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EURIPIDE.

server, ne se rapportent à la fin tragique de notre poëte :

Utque cothurnatum vatem tutela Dianæ
Dilaniet vigilum te quoque turba canum.

(S) Il ne fut jamais avec Platon, en Égypte. ] Les auteurs ne s’accordent pas sur l’année de la naissance de Platon ; mais on peut, sans crainte de se tromper, la mettre dans la 88e. ou dans la 89e. olympiade. Je ne conseillerais à personne de contredire M. Barnes, qui assure [1] que Platon n’avait que dix-sept ans lorsqu’Euripide s’en alla en Macédoine, et que vingt lorsqu’Euripide mourut. Quelle absurdité de dire, comme a fait Laërce, qu’Euripide suivit Platon dans le voyage d’Égypte [2] ! S’ils y avaient été ensemble, l’ordre et la justice eussent voulu qu’Euripide, vieillard vénérable, eût été le conducteur, et que Platon, jeune barbe encore, eût suivi comme un disciple, à peu près comme quand les jeunes milords d’Angleterre et les jeunes comtes de l’Empire passent les Alpes, menés par un gouverneur. Mais laissons passer l’incongruité absurde de soutenir que Platon et Euripide ont été ensemble en Égypte. Euripide sortit d’Athènes, fatigué par les railleries des poëtes comiques, et s’en alla à la cour d’Archélaüs : il avait alors environ soixante et douze ans. Il est bien certain que son voyage d’Égypte n’est pas postérieur à celui de Macédoine ; il faut donc, ou qu’il ne soit qu’une chimère, ou qu’il ait précédé l’an soixante et douze d’Euripide. Or, on ne saurait nier que pendant les cinq ou six ans qui précédèrent le voyage de Macédoine, Euripide n’ait demeuré dans sa patrie. Il donna l’Oreste à l’âge de soixante et neuf ans [3]. Il recevait dans Athènes à l’âge de soixante-sept ans [4] les actions de grâces de ceux qui avaient sauvé leur vie en Sicile par le récit de ses vers. Est-il bien croyable qu’à l’âge de soixante et dix ans il ait entrepris d’aller en Égypte ? et si l’on veut avaler cette absurdité, qu’on me dise donc comment il a pu se faire que Platon, n’ayant pas encore vingt ans, l’accompagnât en Égypte, lui qui ne fit ce voyage qu’après [5] la mort de Socrate [6], postérieure de quelques années à celle d’Euripide ; lui, en un mot, qui n’entreprit de voyager en Égypte qu’après avoir vu l’Italie [7] ; et qui ne sortit d’Athènes qu’à l’âge de vingt-huit ans [8] ? Quand Diogène Laërce affirmerait avec serment le voyage dont il s’agit, il ne mériterait pas d’être cru contre les raisons claires et solides que l’on emprunte de la chronologie. À plus forte raison doit-on se donner la liberté de rejeter cette fable, puisqu’il ne la rapporte que sur un on dit. Et néanmoins vous voyez Joseph Scaliger, M. le Fèvre, M. Ménage, très-persuadés de cette jonction de Platon et d’Euripide pour le voyage d’Égypte. Je ne prétends point excuser Laërce ; car lorsqu’un on dit est manifestement faux, il ne le faut point rapporter sans le contredire. Laërce me fournit une preuve contre son on dit. Il remarque qu’Euripide tomba malade en Égypte, et que les prêtres le guérirent par des remèdes de mer ; ce qui l’obligea de dire quelque temps après :

Θάλασσα κλύζει πάντα τ᾽ ἀνθρπων κακὰ,

Mare universa proluit hominum mala.

C’est le 1193e. vers de la tragédie d’Iphigénie in Tauris, antérieure à l’an soixante-neuf de la vie d’Euripide, puisque la tragédie d’Oreste qu’il donna à l’âge de soixante-neuf ans, fut la dernière pièce qu’il composa dans Athènes [9]. Il faut donc nécessairement que son voyage d’Égypte soit antérieur à sa soixante-neuvième année, et ainsi Platon serait allé en Égypte avant l’âge de puberté ; ce qui

  1. In Vitâ Euripidis, pag. 27.
  2. Οῦ ϕασι καὶ Εὐριπίδην αὐτῷ συνακολουθῆσαι. Quo et Euripidem unà sequutum esse aiunt. Diog. Laërt, lib. III, in Plat., num. 6.
  3. Barnes., pag. 28, ex Scholiaste Eurip., et Joan. Meursio.
  4. Barnes., ibid.
  5. Diog. Laërt., in Platone, num. 6.
  6. Voyez la remarque (DD).
  7. Diog. Laërt., in Platone, num. 6. Cicéron, V de Finibus, dit le contraire ; mais comme Apulée observe que Platon alla deux fois en Italie, et la seconde fois après le voyage d’Égypte, il est aisé d’accorder Cicéron avec Hermodore, dans Diogène Laërce.
  8. Diog. Laërt., in Platone, num. 6.
  9. Barnes., in Vitâ Euripidis, pag. 30.