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DÉJOTARUS.

(N) Il répondit habilement à la raillerie de Crassus touchant sa vieillesse. ] Ce capitaine romain passa par la Galatie, lors de son expédition contre les Parthes, et y trouva le roi Dejotarus qui estoit fort vieil, je me sers de la version d’Amyot, et néanmoins bastissoit une nouvelle ville. Si lui dit, en se moquant : il me semble, sire roi, que tu commences bien tard à bastir, de t’y estre mis à la derniere heure du jour. Ce roi des Galates lui répondit sur le champ : Aussi n’es-tu pas toi mesme parti gueres matin, à ce que je voi, seigneur capitaine, pour aller faire la guerre aux Parthes. Car Crassus avoit ja passé soixante ans, et si le montroit son visage encore plus vieil qu’il n’estoit [1]. Il fallait que Déjotarus fût alors bien vieux, car Cicéron, en parlant d’un temps fort voisin de celui-là, dit qu’on s’étonnait que ce prince eût la force de se tenir à cheval, après que plusieurs personnes l’y avaient mis. Dejotarum quùm plures in equum sustulissent, quòd hærere in eo senex posset, admirari solebamus [2]. C’était au temps que Cicéron commandait dans la Cilicie l’an 702. Crassus avait été défait deux années auparavant. Cicéron lia une amitié fort étroite avec le roi Déjotarus pendant qu’il fut dans la Cilicie, et en reçut toutes sortes d’assistances [3]. Il donna son fils et son neveu à Déjotarus le fils, qui les emmena dans la Galatie [4]. J’ai une autre preuve de la vieillesse de Déjotarus. Il était déjà fort âgé lorsque Pompée faisait la guerre à Mithridate. Il recommanda ses enfans et sa maison à Caton d’Utique [5]. Nous avons vu ci-dessus [6] qu’il n’avait qu’un fils au temps de la guerre de Pharnace.

(I) M. Moréri a fait de grosses fautes. ] Il n’est pas vrai, comme il assure, 1o. que Déjotarus fut accusé d’avoir fait mourir sa fille et son gendre Castor ; 2o. et que cela donna sujet à Cicéron de prononcer pour sa défense cette admirable oraison que nous avons encore. On a pu voir dans le texte de cet article le véritable sujet de l’accusation et du plaidoyer ; 3°. il y a très-peu d’apparence que Castor l’historien soit fils du gendre de Déjotarus. Pourquoi donc M. Moréri donne-t-il cela pour un fait certain ?

Scaliger [7], Vossius [8], le père Hardouin [9], et plusieurs autres grands hommes, estiment que Castor, surnommé le chronographe par Josephe [10], est le gendre de Déjotarus. Trois raisons m’empêchent d’adopter ce sentiment. La première est que ce Castor, comme ils l’avouent, a fait un livre qui a pour titre χρονικὰ ἀγνοήματα, les ignorances chronologiques. Or cet ouvrage a été cité par Apollodore [11] qui florissait sous Ptolemée Evergète II du nom [12] : il faut donc que Castor ait fleuri pour le plus tard sous le même règne. Comment donc pourrait-il être le gendre de Déjotarus ? car ce gendre vivait encore lorsque Cicéron plaida pour Déjotarus [13], c’est-à-dire l’an de Rome 709 ou environ. Un homme qui aurait fleuri sous le règne d’Evergète, lequel s’étend depuis l’an de Rome 608 jusques à l’année 636, pourrait-il être encore en vie l’an 709 ? Je tire ma deuxième raison de ce que Castor le chronographe avait composé beaucoup de livres, sur des matières qui demandaient tout un homme. Il faut qu’un auteur comme lui ait extrêmement étudié, et n’ait fait presque autre chose. Cela ne convient point au beau-fils de Déjotarus. On en parle comme d’un homme qui s’intrigua avec chaleur dans le parti de Pompée, de sorte que son fils par complaisance pour lui ne voulait point désarmer après la déroute de Pharsale, quelque peine que Cicéron se donnât pour le

  1. Idem, in Vità Crassi, pag. 553.
  2. Cicer., pro Dejot., cap. X.
  3. Voyez la IVe. lettre du XVe. livre ad Familiares ; et l’Oraison pro Dejotaro, cap. XIII.
  4. Epist. XVII et XVI libri V ad Atticum.
  5. Plut., in Catone minore, pag. 765, E. Il se sert du pluriel παῖδας.
  6. Dans la remarque (F), citation (18).
  7. Animadv., in Euseb., pag. 16 et 56.
  8. Vossius, de Hist. græc., pag. 159.
  9. In Indice Auctorum Plinii.
  10. In Apion., lib. II.
  11. Bibl., lib. II, pag. m. 75.
  12. Vossius, de Hist. græc., pag. 132.
  13. Cicer., pro Dejotaro, cap. X, où, s’adressant à Castor, il insinue clairement que son père était complice de l’accusation. Peu auparavant il avait dit que Castor, après la bataille de Pharsale, continua dans le parti de Pompée, pour faire plaisir à son père. Vous verrez cela dans la citation suivante.