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EURIPIDE.

[1]. Au reste, c’est à tort que le père Schottus veut prouver par Diogène Laërce qu’Euripide choisit Socrate pour son maître, après la condamnation d’Anaxagoras. Anaxagorè præceptore capitis damnato, ad Socratem se in academiam contulit, non intelligendi modò, sed et dicendi magistrum eâ tempestate optimum. Ita enim Laërtius Diogenes [2]. Je ne copie point le long passage que le père Schottus a cousu à ces paroles. Je dis seulement que ce passage de Laërce ne nous apprend autre chose, si ce n’est que l’on a cru que Socrate aidait Euripide à faire des tragédies, et qu’après la condamnation d’Anaxagoras, il devint disciple d’Archélaüs. La grande faute de ce jésuite est d’avoir appliqué à Euripide ce que Laërce a dit de Socrate ; car c’est de Socrate qu’il faut entendre qu’après la condamnation d’Anaxagoras, il fut entendre Archélaüs, Cette faute d’André Schottus est compliquée de plusieurs autres. Il n’a point su qu’Euripide, voyant le péril d’Anaxagoras, quitta la philosophie, et s’attacha au théâtre et non pas au philosophe Socrate. Il n’a point su qu’Euripide n’avait alors que dix-huit ans : jugez si Socrate beaucoup plus jeune qu’Euripide pouvait être le plus habile professeur de ce temps-là. Ce n’est point lui, mais Platon, qui a enseigné dans l’académie. Clément Alexandrin [3] et Eusèbe [4] ont erré avec bien d’autres : ils ont cru qu’Euripide avait été le disciple de Socrate.

(E) Ses ouvrages témoignent tout le contraire. ] Ils sont pleins d’aphorismes de morale, comme on l’a dit dans la remarque précédente. Ils contiennent aussi plusieurs dogmes de physique. Voyez Diodore de Sicile [5], qui a rapporté deux fois le sentiment de ce poëte sur des choses qui concernent la philosophie naturelle. Mais rien ne témoigne mieux l’attachement d’Euripide à cette science, que la peine qu’il se donna pour savoir les opinions d’Héraclite. Ce philosophe cacha ses écrits au temple de Diane, et crut qu’un jour on les tirerait de là pour les publier comme un ouvrage mystérieux, mais Euripide prévint l’effet de cette espérance : il se rendit assidu au temple de Diane, et à force de relire ce qu’Héraclite y avait mis, il le retint par cœur et le divulgua. C’est dans Tatien que j’ai lu ce conte ; car pour Diogène Laërce, il dit bien [6] que notre poëte fut plus curieux que Socrate de recouvrer les ouvrages d’Héraclite, puisque ce fut lui qui en procura la lecture à Socrate ; mais il ne dit rien de cette grande assiduité au temple de Diane. Voyons les paroles de Tatien [7] : Οὔτ᾽ ἄν ἐπαινέσαιμι κατακρύψαντα τὴν ποίησιν ἐν τῷ τῆς Ἀρτέμιδος ναῷ, μυςηριωδῶς ὅπως ὕςερον ἡ ταύτης ἔκδοσις γένηται. Καὶ γὰρ οἷς μέλον ἐςὶ περὶ τούτων, ϕασὶν Εὐριπίδην τὸν τραγῳδοποιὸν κατιόντα, καὶ ἀναγινώσκοντα διὰ μνήμης κατ᾽ ὀλίγον τὸ Ἡρακλείτου σκότος σπουδαίως παραδεδωκέναι. Neque hoc in eo laudaverim quòd carmina sua in fano Dianæ occultavit [8], ut olim veluti per mysterium ederentur. Nam quibus ista curæ sunt Euripidem poëtam tragicum ædem Dianæ frequentâsse, et paulatim tenebras istas Heracliti relegendo memoriæ prorsùs infixisse produnt. J’ajoute ce que plusieurs ont observé [9], c’est qu’Euripide fit souvent paraître dans ses tragédies qu’il suivait les opinions d’Anaxagoras, son maître. J’ai déjà dit qu’il fut nommé le Philosophe du théâtre : Origène, Clément d’Alexandrie [10] et Eusèbe [11] le témoignent : Vitruve, que je devais nommer avant eux, le dit positivement : Euripides auditor Anaxagoræ, quem Philosophum Athenienses scenicum appellaverunt [12]. Je ne crois point, quoique M. Ménage [13] l’assure, qu’Athénée et Diodore de Sicile l’aient aussi témoigné.

  1. Clem. Alexandr., Stromat., lib. V, pag. 581, C.
  2. Schott. Nodor., Ciceronianor., lib. II, cap. XV.
  3. Admonit. ad Gentes, pag. 60, A.
  4. De Præparat. Evangel., lib. V, cap. XXXII, pag. 227, A.
  5. Lib. I, cap. VII et XXXVIII.
  6. Lib. II, in Socrate, num. 22.
  7. Orat. contra Græcos, pag. 143, B.
  8. Diog. Laërce parle de cela, liv. IX, num. 6. M. Ménage, ibi, remarque contre M. Cuper, que Clément d’Alexandrie n’en a point parlé.
  9. Vide Casaubon. et Menag., in Diogen. Laërt., lib. II, num. 10.
  10. Voyez la remarque précédente, citation (25).
  11. Præp. Evangel., lib. X, cap. ultimo, pag. 504.
  12. Vitruv., lib. VIII, in præfat.
  13. In Diogen. Laërt., lib. II, num. 10.