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DUAREN.

des écrivains plagiaires. Ils moissonnent ce qu’ils n’ont point semé, ils enlèvent les enfans d’autrui, ils se font une famille d’usurpation ; mais ces enfans enlevés font comme les autres richesses mal acquises, malè parta malè dilabuntur ; ils prennent les ailes et s’enfuient chez leur véritable père. Un auteur volé réclame son bien : et si la mort l’en empêche, un fils, un parent, un ami, fait valoir ses droits. Un homme même qui ne sera pas de ses amis lui rendra ce bon office, afin de se faire honneur de la découverte du vol, ou afin de couvrir de confusion le plagiaire. Ce que l’amour de l’équité n’inspirerait pas, la vanité, la malignité, le désir de la vengeance, le suggéreront ; et ainsi tôt ou tard les productions enlevées abandonnent le voleur. Notez qu’il y a des plagiaires qui n’imitent pas en tout la perdrix : ils ne prennent pas la peine de couver : ils prennent les pensées et les paroles d’autrui toutes formées : il est vrai que quelquefois ils se tourmentent beaucoup pour leur faire prendre un autre air, afin que le vol ne se puisse pas découvrir facilement. Ils sont plus propres alors à être comparés à la perdrix. Je m’étonne au reste qu’on n’ait pas donné le nom de cet animal aux hommes qui nourrissent les enfans qu’un autre va faire chez eux. Ce nom leur conviendrait mieux que celui de cet oiseau[1] qui va pondre dans le nid d’un autre, et qui laisse couver l’œuf, et élever le petit. Peut-être n’a-t-on pas été persuadé que ce conte de la perdrix soit véritable. Il y a long-temps qu’un docte critique a insinué que saint Jérôme allègue à faux le témoignage de trois excellens naturalistes[2] : Hieronymus testes citat hujus rei sanè luculentos, et quos, ut minùs idoneos, rejicere nemo possit, Aristotelem videlicet, Theoprastum, et Plinium ; sed an verè, fides penes ipsum esto, ego sanè apud illos authores nihil tale legere memini. Locus Hieronymi est in commentariis ad eum locum [3]. Aiunt, inquit, scriptores naturalis historiæ tam bestiarum et volucrum, quàm arborum herbarumque, quorum principes sunt apud Græcos Aristoteles et Theophrastus, apud nos Plinius secundus, hanc perdicis esse naturam, ut ova alterius perdicis, id est, aliena furetur, et eis incubet foveatque : cùmque fœtus adoleverit, avolare ab eo, et alienum parentem relinquere.

(I) Je donnerai quelques extraits d’une lettre qu’il écrivit contre Baudouin. ] Je l’ai trouvée parmi les pièces qui accompagnent la réplique de Calvin ad Balduini convicia[4]. Duaren la fit après avoir vu une harangue que Baudouin avait publiée en Allemagne, et qui était fort désobligeante pour les professeurs de Bourges. Personne n’y était nommé, mais on connaissait sans peine à qui l’orateur en voulait, et que Duaren en particulier y avait été maltraité. Si nous en croyons cette lettre de Duaren, ceux qui étaient les plus favorables à Baudouin, ceux qui aimaient et qui estimaient ses talens, le louaient de telle sorte qu’il entrait ordinairement un fâcheux mais dans leurs louanges, c’est-à-dire, mais il est vain, ambitieux, et dissimulé ; nous sommes marris que cette tache paraisse sur un visage si beau. Ita eum laudant ferè ut in ejus laudibus excipiant ἀλαζονείαν, fastum, ambitionem, φιλαυτίαν : prætereà mirum simulandi dissimulandique artificium, et hoc veluti nævo decoram admodum speciosamque faciem nonnihil deformari doleant[5]. Étant à Paris, l’an 1548 ou environ[6], il rendit une visite à Duaren, et lui présenta un livre qu’il lui avait dédié[7]. Il avait envie de remplir la place de professeur que Duaren venait de quitter dans l’académie de Bourges, et il lui demanda des lettres de recommandation. Il les obtint, et s’en trouva bien, car d’abord les magistrats de Bourges lui accordèrent une pension, et peu après il fut reçu professeur en jurisprudence, sans que la cérémonie de la réception lui coutât rien. Il fallut qu’il surmontât les traverses d’É-

  1. Le coucou.
  2. Drusius, Observat., lib. IV, cap. XXIV, pag. 100.
  3. C’est-à-dire, le verset 11 du chapitre XVII de Jérémie.
  4. Voyez la remarque (H) de l’article Baudouin, citat. (66), tome III, pag. 201.
  5. Duaren., epist. de Fr. Balduino, pag. m. 58.
  6. Ibid., pag. 61.
  7. Il l’avait fait imprimer à Lyon.