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EUDES.

dire qu’ils le déclarèrent roi, car voici comme parle Frédégaire : Chilpericus itaque et Raganfredus legationem ad Eudonem ducem dirigunt, auxilium postulantes, rogant : regnum et munera tradunt. Il ne faut pas s’imaginer que regnum signifie là un simple ornement de tête, nommé couronne, envoyé au duc d’Aquitaine ; il faut entendre la dignité et l’autorité dont la couronne est le symbole. C’est ainsi que M. Valois l’a entendu. Ut suo, dit-il[1], summoque jure ac regiâ potestate in Aquitaniæ dominaretur, provinciâ regiæ ditioni cxemptâ. Je fais cette remarque après un auteur moderne[2], qui semble accuser le savant père le Cointe d’avoir cru qu’on ne donna point à Eudes l’autorité royale ; mais qu’on lui envoya seulement une couronne. Dans le passage que ce père cite[3], regnum se prend pour une couronne, j’en conviens ; cependant ce n’est pas une couronne sans relation à l’autorité souveraine. Rhéginon confirme mon sentiment, lorsqu’il dit, sous l’année 735, que Charles Martel priva Eudes et du royaume et de la vie, Eudonem regno simul et vitâ privavit. L’auteur moderne cite pour un troisième témoin, une inscription de saint Maximin, qui porte qu’en 710, sous Eudes, très-pieux roi de Français, et pendant le temps de la descente des Sarrasins, on transféra le corps de sainte Marie-Madeleine : Anno nativitatis Domini 710, sextâ die mensis decembris... regnante Odoino piissimo rege Francorum, tempore infestationis gentis perfidæ Saracenorum ; mais cette autorité a deux grands défauts : l’un, que l’année 710 n’est point un temps où l’inondation des Sarrasins se fit craindre dans les Gaules ; l’autre, qu’Eudes pour le plus n’a été que roi d’Aquitaine ; et voici une inscription qui le traite de roi des Français. Je m’étonne que M. Audigier n’ait point aperçu de faute dans le chiffre 710. Ce n’est point dans son livre une faute d’impression ; mais, quoi qu’il en soit, c’est une faute. Catel, en rapportant cette inscription, l’a ponctuée de telle sorte qu’elle tombe sur l’an 716[4]. Anno nativitatis Domini septuagesimo decimo sexto, die mensis decembris, etc. J’ai lu dans Belleforet[5], qu’en l’an 741, les Sarrasins détruisirent la ville d’Aix en Provence, et que ce fut alors que Girard de Roussillon, comte de Bourgogne et de Provence, fit transporter d’Aix à Vézelai le corps de la benoite Marie-Madeleine.

(B) Il ne trouvait guère raisonnable de souffrir que Charles Martel allât à grands pas à l’usurpation de la couronne. ] On ne sait lequel vaut mieux ou de se ficher, ou de se moquer de l’indigne partialité de tant d’écrivains, qui traitent de brouillons et de rebelles tous ceux qui voulurent s’opposer à l’ambition de Charles Martel, et à celle de Pepin. Ces mêmes auteurs auraient tourné la médaille, si la fortune se fût déclarée pour ces prétendus rebelles ; et alors les titres de factieux, de perturbateurs du repos public, de perfides et de traîtres, eussent été réservés pour les Martels et pour les Pepins : tant il est vrai qu’il y a du peuple partout, parmi les historiens comme parmi la petite bourgeoisie !

............... Sed quid
Turba Remi ? Sequitur fortunam ut semper, et odit
Damnatos. Idem populus si Nortia Tusco
Favisset ; si oppressa foret secura senectus
Principis, hâc ipsâ Sejanum diceret horâ
Augustum[6] ...............

(C) Munuza devint amoureux de la fille d’Eudes. ] Les erreurs de quelques auteurs, touchant cette affaire, seront examinées dans les remarques de l’art. Munuza, tome X.

(D) On dit que sa perte fut très-grande. ] Roderic de Tolède[7] en donne une idée affreuse, comme si Dieu seul savait le nombre de ceux qui périrent en cette occasion. Je l’ai déjà remarqué dans l’article d’Abdérame [8] ; mais voici les paroles de cet his-

  1. Adrianus Valesius, Hist. Francor.
  2. Audigier, Origine des Français, tom. II, pag. 235.
  3. Romanus pontifex in signum imperii utitur regno, et in signum pontificii utitur mitrâ. Innocent. III, apud Audigier, Origine des Français, tom. II, pag. 233.
  4. Mémoires de l’Histoire du Languedoc, pag. 524. Il l’emprunte de frère Bernard Guido en sa Chronique des Papes, et en la Vie de Nicolas III.
  5. Chronique de France, folio m. 52.
  6. Juven., sat. X, vs. 73.
  7. Histor. Arabum, cap. XIV.
  8. Remarque (D).