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ÉVE.

voit que le goût et la bouche d’Ève ne sont point punis, et qu’elle accouche avec douleur, il connaît que ce n’est pas le goût qui est criminel : et découvrant quel fut le premier péché par le soin que prirent les premiers pécheurs de cacher avec des feuilles certains endroits de leur corps, il conclut que Dieu ne voulait pas que les hommes fussent multipliés par cette lâche voie. Robert Flud n’avait donc garde de s’écarter de ce sentiment absurde [1]. Graviter erravit Cornelius Agrippa in declamat. De Orig. peccati, et Robertus Flud, sub nomine anagrammalisato Rudolphi Otreb. in tract. theologico-philosophico, de Vitâ, Morte, et Resurrectione, lib. 3, cap. 2 et 3, dum tradunt, primum et originale peccatum aliud nihil fuisse, quàm copulam carnalem viri mulierisque, et nullum alium Dæmonem Evan tentâsse arbitrantur, quàm illum de quo ait Job, cujus virtus est in lumbis et in umbilico potestas. A quâ etiam opinione non planè alienus videtur Philo Judæus de Opific. mund., fol. 26 et seqq. [2]. Quand on accorderait qu’il y a quelque chose de figuré dans le récit de Moïse, on n’en devrait pas être moins certain qu’il le faut prendre à la lettre par rapport à l’ordre du temps. Or, il est incontestable que le premier congrès d’Adam et d’Ève est rapporté dans l’Écriture, comme postérieur à la sentence que Dieu prononça contre leur crime. Reyssénius a solidement réfuté la fable de ces libertins [3]. Voilà quatre faussetés sur un seul chef.

(C)..... Ce n’est pas une preuve.... que cela fût incompatible avec l’état d’innocence. ] Plusieurs des anciens pères, trop prévenus des prééminences de la virginité, ont prétendu [4] que si l’homme eût persévéré dans l’innocence, il ne fût point entré dans le commerce du mariage, et que la multiplication du genre humain se serait faite tout autrement ; mais saint Augustin a soutenu le contraire par de puissantes raisons [5] : car enfin, la bénédiction de Dieu, l’ordre de multiplier, et la différence des sexes sont des choses qui ont précédé le péché ; et il serait absurde de dire que le péché a été absolument nécessaire, afin que les générations humaines fournissent à Dieu le nombre de ses prédestinés [6]. Il est vrai que saint Augustin accorde que dans l’état d’innocence la génération se fût faite sans aucun mélange de passion, et sans la perte de la virginité, et que les parties naturelles auraient été pleinement soumises à la raison ; de sorte que, selon lui, la révolte de ces parties fut la suite la plus prochaine et la plus immédiate de la désobéissance de nos premiers pères, comme il y parut à la honte dont ils se trouvèrent saisis sur-le-champ, et qui les obligea à se faire des ceintures. Voluntati membra illa (in Paradiso) ut cœtera cuncta servirent. Ita genitale arvum vas in hoc opus creatum seminaret, ut nunc terram manus [7]. Seminaret igitur prolem vir, susciperet fœmina genitalibus membris, quando id opus esset, et quantum opus esset, voluntate motis, non libidine concitatis [8]. Ita tunc potuisse utero conjugis salvâ integritate fœminei genitalis virile semen immitti, sicut nunc potest eâdem integritate salvâ ex utero virginis fluxus menstrui cruoris emitti [9]. Il semble que certains rabbins aient attribué cela à une qualité naturelle du fruit défendu : les principes mécaniques de la nouvelle philosophie leur fourniraient de quoi défendre cette pensée. Ces docteurs ajoutent [10] que la science que le tentateur promettait à nos premiers pères, par le moyen de ce fruit, était qu’ils auraient envie de s’accoupler, la seule chose qui manquait à leurs connaissances [11]. Voilà comment

  1. Jacobus Mollerus, in Tractatu de Hermaphroditis, cap. VI, pag. 176.
  2. Voyez dans la remarque (I) ce qui sera cité de Léon Hébreu.
  3. In justâ Detestatione scelerati libelli Adr. Beverlandi. Voyez aussi Polygam. triumphat., pag. 233 et sequent. Saldeni Otia theol., pag. 595 et seq.
  4. Vide Salianum, tom. I, pag. 174.
  5. August., de Civit. Dei, lib. XIV, cap. XXI et seqq.
  6. August., ibidem, cap. XXIII.
  7. Idem, ibidem.
  8. Idem, ibidem, cap. XXIV.
  9. Idem, ibidem, cap. XXVI.
  10. Apud Rivinum, pag. 127 et seqq.
  11. Unicam rem ignoravit, coïtum nempè. Aben Esra, apud Rivin., pag. 127.