Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Vergérius 3


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VERGÉRIUS [* 1] (Angélus), né dans l’île de Candie [a], traduisit de grec en latin le traité de Fluviorum et Montium Nominibus, attribué à Plutarque [* 2]. Son écriture grecque était si belle [* 3], qu’elle servit d’original à ceux qui gravèrent les caractères de cette langue, pour les impressions royales, sous François Ier. [b] (A). Il était encore en vie sous le règne de Charles IX (B), Il a été censuré trop violemment par un critique hollandais (C). Nicolas Vergérius (D), son fils, fut homme de lettres, et fit des vers sur la mort d’Hadrien Turnèbe.

  1. * Cet auteur s’appelle Vergèce ou Vergécio et non Vergérius, comme écrit Bayle, induit en erreur par Rutgersius et par de Thou. Prosper Marchand ajoute que toutes éditions qu’il a consultées de ce dernier auteur portent Vergétius, et s’étonne que Bayle n’ait pas été mis sur la voie par la Croix du Maine, qui lui était si familier, et par Baïf, dont il cite des vers dans ses remarques (B) et (D).
  2. * P. Marchand, qui a consacré un article à Vergèce remarque que cette traduction, inconnue à J. A. Fabricius, avait été imprimée à Paris chez Ch. Estienne, 1556, in-8o. Maittaire, qui n’en eut connaissance qu’en 1725, et lors de l’impression du 3e. volume de ses Annales typographicæ, avoue n’avoir pu deviner le nom du traducteur qui, en tête de la dédicace à Claude Laval, archevêque d’Embrun, n’avait mis que les initiales Aug. Ver.
  3. * « Dans un des articles du Dictionnaire étymologique de M. Ménage, que je ne puis plus me rappeler, il est observé, dit Prosper Marchand, que c’est la belle écriture du signor Angelo qui a donné lien au proverbe vulgaire ou à la formule ordinaire : Écrire comme un ange. »
  1. Voyez la remarque (A).
  2. M. Chevillier, Origine de l’Imprimerie, pag. 259, parle de ces belles lettres qui furent fondues dans les matrices que le roi François Ier., avait fait frapper par une magnificence royale. Voyez la remarque (CC) de l’article de François Ier., t. VI, p. 582.

(A) Son écriture grecque était si belle, qu’elle servit d’original........., pour les impressions royales, sous François Ier. ] J’ai lu cela dans les Variæ Lectiones de Rutgersius. Duos, dit-il [1], (interpretes) mihi videre contigit, Italum ununt, Natalem de Comitibus, alterum Cretensem, Angelum Vergerium, eum qui tam eleganter græcè pinxit, ut jus manus pro archetypo iis fuerit, quorum opera in sculpendis regiis characteribus rex Franciscus usus est. Les deux traductions dont on parle là sont celles du petit livre de Fluviorum et Montium Nominibus.

(B) Il était encore en vie sous le règne de Charles IX. ] Je n’en ai point d’autre preuve que l’épître dédicatoire des poésies de Jean-Antoine de Baïf. Elle est adressée à ce monarque, et contient ceci, entre autres choses,

Charle Etiene premier, disciple de Lazare,
Le docte Bonamy, de mode non barbare,
M’aprint a prononcer le langage Romain :
Ange Vergece Grec, à la gentile main
Pour l’écriture gréque, écrivain ordinére
De vos Granpére et Pere et le vostre, ut salère
Pour à l’accent des Grecs ma parole dresser,
Et ma main sur le trac de sa lettre adresser.


Vous verrez ci-dessous[2] un autre passage, où le nom de ce Candiot est écrit Vergece tout comme ici. Cela me fait soupçonner qu’au lieu de dire Vergerius en latin, il faudrait peut-être dire Vergecius.

(C) Il a été censuré trop violemment par un critique hollandais. ] On a vu dans la remarque (A) que Natalis Comes, et notre Vergérius, ont mis en latin le livre περὶ ποταμῶν καὶ ὀρῶν ἐπωνυμίας. On y trouve ces paroles[3] : Κάδμος τὸν κρηνοϕύλακα δράκοντα τοξεύσας, καὶ εὑρών ὥσπερ πεϕαρμακευμένον ϕόϐου τὸ ὕδωρ, περιήρχετο τὴν χώραν ζητῶν πηγήν. Natalis Comes les a traduites par celles-ci : Ubi Cadmus serpentem fontis custodem jaculis confodisset, invenissetque aquam quasi ob timorem veneno infectam, regionem lustravit fontem inquirens. Voyons la version de Vergérius : Cùm Cadmus fontis custodem draconem jaculis confecisset, et aquam ejus veneno infectam cerneret, eam abhorrens circuivit regionem ad investigandum fontem. Voici le jugement que Rutgersius a fait de ces deux versions. Je crois, dit-il[4], que Vergérius était ivre quand il parla de la sorte : et l’on ne doit pas s’étonner que Natalis Comes ait mal traduit un passage corrompu ; car il gâtait presque toujours les endroits mêmes où le texte était correct. Cette censure est si outrée à l’égard de Vergérius, qu’elle est moins capable de le déshonorer, que de flétrir la mémoire de Rutgersius. Non-seulement sa traduction est meilleure que celle de Natalis Comes, quoique le critique parle mille fois plus doucement de celle-ci que de celle-là ; mais aussi elle est la meilleure que l’on puisse faire, en supposant que le texte grec n’est pas corrompu. Le docte Maussac l’a pris tout de la même manière que Vergérius ; car voici sa traduction. Cùm Cadmus sagittis confixisset draconem qui fontem custodiebat, veritus ne aqua veneno infecta esset, circuivit regionem, alium fontem quo sitim levaret quærens. Ainsi, toute la faute de Vergérius est de m’avoir pas soupçonné, comme a fait Rutgersius[5] : qu’au lieu de ϕόϐον, il faut lire ἠκ ϕόνου hoc est, è sanguine sive tabo. Maussac ne l’a point non plus soupçonné. Je m’étonne que sa traduction n’ait pas été censurée par Rutgersius, et je crois que c’est à cause qu’elle lui était inconnue[* 1]. Le temps néanmoins pouvait permettre qu’il la connût[6] ; mais combien y a-t-il de livres imprimés depuis long-temps qui sont inconnus aux plus habiles ? Voilà Maussac qui n’avait jamais ouï parler d’aucune version de cet ouvrage lorsqu’il entreprit de le traduire[7], et depuis il vit à la vérité la traduction de Natalis Comes et celle de Turnèbe, mais non pas celle de Vergérius. On pourrait citer cent exemples de cette nature[* 2].

(D) Nicolas Vergérius….. fit des vers sur la mort d’Hadrien Turnèbe. ] Vous apprendrez cela dans ces paroles de M. de Thou Ei (Hadriano Turnebo) Johan. Auratus..…. Nicolaüs denique Vergerius, Angeli illius Cretensis elegantiorum græcæ linguæ characterum ad omnem admirationem et oculorum jucunditatem formatoris F... et alii epitaphiis carminibus parentârunt [8]. Il était né en Candie, d’où il passa en France environ l’an 1540. C’est ce que j’infère de deux passages de Jean-Antoine de Baïf, dont l’un m’apprend qu’en ce temps-là ce Jean-Antoine fut mis sous la discipline de Tusan, et l’autre m’apprend qu’il fit amitié chez Tusan avec Nicolas Vergèce, nouvellement venu de Candie [9].

Amy qu’en la prime jeunesse
J’acointay chez le bon Tusan,
Voiey cinq fois le cinquieme an
Tout nouveau venu de la Grece.
....................
....................
Bien jeune tu vis escumer
Dessous toy la ronflante mer
Tiré de l’isle, ta naissance,
Qui vit de Jupiter l’enfance [10].


Je tire ces vers de la Contretrene à Nicolas Vergece, Candiot, dans laquelle vous trouverez cet éloge de sa muse :

Fee, ces mignardises laisse,
Je ne puis entendre à tes jeux :
Lachons un peu couver nos feux ;
Afin que m’acquite à Vergece,
Qui m’a mis en soucy plaisant,
M’étrenant d’un mignard presant
Que la Muse avec la Charite
Ont ourdi de fleurons d’eslite.

Ces beaux vers en langue Latine

Confits au miel Catullien,
Vers de bon heur, meritent bien
Que beusse de l’eau Cabaline [11].


Jean-Antoine de Baïf ne finit point cette pièce sans parler de sa pauvreté et de celle de son ami.

Pauvreté mes espaulles presse,
De foule et jamais ne me laisse,

Je suis pauvre, et tu n’es pas riche :

Vien-t’en me voir, amy tresdoux :
Embrassons-nous, consolons-nous :
Le ciel ne sera toujours chiche
Envers nous du bien qui des mains
De fortune vient aux humains
Or vivont une vie estroitte
En pauvreté, mais sans souffrette [12].

  1. * L’auteur des Observations insérées dans Bibliothéque française, XXX, 12, dit que Bayle n’aurait pas dû parler ici d’une manière incertaine, puisque Rutgersius lui-même dit n’avoir connu que deux traductions, celles de Natalis Comes et de Angélus Vergérius.
  2. * Joly ne voit rien là d’étonnant. Le plus habile homme du monde ne peut tout savoir, et ignore toujours plus de livres et d’auteurs qu’il n’en connaît. À l’occasion de Maussac, Joly relève les erreurs de Rocolles, qui, en parlant du père et du fils, a confondu leurs ouvrages. Joly avoue le faire dans les propres termes de Leclerc.
  1. Joh. Rutgersius, Var. Lect., lib. III, cap. XII, pag. 235, 236.
  2. Dans la remarque (D).
  3. Au chapitre II, où il est parlé de la rivière Isménus.
  4. Equidem Vergerium cùm hæc scriberet, sobrium fuisse non puto. Nam in Natali mirandum non est si corrupta non rectè transtulit cùm illi penè fatale fuerit, malè vertendo, ut ille ait etiam ex græcis bonis latina facere non bona. Rutgersius, Var. Lect., lib. III, cap. XII, pag. 236
  5. Rutgersius, Var. Lect., l. III, cap. XII, pag. 235.
  6. Le livre de Fluviorum ac Montium Nominibus, traduit en latin par Philippe Jacques de Maussac, fut imprimé à Toulouse, l’an 1615, et celui de Rutgersius, à Leyde, l’an 1618.
  7. Voyez sa préface.
  8. Thuanus, lib. XXXVIII, pag. 769, ad ann. 1565.
  9. Jean-Antoine de Baïf, épître au roi, au devant de ses Œuvres en rime, imprimées à Paris, l’an 1593, in-8o.
  10. Jean-Antoine de Baïf, Œuvres en rime, folio m. 119.
  11. Là même.
  12. Là même.

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