de François de Paule ont assuré que la princesse Louise de Savoie, femme de Charles de Valois, déplora auprès de ce saint personnage le malheur qu’elle avait d’être stérile ; et il y avait long-temps [82], ajoutent-ils, qu’elle sentait cette imperfection. François de Paule lui en obtint la délivrance par ses prières, et c’est pour cela qu’étant accouchée d’un garçon, elle le fit appeler François. Voilà ce qu’ils content. Théophile Raynaud, sur la foi de ces écrivains, débita le même fait dans son Trinitas Patriarcharum, ouvrage où il fait l’éloge de saint Bruno patriarche ces chartreux, de saint Ignace patriarche des jésuites, et de saint François de Paule patriarche des minimes ; mais on l’avertit que c’était un grand mensonge, puisque Louise de Savoie devint veuve à l’âge de dix-neuf ans, et qu’elle était déjà mère de la princesse Marguerite, et du prince François, ce qui prouve invinciblement qu’elle m’avait pu déplorer auprès de François de Paule sa longue stérilité. Hoc correctione indiget, dit-il [83]. Neque enim longam sterilitatem suam deplorare potuit Ludovica, quæ anno ætatis undevicesimo vidua relicta, duplicem jam prolem enixa erat Margaritam filiam natam Engolismæ XI Aprilis anno 1492, et Franciscum, Cognaci editum anno 1494, 12 septembris. Il ajoute qu’Hilarion de Coste, qui avait écrit depuis, avait observé cela dans la Vie du fondateur des minimes, et que MM. de Sainte-Marthe y joignent leur suffrage [84], puisqu’ils disent que Louise de Savoie naquit l’an 1477, et qu’elle épousa Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, l’an 1488, et qu’elle accoucha de François, le 12 de septembre 1494, et qu’elle perdit son mari le 1er. de janvier 1496. Voilà donc une fausseté réfutée démonstrativement. Voilà de plus un exemple de la précipitation avec laquelle on entasse les miracles dans la légende d’un saint, sans prendre la peine de consulter les tables généalogiques, ni les tables chronologiques. Si on les avait consultées, on se serait bien gardé de dire qu’une femme qui accouche d’une fille à l’âge de quinze ans, et d’un fils à l’âge de dix-sept, avait soupiré et gémi de sa longue stérilité, et n’en avait été délivrée que par les prières d’un saint personnage. Dieu veuille qu’il n’y ait eu que de la simplicité, et de la crédulité dans le débit de ce faux miracle, et que les besoins et les intérêts de communauté dont je dis un mot ailleurs [85], n’aient point porté les minimes à orner de cette fausse gloire leur patriarche.

(X) Peu de gens connaissaient une particularité qu’on a pu voir dans une lettre d’André Alciat, qui n’est devenue publique qu’en 1697. ] Cette lettre fut écrite de Bourges, le 3 de septembre 1530. Alciat y raconte qu’un certain Jules Camille, savant personnage, avait offert à François Ier. de lui apprendre dans un mois à parler grec et latin, en prose et en vers, avec autant d’élégance que Démosthène et Cicéron, qu’Homère et Virgile. Il suffisait que le roi lui donnât une heure par jour ; mais Camille voulut être seul avec ce monarque, il croyait qu’un si grand secret ne devait être communiqué qu’à des têtes couronnées [86]. Il voulait aussi pour sa récompense un revenu de deux mille écus par an en bons bénéfices. L’assurance avec laquelle il parlait fut cause que François Ier. se persuada qu’il avait quelque chose d’effectif dans les promesses extraordinaires de ce personnage. Il fut renvoyé après la deuxième leçon, et gratifié d’un présent de six cents écus [87].

(Y) Le duc d’Orléans, second fils de François Ier., offrit aux princes protestans d’Allemagne de faire prêcher leur religion. ] Nous devons la découverte de cette grande singularité à M. le Vassor. Il l’a publiée dans la seconde édition des lettres de Vargas qu’il a traduites de l’espagnol, et qu’il a ornées de plusieurs observations très-solides. Il a trouvé [88] parmi les papiers du cardinal de Granvelle, l’instruction que le duc d’Orléans donna à son secrétaire et valet de chambre, en l’envoyant à messieurs les ducs de Saxe, landgraff de Hessen, et autres seigneurs protestans, qui devaient s’assembler à Francfort [89]. Elle est datée de Reims, le 8e. jour de septembre 1543, et commence ainsi : « Leur déclarera le grand desir que parla grace de Dieu nous avons que le saint Evangile soit presché par tout le royaume de France, là où nous vouldrions bien veoir desja quelque commencement. Et pour ce que la crainte et la reverence filiale et l’honneur fraternel que pourtons au roy très-chrétien notre très-honoré seigneur et pere, et à monsieur le dauphin notre frere aisné, nous gardent de le faire prescher librement en notre duché d’Orleans pour estre soubz l’obeissance et main de notre-dit seigneur et pere ; davantage que le pape, l’empereur, et autres princes nous pourroient estre à ce contraires ; et autres causes raisonnables que nous nous reservons pour les dire en temps plus opportun, nous sommes fidelement retirez par devers très-illustres et excellens princes messieurs les ducs de Saxe, landgraff de Hessen, et autres seigneurs protestans, pour les advertir que nous sommes deliberez et leur promettons nommément et sans aucun respect de le faire prescher au duché de Luxembourg, dont nous esperons ledit seigneur roy nous laissera jouir paisiblement et d’autres terres qui nous appartiennent de droit de guerre. Mais nous vouldrions qu’il pleust auxdits seigneurs protestans nous recevoir en alliance et confédération offensive et deffensive avec eux : lesquels nous requerons très-instamment ne vous vouloir refuser ceste tant juste et raisonnable requeste ; non pour nous aider de leur support, forces, et aide contre aucun prince particulier, ains seulement en ce qui concerne le faict de la religion chrétienne, dont nous desirons grandement et avant toutes choses l’augmentation ; laquelle par ce moyen pourra facilement venir en lumieres en nos aultres terres, et audit royaume, quand icelluy seigneur roy notre pere nous verra estre ainsi allié avec mes-dits seigneurs, qui seront cause de lui faire déclarer le bon zêle qu’il y a en cest endroit, et si nous pourrons tousjours excuser envers luy et deffendre à l’encontre de nos adversaires. A ceste cause il plaira aux-dits seigneurs que dès lors que ferons commencer de prescher le-dit Évangile au-dit duché de Luxembourg, à l’heure mesme commence notre alliance et confédération avec eux [90]. » Voici la reflexion de M. le Vassor. Il y a grande apparence que le duc d’Orleans ne fit point cette demarche à l’inscu de son pere. Il parle trop hardiment du bon zêle de François Ier. : il offre trop libéralement toute la puissance de ce roi : il donne de trop grandes espérances de ce qui se fera dezque les protestans l’auront reçu dans leur ligue. Tout cela suppose que le pere et le fils agissoient de concert [91]. Ceux qui disent que la duchesse d’Étampes suivait dans son cœur le luthéranisme, et qu’elle cabalait en faveur du duc d’Orléans au préjudice du dauphin [92], ne manqueront pas de dire qu’à l’insu de François Ier. elle poussa ce jeune duc à nouer des intelligences avec la ligue de Smalcade, et qu’ensuite elle l’engagea à s’attacher à l’empereur [93], quand elle eut connu que la fortune pouvait être plus avantageuse de ce côté-là. Quelques-uns peut-être s’imagineront que le roi entra clandestinement dans ce complot de son fils, sans avoir aucun dessein de favoriser en France la nouvelle religion, et qu’il se proposa seulement de se servir du secours de l’Allemagne avec plus d’utilité, en donnant lieu à ces princes luthériens de se figurer qu’il embrasserait la réformation en temps et lieu, s’il y trouvait bien son compte. Je crois que la découverte de M. le Vassor excitera les curieux à rechercher le fond et le fin de cette affaire, et qu’ils trouveront des papiers qui la pourront éclaircir.

(Z) Je ferai voir ci-dessous de quels termes Mézerai s’est servi. ] « Le roi François Ier., qui avait une noble passion pour toutes les belles choses, s’était merveilleusement plu aux magnificences, croyant qu’elles servaient à faire paraître sa grandeur ; et comme il se persuadait que la beauté des dames rehaussait l’éclat de ses pompes, joint qu’il était d’inclination amoureuse, il avait le premier accoutumé ce beau monde à hanter la cour. Du commencement cela eut de fort bons effets, cet aimable sexe y ayant amené la politesse et la courtoisie, et donnant de vives pointes de générosité aux âmes bien faites ; mais depuis que l’impureté s’y fut mêlée, et que l’exemple des plus grands eut autorisé la corruption, ce qui était auparavant une belle source d’honneur et de vertu devint un sale bourbier de tous vices, le déshonneur se mit en crédit, la prostitution se saisit de la faveur, on y entrait, on s’y maintenait par ce moyen ; bref les charges et les bienfaits se distribuaient à la fantaisie des femmes. Et parce que d’ordinaire, quand elles sont une fois déréglées, elles se portent à l’injustice, aux fourberies, à la vengeance et à la malice avec bien plus d’effronterie que les hommes mêmes, elles furent cause qu’il s’introduisit de très-méchantes maximes dans le gouvernement, et que l’ancienne candeur gauloise fut reléguée encore plus loin que la chasteté. Cette corruption commença sous le règne de François Ier., se rendit presque universelle sous celui de Henri II, et se déborda enfin jusqu’au dernier point sous Charles IX, et sous Henri III[94]. »

(AA) Il abolit la coutume de faire en latin les actes publics. ] Servons-nous des termes de M. Varillas. « La justice avait été jusque-là rendue en latin dans toute l’étendue de la monarchie française, ou pour le moins dans sa plus grande partie ; et cette langue y avait été si corrompue, que l’on ne la connaissait presque plus qu’à la terminaison des mots, soit que l’ignorance en eût été la cause, ou que les juges eussent prétendu se rendre par-là plus intelligibles. L’abus n’était plus supportable en un temps où l’on travaillait avec tant de fruit à recouvrer l’ancienne politesse ; et puisque la monarchie française n’avait jamais eu aucune dépendance de la romaine, il n’était plus à propos qu’elle en conservât la langue dans ses actes les plus authentiques. Il eût été ridicule de les mettre en bon latin, parce que la plupart du monde ne les aurait pas entendus ; et le roi demeura d’accord qu’il valait mieux les exprimer en bon français qu’en mauvais latin. Ainsi l’ordonnance en fut faite en 1539 : et de toutes celles de François Ier., il n’y en a eu aucune qui ait été plus universellement et plus constamment observée que celle-là[95]. » Cet historien venait de dire que le chancelier Poyet procura cette réformation peu de temps avant sa chute. Il avait près de trois siècles que l’Allemagne s’était réformée à cet égard. Voici ce qu’on trouve dans les Méditations historiques de Camérarius. L’empereur Rodolphe Ier….. esmeu par plusieurs plaintes de la nation allemande, et se voyant comme sous le joug de secrettaires estrangers, entendus en la langue latine, desquels il estoit contraint se servir, au grand préjudice de ses affaires, d’autant que telles gens bien souvent le trahissoyent : tint une journée à Nuremberg l’an 1252, en laquelle fut ordonné du commun consentement de tous les estats de l’Empire, que de là en avant, le langage allemand seroit introduit es chancelleries et es contracts publics. Voilà le commencement et ce qui donna occasion aux Allemans de faire valoir leur langage de là en avant jusques à ce qu’il soit parvenu à tel poinct, qu’aujourd’hui l’on peut et clairement et elegamment en beaux characteres, soit à la main, soit par impression, comprendre toutes histoires et sciences, et les exprimer dignement en ce langage[96]. Notez qu’on a dit que ce qui porta le roi de France à faire cesser le latin dans les actes de justice, fut qu’on lui rapporta que le premier président du parlement de Paris avait usé d’un terme barbare au souverain point en prononçant un arrêt. Scripserat morem Galliæ fuisse, leges regni semper latino sermone scribi, donec Franciscus rex ejus nominis primus id vetuit anno 1539. Sed debuerat Matharellus causam addere : quoniam videlicet præses curiæ parlamenti in arresto pronuntiando dixerat, debotamus et debotavimus : quod gallicè jam pronunciatur, Avons débouté et déboutons. De quo rex Franciscus (ut quidam dicunt) multùm riserat : ut alii, multùm iratus fuerat[97].

(BB) On a débité faussement…… qu’il fut transporté au château d’Ambres proche d’Inspruck. ] Citons le Mercure Historique du mois de mars 1702. « Par les lettres de Vienne, du 4 de ce mois, on a appris que par les ordres de l’empereur le maréchal de Villeroi [98] avait été transféré d’Inspruck au château d’Ambres à une heure de là, et qu’il est dans la même chambre où Charles-Quint fit mettre le roi François Ier., après qu’il l’eut fait prisonnier devant Pavie. » Quelques gazettes de Hollande avaient déjà dit la même chose. Je voudrais que l’auteur du Mercure les eût réfutées, au lieu de les suivre. Il est certain que François Ier. ne fut point mené en Allemagne, mais en Espagne. Bouchet observe que le vice-roi de Naples [99] donna la charge de la personne du roi de France au seigneur Alarcon gouverneur de la Pouille et Calabre, lequel il mena au château de Pisqueton [100]. Paradin, Mézerai, et plusieurs autres historiens, nomment Pisqueton le château où ce prince fut détenu avant qu’on le transférât en Espagne. Ce château est sur la rivière d’Adda, dans le Milanais, et se nomme en Italien Picighitone. Voyez Léandre Alberti dans la Description de l’Italie [101].

(CC) On l’a loué de ce qu’il avait fait faire d’excellentes éditions. ] On n’a qu’à lire ces paroles de Pierre Victorius [102] : Veritas quoque non patitur, ut reticeam egregiam voluntatem atque operam, inferioribus temporibus in hâc re positam à Francisco primo Gallorum rege, qui ut erat omnibus in rebus magno animo, ac verè regio præditus, proclivisque in humanum genus juvandum, rectaque studia summâ ope augenda, curavit, ut quidquid antiquorum ingenii monimentorum restaret in afflictâ Græciâ, ad se mitteretur : cui beneficio magno addidit alterum, et ipsum valdé utile ad hanc ipsam honestam artem ornandam : studuit enim, magnis præmiis propositis, ut lepidæ admodùm formæ litterarum, et græcarum, et latinarum, fingerentur : in quo etiam felix fuit : ita enim pulchræ atque politæ fabricatæ fuêre, ut non videantur ab humano ingenio venustiores, et exquisitiores ullo pacto conformari posse : librique ipsis excusi, non invitent tantùm, sed etiam aliquo modo rapiant ad se legendos. On peut ajouter à ceci ce que je rapporte dans l’article Vergerius (Angelus) [103], ce passage des Antiquités de Paris : « Il se trouve qu’en l’an 1541, Angelo Vergier, escrivain du roy en lettres grecques, avoit quatre cens cinquante livres tournois de gaiges assignez à l’Espargne [104]. »

(DD) Le passage qu’il fit faire au travers d’une montagne est quelque chose de surprenant. ] M. Léger assure [105] que le mont Visol, estimé le plus haut de l’Europe, et où le Pô a sa source, est la montagne dont l’histoire dit... que François Ier. la fit percer tout outre, pour descendre en Italie. Et de fait, ajoute-t-il, « bien que depuis que les Français ont trouvé le secret d’ouvrir le passage du mont Genèvre, beaucoup plus court et commode, ils ne se soient plus servis de ce trou-là, si est-ce qu’il est encore en état, et le sera sans doute jusqu’à la fin du monde, étant presque tout coupé dans la roche vive : il faut environ deux heures pour le traverser, on y peut passer des mulets avec leur charge : et toute l’incommodité qu’il y a est seulement qu’on n’y voit goutte, et qu’il faut nécessairement y porter des flambeaux. » Cet auteur n’ayant point marqué la date de ce travail surprenant, ni quelles sont les histoires qui en parlent, j’ai fait des recherches qui n’ont fait juger que l’expédition de François Ier. en Italie, l’an 1515, est l’époque de ceci. Je crus que Martin du Bellai décrivait fort amplement les difficultés que l’on surmonta dans le passage des Alpes ; mais je trouva qu’il en parle très-succinctement [106]. et sans donner aucune idée de la peine prodigieuse qu’il fallut prendre. Je consultai Guicciardin [107], qui me contenta beaucoup plus. M. Varillas ne me contenta guère moins ; voici ses paroles [108] : « Lautrec et Navarre, avec l’élite de l’armée française, laissèrent Genève [109] à main gauche, passèrent à gué la rivière de la Durance, et s’’engagèrent dans les Argentaires [110] par un endroit appelé Gillestre : ils pénétrèrent de là jusqu’au rocher Saint-Paul, qu’il fallut ouvrir avec le fer et le feu. Les deux jours suivans les pionniers furent la plupart inutiles ; car comme il n’y avait plus de montagne qui ne fût séparée de l’autre par des abîmes, la mine et la sape ne furent plus d’usage, et l’on eut recours aux ponts de communication pour transporter l’artillerie. Les soldats et les pionniers la traînaient dans des lieux inaccessibles aux bêtes de somme ; ils remplissaient de fascines les endroits qui pouvaient être comblés ; et si ces endroits étaient trop larges, on suppléait au vuide par des étais et de gros arbres. On arriva de cette sorte au mont de Pied-de-Porc, que l’on désespérait de percer, parce qu’il n’était composé que d’une seule roche vive, escarpée de tous côtés : mais Navarre, qui le sonda partout, découvrit une veine plus tendre que les autres ; et la suivit si précisément, qu’il se fit voie par le milieu. Ainsi par l’industrie des ingénieurs, par le travail des soldats, et par la persévérance des chefs, l’armée française arriva sur le déclin du huitième jour dans le marquisat de Saluces [* 4]. » Mais quelque bonne que puisse être cette description, on la trouvera froide et insipide si on la compare avec celle de Paul Jove [111]. Il y a une différence notable entre lui et Varillas. Ce dernier ne fait aucune mention de Trivulce, à qui Paul Jove donne la gloire d’avoir découvert ce nouveau chemin, et d’avoir été le principal directeur de l’exécution.

(EE) Il me reste quelque chose à dire sur le prétendu serment.... au grand-turc. ] On a vu [112] ce que Jean le Maire de Belges a reproché aux Vénitiens. J’ajoute que les Sarrasins qui eurent le roi saint Louis en leur puissance lui proposèrent un formulaire de serment beaucoup plus court que celui que on suppose que le bâtard de Chypre ne fit pas difficulté de prêter, et qui est le même que celui que l’on prétend que François Ier. prêta. Il est visible que l’un a été copié sur l’autre ; mais saint Louis ne voulut point se soumettre à cette dure condition.

  1. * C’est-à-dire, la détention de François Ier, en Espagne.
  2. (*) Lib. II, cap. XII, de Præstigiis, pag. 6.
  3. * Leduchat regrette que le nom de grand, que François Ier. reçut des gens de lettres, ne lui ait pas été conservé par la postérité, sans doute parce qu’on croit qu’un prince ne peut mériter ce nom que par de grandes conquêtes et par un grand nombre de victoires.
  4. (*) Dans la relation du passage, envoyée à la mère du roi, par le comte de Morette.
  1. Varillas, préface de l’Histoire de François Ier.
  2. Mézerai, Histoire de France. tom. II, pag. 872.
  3. Mézerai, Abrégé chronologique, tom. IV, pag. 470, à l’ann. 1514.
  4. C’est ainsi qu’il nomme celui que Mézerai appelle duc de Valois.
  5. La princesse Claude, fille de Louis XII, était mariée avec François Ier.
  6. M. Varillas met ici en marge les paroles suivantes : Il y a des relations qui nomment Gouffier de Boisy au lieu de Duprat.
  7. Varillas, Hist. de François Ier., liv. I, pag. 17.
  8. Brantôme, Dames galantes, tom. II, pag. 117.
  9. Il venait de dire que le reine Louise, femme de Henri III, rejeta le conseil qu’on lui donne, de se faire faire un enfant par quelque autre, puisqu’elle n’en devait pas espérer de son mari.
  10. Histoire de France, tom. II, pag. 894.
  11. Histoire de François Ier., livre. I, pag. 20.
  12. Brantôme, Dames galantes, tom. II, pag. 118, 119.
  13. Jacques II, roi détrôné d’Angleterre.
  14. En l’an 1539.
  15. Mézerai, Histoire de France, tom. II, pag. 1005.
  16. Là même, pag. 1039, à l’an 1547.
  17. Abrégé chronol., tom. IV, pag. 606, à l’an 1538.
  18. On ne pouvait douter que les excès amoureux de Henri (VIII roi d’Angleterre) n’eussent avancé sa fin, et François sentait approcher la sienne, causée par la maladie dont on a parlé dans le quatrième livre. Varillas, Histoire de François Ier., liv XII, pag. 264. Je crois qu’au lieu de quatrième, il faut huitième, et que M. Varillas a voulu parler de ce passage du livre VIII, pag. 359. Deux célèbres événemens terminèrent l’année 1538. L’un fut la longue maladie du roi dans Compiègne, causée par un ulcère aux parties que la pudeur défend de nommer. Sa majesté en guérit alors, mais elle en mourut neuf ans après.
  19. Sous le 31 mars, pag. 197.
  20. Tom. II de ses Diverses Leçons, liv. I, pag. 109.
  21. Dans l’Éloge de Henri II, au IIe. tome de ses Mémoires, pag. 5.
  22. Dans les Mémoires des Dames illustres, pag. m. 208, où, en parlant de la reine Claude, il dit que si la reine Anne, sa mère, eût vécu, jamais le roi François ne l’eût épousée, car elle prévoyait bien le mauvais traitement qu’elle en devait recevoir, d’autant que le roi son mari lui donna la vérole qui lui avança ses jours.
  23. Éloge de François Ier., au Ier. tome de ses Mémoires, pag. m. 318.
  24. M. Varillas en insérant une traduction de ce passage de Brantôme, dans l’Histoire de François Ier., liv. XI, pag. 102, applique ceci à la prise de Château-Thierri, et non à celle de Saint-Disier.
  25. Voyez Val. Maxime, liv. VII, chap. II, num. 5, ext. Stobée, sermone XLVII, attribue cette sentence au roi Antigonus.
  26. Meynier, à la page 589 de ses Demandes curieuses et Réponses libres. J’ai corrigé quelques fautes d’impression. Il a tiré cela du Considerationi civili di Remigio Fiorentino, cap. XCVII, folio m. 123 verso.
  27. Tel fut celui de tous les habiles gens du commencement des conférences de Ryswicken, 1697.
  28. Et lassata viris nondum satiata recessit,

    Juven., sat. VI, vs. 129.

  29. Galeazzo Gualdo Priorato, Hist. de la Paix, pag. 124, 125, édit. de 1667.
  30. Il s’appelait jacques de Beaune, seigneur de Samblançai. Voyez l’article Samblançai, tome XIII.
  31. Varillas, Histoire de François Ier., liv. III, pag. 215, 216, à l’an 1522.
  32. Là même, liv. IV, pag. 247 et suiv.
  33. Tome V, pag. 68, remarque (E) de l’article de Charles-Quint.
  34. Varillas, Histoire de François Ier., liv. VIII, pag. 310, l’ann. 1536,
  35. Là même.
  36. C’était un Génois que François Ier., envoyait à Venise en qualité d’ambassadeur ordinaire. Var. Hist. de Franç. Ier., l. IX, p. 403.
  37. Il était né sujet du roi d’Espagne, et avait négocié pour François Ier. secrètement avec Soliman, et alors il allait à la Porte comme ambassadeur de France. Varillas, même.
  38. Le marquis du Guast Les fit tuer sur le Pô, comme Langey l’avéra. Varillas, là même, pag. 407 et suiv., à l’ann. 1541.
  39. Varillas, Histoire de François Ier., pag. 409 et suiv.
  40. Tome IV, pag. 169, remarque (G) de l’article de Brun (Antoine le).
  41. Réponse à un discours tenu à sa Sainteté par M. de Rebénac, pag. 18, 19.
  42. Là même.
  43. Il semble qu’on ait voulu exiger de Louis IX un tel serment. Voyez Paul Æmile, liv. VII, folio 271 verso.
  44. Jean le Maire de Belges, Légende des Vénitiens, pag. 75, édition de Lyon, 1549.
  45. Agrippa, epistola XXVI, lib. V, pag. 913.
  46. Idem, ibid., pag. 914. :
  47. Jo. Wierius, de Lamiis, lib. III, cap. XII, num. 7, pag. m. 195.
  48. Voyez son Histoire de Charles-Quint, pag. 171 de l’édition de Bruxelles, 1663.
  49. Bodin, Réfutation des Opinions de Jean Wier, pag. m. 513.
  50. Voyez le livre intitulé : Scriptorum publicè propositorum à professoribus in Academiâ Witebergensi, ab anno 1540, ad annum 1553. Tomus primus, folio 96 verso
  51. Chappuzeau, Dessein d’un nouveau Dictionnaire historique, pag. 11.
  52. Brantôme, Mémoires, tom. I, pag. 277.
  53. La même, pag. 280.
  54. Brantôme, Mémoires, tom. I, pag. 282.
  55. Là même, pag. 285.
  56. Je n’ai point ouï dire ni lu qu’auparavant ils fussent plus gens de bien et mieux vivans ; car en leurs évêchés et abbayes ils étaient autant débauchés que gens d’armes. Brantôme, Mémoires, tom. I, pag. 282.
  57. Là même, pag. 285.
  58. Jurieu, Apologie pour les Réformateurs, chap. VII, pag. 121 et suiv.
  59. C’est de Davila que Mézerai parle. Voici les paroles de cet Italien, pag. m. 32 du Ier. livre. Comincio l’origine di questa dissensione insino al tempo del Rè Francesco il Primo, il quale benche facesse tal volta qualche severa risolutione, occupato nondimeno del continuo nel travaglio delle guerre straniere ò permesse, ò non si avidde, che andassero all’ hora serpendo i principii di questa più tosto dispregiata ed odiata che temuta ò avertita credenza.
  60. Mezerai, Histoire de France, tom. II, pag. 1038.
  61. Ovid., Metam., lib. I, vs. 758 ; mais au lieu de juvat, il dit pudet.
  62. O utinam arguerem sic, ut non vincere possem !
    Me miseram ! quare tam bona causa mea est ?
    Idem, Amorum lib. II, eleg. V, vs. 7.

  63. Brantôme, Vie de François Ier., du Ier. tome des Mémoires, pag. 231.
  64. Voyez tome I, pag. 258, la remarque (H) de l’article Agésilaus II.
  65. Mézerai, Abrégé chronolog., tom. IV, pag. 637, à l’ann. 1547.
  66. François Ier. conserva Genève, où le duc de Savoie aurait ruiné la réformation, si ce monarque ne l’en avait empêché. On peut appliquer à ceux qui tiennent une telle politique ces paroles : Urbem ( philosophiæ) mihi crede proditis, dum castella defenditis. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. XVI.
  67. Histoire de François Ier., liv. VII, pag. 248.
  68. Au commencement de la remarque (F) de l’article Calvin, tome IV, pag. 333.
  69. Le père Anselme, Histoire de la Maison royale, pag. 136.
  70. Là même. Il dit qu’on l’empoisonna à Valence ; mais Brantôme, tom. I, pag. 336, dit mieux, qu’on l’empoisonna à Lyon.
  71. Brantôme, tom. I, pag. 338.
  72. Voyez l’article Étampes, pag. 300.
  73. Mézerai, Abrégé chronol., tom. IV, pag. 635, à l’ann. 1545.
  74. Varillas, Histoire de François Ier., liv. XI, pag. 108, à l’ann. 1544.
  75. Mézerai, Abrégé chronol., tom. IV, pag. 631, à l’ann. 1544.
  76. Voyez la remarque (S) de l’article Henri II, tome VIII,
  77. Histoire des Églises réformées, liv. I, à la pag. 66.
  78. Histoire de France, tom. II, pag. 950, à l’ann. 1526.
  79. Il s’appelait Palamède Gontier.
  80. C’est-à-dire, François Ier.
  81. Addit. aux Mémoires de Castelnau, tom. II, pag. 420.
  82. Diù sterili. Theoph. Raynaud., Syntagm. de Libris propriis, art. LVI, pag. 63, Apopompæi.
  83. Idem, ibid.
  84. Astipulantur FF. Sammarthani, tom. I, lib. 10, pag. 627, Idem, ibid.
  85. Dans la remarq. (N) de l’article François d’Assise ci-dessus, pag. 558.
  86. Nolle enim ea arcana cuiquam inferiori a rege patefieri. Alciat., Epistola XIII, inter Gudianas, pag. 109.
  87. Ex Alciato, ibid.
  88. Le Vassor, Lettres et Mémoires de Vargas. pag. 24. édition de 1700.
  89. Là même, pag. 25.
  90. Le Vassor, Lettres et Mémoires de Vargas, pag 25, édit. de 1700
  91. Là même, pag. 27.
  92. Voyez ci-dessus la remarque (H) de l’article Étampes, pag. 306.
  93. Voyez ci-dessus la remarque (F) de l’article Étampes, pag. 305.
  94. Mézerai, Histoire de France sous Henri III, tom. III, pag. 446, 447.
  95. Varillas, Hist. de François Ier., liv. IX, pag. m. 381.
  96. Camérarius, Méditations historiques, vol. III, liv. IV, chap. V, pag. 271, 272, de la traduction de Simon Goulart.
  97. Matagonis de Matagonibus adversùs Italogalliam Antonii Matharelli, pag. m. 226.
  98. Il fut fait prisonnier dans Crémone le 1er. de février 1702.
  99. C’était Charles de Lanoi.
  100. Boucher, Annal. d’Aquitaine, folio m. 217.
  101. Folio 407 verso, édit. de Venise, 1561.
  102. Petrus Victonus, præfat., Comment., in VIII libros Aristotelis de optimo Statu Civitatis.
  103. Citation (b).
  104. Jacques du Breul., Antiquit. de Paris, pag. m. 568.
  105. Jean Leger, Hist. des Églises vaudoises, Ire. partie, pag. 2.
  106. Martin du Bellai, Mémoir., liv. I, à l’année 1515, pag. m. 28.
  107. Guicciard., liv. XII, folio m. 356.
  108. Varillas, Hist. de François Ier., liv. I, pag. 43, édit. de la Haye, 1690.
  109. Il fallait dire le mont Genèvre.
  110. Il fallait dire le col de l’Argentière.
  111. Jovius, Hist. sui temp., lib. XV, fol. m. 301 et sequent.
  112. Dans la rem. (I).

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