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EURIPIDE.

est absurde. Les savans d’Angleterre [1] n’ont pas été si faciles à duper que ceux de France : ils n’ont point dit, comme le grand Scaliger : Plato, Eudoxus, Euripides profectionis in Ægyptum socii planetarum cursum ab Ægyptiis didicêre ; et primi omnium Græcorum populares suos id docuerunt, Plato quidem in Timæo, Eudoxus ἐν ἐνόπτρῳ, Euripides in Thyeste. Verba sunt magni Scaligeri in Notis ad Sphæram Manilii [2]. Ils n’ont point dit comme Tanaquil le Fèvre [3], qu’Euripide, après avoir été instruit dans la rhétorique par Prodicus, fit le voyage d’Égypte avec Platon, pour y jouir de la conversation des prêtres de ce pays-là, qui avaient alors plus de réputation pour la connaissance des bonnes lettres que les prêtres d’Espagne ou d’Italie. Il se passa plus de trente ans depuis qu’Euripide eut appris la rhétorique, jusqu’à la naissance de Platon. Voilà qui aggrave la faute de M. le Févre.

(T) Il aimait à débiter plusieurs sentences. ] La chose n’a pas besoin de preuves : on n’a qu’à lire ce qui nous reste de lui. Mais si quelqu’un veut savoir cela par la voie du témoignage, il n’a qu’à joindre au passage de Quintilien, cité ci-dessus [4], ces paroles de Cicéron [5] : Cui (Euripidi) tu quantùm credas nescio : ego certè singulos ejus versus singula ejus testimonia puto. Autant de vers d’Euripide, autant de maximes et de sentences, au jugement de Cicéron. Faut-il s’étonner, après cela, que cet illustre orateur se soit préparé à la mort par la lecture de ce poëte ? On a remarqué [6] que les assassins qui le poursuivaient et qui le tuèrent, le trouvèrent qui lisait dans sa litière la Médée d’Euripide. Or, comme les meilleures choses gâtent un livre, si on ne les sait pas ménager, on a eu peut-être beaucoup de raisons de condamner, dans ce poëte, l’usage un peu trop fréquent des aphorismes philosophiques. On a trouvé nommément que son Hécube philosophe jusqu’à l’excès et à contretemps. Τὸν Εὐριπίδην καταμεμϕόμεθα ὅτι παρὰ καιρὸν αὐτῷ Ἑκάϐη ϕιλοσοϕεῖ. Euripidem vituperare solemus, quòd intempestiviùs apud illum philosophetur Hecuba [7].

(U) Il s’enfermait dans une affreuse caverne, pour y composer ses ouvrages. ] Elle était dans l’île de Salamine : Aulu-Gelle eut la curiosité d’y entrer. Philochorus refert, dit-il [8], in insulâ Salamine speluncam esse tetram et horridam quam nos vidimus, in quâ Euripides tragœdias scriptitavit.

(X) Il débita une maxime... sur la religion du serment. ] Il introduit Hippolyte armé d’une distinction, quand on lui remet en mémoire son serment :

Ἡ γλῶσσ᾽ ὀμῶμοχ᾽, ἡ δὲ ϕρὴν ἀνώμοτος [9].

Lingua juravit, mens verò manet injurata.

J’ai juré de la langue, et non pas de l’esprit [10].


Voilà justement le sophisme, ou plutôt la trahison des réticences mentales. Il y eut un certain Hygiænon qui ne put souffrir ce vers : il fit un procès d’impiété à Euripide, comme à un docteur, à un protecteur du parjure. Le poëte demanda d’être renvoyé à ses juges naturels. Il réclama la juridiction des juges préposés aux controverses du théâtre, et dit qu’il avait rendu, ou qu’il était près de rendre raison de sa foi et de sa doctrine devant ce tribunal ; et que c’était là, et non pas au barreau ordinaire, qu’il avait dû être accusé. Ἔϕη γὰρ αὐτὸν ἀδικεῖν τὰς ἐκ τοῦ Διονυσιακοῦ ἀγῶνος κρίσεις εἰς τὰ δικαςήρια ἄγοντα· ἐκεῖ γὰρ αὐτὸν δεδωκέναι λόγον ἢ δώσειν εἰ βούλεται κατηγορεῖν. Dixit enim injustè agere ex Dionysiaco certamine judicia in forum traducentem, ibi enim se reddidisse rationem aut red liturum si voluerit accusare [11].

  1. Voyez Barnes., ibid, pag. 27.
  2. Menagius, ad Diog. Laërtium, lib. III, num. 6, pag. 140. Puisqu’il cite cela sans y trouver rien à redire, il est complice de la faute de Scaliger, et de celle de le Fèvre de Saumur.
  3. Vie des Poëtes grecs, pag. 97.
  4. Remarque (F), citation (39).
  5. Epist. VIII, lib. XI ad Famil.
  6. Ptolemæus Hephæst., lib. V, variæ Histor., apud Photium, pag. m. 485.
  7. Theo, in Progymnasmatis, cap. I, pag. 4.
  8. Lib. XV, cap. XX.
  9. C’est le vers 612 de l’Hippolyte.
  10. Voyez le Prince de Balzac, num. 262, pag. m. 191.
  11. Aristotel., Rhetor., lib. III, cap. X, pag. m. 464.