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ÉPICURE.

tant de cas d’une chose si facile ; au lieu que c’est un miracle de ressusciter les morts en les faisant parler de telle sorte, que comme on a dit dans la religion que les ossemens avaient opéré plus de merveilles que les corps animés, on peut soutenir de même dans la rhétorique, que ceux qui ne sont plus ont beaucoup plus de force à nous persuader, que n’en ont les vivans[1]. »

(F) Ce fut gâter le système des atomes... que de ne pas retenir la doctrine de Démocrite touchant l’âme des atomes. ] Saint Augustin ne nous permet pas de douter que Démocrite n’ait cru que tous les atomes étaient animés. Democritus, dit-il[2], hoc distare in naturalibus quæstionibus ab Epicuro dicitur, quod iste sentit inesse concursioni atomorum vim quandam animalem et spiritalem..., Epicurus verò neque aliquid in principiis rerum ponit præter atomos. Prétendre qu’un assemblage d’atomes inanimés peut être une âme, et peut envoyer des images qui nous donnent des pensées ; c’est se payer d’une hypothèse plus confuse que le chaos d’Hésiode. C’était néanmoins la prétention d’Épicure. Quorum corpusculorum concursu fortuito et mundos innumerabiles, et animantia, et ipsas animas fieri dicit, et Deos quos humana forma, non in aliquo mundo, sed extra mundos, constituit, et non vult omninò aliquid, præter corpora, cogitare : quæ tamen ut cogitet, imagines dicit ab ipsis rebus, quas atomis formari putat, defluere, atque in animum introire subtiliores, quàm sunt illæ imagines, quæ ad oculos veniunt[3]. Mais en supposant une fois que tous les atomes ont une âme, on conçoit sans peine que leurs divers assemblages forment diverses espèces d’animaux, diverses manières de sentimens, diverses combinaisons de pensées ; et par-là on est à l’abri de l’objection foudroyante de Galien : Cùm atomus una dolere non possit, quòd alterationis, et sensûs incapax sit, si dum caro acu pungitur, atomus una non sentiat, non sensuras duas, nec treis, nec quatuor, nec plureis ; perindèque fore, ut si adamantum, aliarumve rerum invulnerabilium acervus fodiatur. Et, ut digiti connexi absque dolore separantur ; sic iri atomos diductum, absque ullo doloris sensu, cùm sese mutuò solùm contingant[4]. Plutarque avait déjà fait une semblable objection à Colotes[5]. Qu’on se tourne de tous les côtés imaginables, comme ont fait Lucrèce et Gassendi[6], pour soudre cette difficulté, on ne pourra pas même l’effleurer, et ce qu’on dira de meilleur est que tous les philosophes qui reconnaissent que les principes des corps mixtes sont privés de sentiment, s’exposent autant qu’Épicure à la même difficulté. Il faut dire les choses comme elles sont, l’hypothèse de l’âme du monde, ou celle des automates, est la seule voie de se tirer de cet embarras ; car il serait dangereux de reconnaître dans les bêtes une âme immatérielle comme dans l’homme : et pour ce qui est de la distinction de nos péripatéticiens entre la matière et l’âme matérielle des bêtes, c’est un vain subterfuge qui n’est pas moins foudroyé par l’objection de Galien, que les atomes d’Épicure[7]. Au reste, il n’est pas plus absurde de supposer que les atomes sont essentiellement animés, que de supposer qu’ils existent et qu’ils se meuvent d’eux-mêmes. Voyez l’article de Leucippe, à la remarque (E).

Ceux qui voudront voir d’autres différences entre Démocrite et Épicure n’auront qu’à consulter Cicéron [8].

(G) Ce qu’il enseigna sur la nature des dieux est très-impie. ] Ce serait observer un peu trop négligemment les lois sacrées de l’équité, que d’accuser Épicure d’avoir cru que les dieux ne méritent pas notre culte, nos respects et nos hommages : car il a professé ouvertement le contraire,

  1. La Mothe-le-Vayer, tom. IV, pag. 83, 84.
  2. August., epist. LVI : j’ai cité ce passage tout entier tome V, pag. 474, citation (107) de l’article Démocrite.
  3. August., epist. LVI, pag. m. 273.
  4. Galenus dum interpretatur illud Hippocratis, si unum esset homo, non doleret, quia non foret undè doleret. Apud Gassendum, Phys., sect. III, lib. VI, cap. III Oper., tom. II, pag. 343. Il cite lib. de Const. art., cap. 4 de elem. 3 et 4.
  5. Plut., adv. Colot., pag. iiii.
  6. Voyez Gassendi, ibidem.
  7. Voyez les remarques (C) et (L) de l’article Dicéarque, disciple d’Aristote, tome V.
  8. Lib. I de Finib.