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HENRI II.

Pré-aux-Clercs, pour y chanter à haute voix les psaumes de Clément Marot. Cela doit apprendre aux princes que les édits de persécution les exposent à de grands inconvéniens : cela est cause que leurs feux de joie affligent une partie de leurs sujets, et que les victoires de leurs ennemis la remplissent de consolation. S’ils se plaignent d’avoir de mauvais sujets, on leur doit répondre : c’est vous qui les rendez tels [1] ; car de prétendre qu’un parti persécuté s’affligera des maux publics qui sont la source de son repos, et le fondement d’une espérance très-plausible de prospérité, c’est prétendre le retour des premiers siècles du christianisme ; or ces temps-là ne reviennent pas deux fois. C’est demander des hommes tout semblables à ceux du règne de mille ans, si jamais il vient. Mais retournons à Henri II. Dès qu’il vit que les protestans pensaient profiter de la perte qu’on avait faite à la journée de Saint-Quentin, il fit un nouvel édit portant défense à tous les juges de modérer la peine de mort et de confiscation de tous les biens contre tous ceux qui seraient non-seulement trouvés coupables du crime d’hérésie, mais aussi convaincus d’avoir porté en France des livres imprimés à Genève contre la doctrine de l’église catholique. Ainsi l’on procéda plus rigoureusement encore qu’on n’avait fait auparavant contre les calvinistes [2]. Mais comme cela n’empêchait point qu’ils ne se multipliassent, et qu’il n’y eût même des personnes de la première qualité qui suivissent leur parti, le roi vit bien que pour l’extirper il avait besoin de faire la paix avec la maison d’Autriche ; et ce fut sans doute l’un des grand motifs qui le portèrent à fermer les yeux sur le bon état où il avait remis ses affaires [3]. Il avait arrêté le progrès de ses ennemis, et il leur avait même enlevé de très-fortes places. N’importe ; il aima mieux leur accorder tout ce qu’ils voulurent, que de n’avoir pas ses coudées franches pour exterminer les protestans de son royaume. C’est ainsi que l’on a vu la même cour laisser perdre les occasions les plus favorables de s’agrandir, l’an 1684, afin de s’appliquer uniquement à la suppression de l’édit de Nantes. Ceux qui se laissent posséder de cet esprit n’ont qu’à renoncer au titre de conquérant. Si Henri II avait survécu long-temps à l’ignominieuse paix qu’il accepta, on ne l’eût vu occupé qu’à des tournois et à des persécutions mais il mourut peu après la signature. M. Maimbourg est un témoin récusable, sur la joie qu’il dit que les hérétiques en eurent. Voici ses paroles [4] : Aussi fut-il pleuré avec des larmes très-véritables, et infiniment regretté de tous ses sujets, excepté des seuls protestans, qui croyant être délivrés par sa mort de ce qu’ils appelaient persécution de l’église, firent éclater d’une manière très-indigne par leurs paroles, par leurs actions et par leurs écrits scandaleux, la joie excessive qu’ils en avaient.

On peut faire à l’égard de Henri II la même remarque qu’à l’égard de François Ier. [5]. Il attaquait le parti par les girouettes ; il lui enlevait quelques tuiles, pendant qu’il lui bâtissait des forts : il faisait mourir en France quelques petits particuliers, et en même temps il se liguait avec les protestans d’Allemagne contre Charles-Quint, etc. [6] ; et voulait bien être appelé le protecteur de la liberté germanique, c’est-à-dire en ce temps-là le protecteur des protestans [7]. Les autres princes catholiques tenaient la même conduite [8]. Je trouve mémorables ces paroles de M. le Laboureur : Pour arracher la ziza-

  1. Appliquez ici ce mot de Sénèque contre ceux qui se plaignent des ingrats : Multos experimus ingratus, plures facimus. Seneca, de Beneficiis, lib. I, cap. I.
  2. Maimbourg. Histoire du Calvinisme, liv. II, pag. 100
  3. Voyez, dans la remarque (M), les paroles du cardinal de Lorraine.
  4. Histoire du Calvinisme, liv. II, pag. 114.
  5. Voyez la remarque (P) de l’article François Ier., tom. VI, pag. 576.
  6. Le roi... résolut de s’appliquer de toute sa force à la grande affaire de la religion, pour laquelle il avait un très-grand zèle, sans qu’il se soit jamais relâché, durant tout son règne, sur ce point-là, non pas même quand il fit alliance pour des intérêts purement politiques avec les princes protestans d’Allemagne, contre l’empereur Charles-Quint. Maimbourg, Histoire du Calvinisme, liv. II, pag. 110.
  7. Voyez la remarque (AA).
  8. Voyez l’article de la reine Élisabeth, remarques (G) et (R), tom. VI.