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EURIPIDE.

Finire vitam mihi laqueo meam velim,
Ut pascerem oculos intuendo Euripidem [1].

(R) On a rapporté diversement les circonstances de sa mort. ] On a pu voir dans le corps de cet article que, le roi étant à la chasse, quelques chiens se jetèrent sur Euripide qui méditait dans un bois [2], et le déchirèrent. Cela est tiré de Thomas Magister, dans la vie de ce poëte. Voyez aussi Diodore de Sicile au chapitre CIII du XIIIe. livre. D’autres disent que ce ne fut pas le hasard qui l’exposa à la fureur de ces chiens, mais qu’on les lâcha tout exprès sur lui, et que ce fut par les artifices de deux poëtes [3] jaloux de sa gloire, qui, avec une somme d’argent, engagèrent à cela celui qui gardait les chiens du roi [4]. Valère Maxime dit seulement qu’Euripide ayant soupé avec le roi, et se retirant chez lui, fut tant mordu par des chiens qu’il en mourut [5]. Aulu-Gelle marque expressément que ce tour lui fut joué par un envieux. Is cùm in Macedoniâ apud Archelaum regem esset utereturque eo rex familariter, rediens nocte ab ejus cœnâ canibus à quodam æmulo immissis dilaceratus est, et ex his vulneribus mors secuta est [6]. Je ne répète point ce que j’ai déjà touché dans la remarque (O), c’est qu’on a dit qu’allant voir à une heure indue quelqu’un ou quelqu’une, pour un mauvais dessein, il tomba entre les mains de quelques femmes qui l’assommèrent ; mais je puis bien rapporter ici la réflexion de M. le Fèvre. D’autres ont voulu faire croire, dit-il [7], qu’il avait été déchiré et mis en pièces par des femmes qui voulurent venger l’honneur de leur sexe, dont il n’avait jamais parlé qu’en assez mauvais termes ; mais il y a bien de l’apparence que cette histoire a été copiée sur la fable d’Orphée.

Finissons cette remarque par une petite érudition qu’Érasme [8] nous fournira. Il y avait, dans la Macédoine, un village qu’on nommait le village des Thraces, à cause qu’il était habité par des gens de cette nation. Un chien d’Archelaüs s’égara un jour, et s’en alla dans ce village, et y fut sacrifié et mangé, selon la coutume des habitans. Le roi, l’ayant su, les condamna à l’amende d’un talent. Ne se voyant pas en état de la payer, ils supplièrent Euripide de la leur faire remettre, et obtinrent cette grâce par sa recommandation. Il en fut puni quelque temps après, car il fut tué par les chiens du roi dans une forêt [9], et l’on se persuada que les chiens qui le tuèrent étaient issus de celui que les Thraces avaient immolé. Cela donna lieu à un proverbe [10] parmi les Macédoniens. Voici une autre érudition du même Érasme : il prétend [11] que le proverbe Promeri canes doit son origine à la vengeance que Promerus, officier chez Archélaüs, tira d’une pièce qu’Euripide qui avait faite. Il lâcha sur lui des chiens qui le déchirèrent. Érasme a oublié de nous dire ce qu’Étienne de Byzance nous apprend. Le malheureux Euripide fut fort maltraité des chiens, dans un endroit de la Macédoine nommé Bormiscus. Il ne mourut pas sur-le-champ, mais il ne guérit jamais de ces morsures. Βορμίσκος χωρίον Μακεδονίας· ἐν ᾧ κυνοσπάρακτος γέγονεν Εὐριπίδης...... ἐκ δὲ τῶν δηγμάτων ἀῤῥωςήσαντα αὐτὸν ἀποθανεῖν. Bormiscus, oppidum (regiuncula, selon Berkélius) Macedoniæ, ubi à canibus discerptus fuit Euripides.…. ex morsibus verò quùm ægrotaret, aiunt obiisse. Je ne doute point que les vers 597 et 598 de l’Ibis d’Ovide, sur lesquels M. de Boissieu n’a eu rien à ob-

  1. Thom. Magister, in Vitâ Euripidis.
  2. Ἐπειδὴ ἔν τινι ἄλσει ϕροντιζων ἔτυχε. Quando forte fortunâ per nemus quoddam cogitabundus ambularet.
  3. Aridée, Macédonien, et Cratevas, Thessalien.
  4. Suidas, in Εὐριπίδης, et Manuel Moschopulus, in Vitâ Euripidis.
  5. Val. Maxim., lib. IX, cap. XII, ext. 4.
  6. Aulus Gellius, lib. XV, cap. XX.
  7. Vie des Poëtes grecs, pag. m. 98, 99.
  8. Sur le proverbe Κυνὸς δίκην. Canis vindictam. Adagior. chil. I, cent. VII, num. 47, pag. m. 245.
  9. Cùm Euripides in sylvâ quadam solus esset, et Archelaüs à venatu reverteretur, canes Euripidem cinctun discerpserunt devorâruntque. Erasm., Adagior. chil. I, cent. VII, num. 47. Il a tort de dire qu’ils le dévorèrent, ce que nous avons dit touchant le tombeau d’Euripide réfute cela.
  10. Voyez-le ci-dessus, citation (117).
  11. Chil. II, cent. VII, num. 88, pag. 561. Apostolius dit en général la même chose, cent. XVI, num. 70.