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DAURAT.

Pontus de Tyard, Jodelle, Belleau, Baïf et Daurat. Et voici ce que l’on trouve à la page 186 de ses remarques sur la vie de Pierre Ayrauld : Daurat est le premier des poëtes de la Pléiade ; car tous ceux qui ont parlé de ces poètes, les ont nommés en cet ordre : Daurat, Ronsard, du Bellai, Belleau, Antoine de Baïf, Pontus de Tyard, et Jodelle. Je ne veux point me servir de l’autorité de M. de Thou, qui dit [1] que Ronsard et Daurat avaient fait les vers qui furent chantés par les filles de la reine, au fameux ballet dont on régala les ambassadeurs de Pologne l’an 1573 [* 1] ; car il est fort possible, en cette rencontre, que des vers chantés par des dames aient été latins, et il y a des auteurs qui disent expressément que Daurat fit les vers latins qui furent récités au ballet qui fut représenté aux Tuileries l’an 1573, quand M. le duc d’Anjou fut déclaré roi de Pologne [2]. Mais quoiqu’il soit sûr que Daurat a fait des vers en sa langue maternelle, il faut avouer que son mérite était pas tel de ce côté-là que du côté de la poésie latine. C’est aussi en qualité de poëte latin qu’il a fait du bruit dans la république des lettres, nonobstant les fautes grossières qui lui échappaient quelquefois contre les règles de la quantité. Barthius lui donne ce coup en passant dans la page 1659 de son commentaires sur Stace, et ajoute une chose de lui qui mérite d’être rapportée [3], c’est qu’il admirait tellement cette épigramme d’Ausone (Epigr. 105),

Dum dubitat natura, marem faceretve puellam,
Factus es, ô pulcher, penè puella puer,


qu’il soutenait qu’un démon en était l’auteur [* 2].

(O) Sa veine fut réduite.………. à l’état d’un tonneau bas percé. ] Citons Sainte-Marthe. Nullus novus liber in lucem exibat, quin sibi commendatricem Aurati musam pro Mercurio itineris duce et auspice deposceret. Nullus in totâ Galliâ paulò nobilior è vivis excedebat, quin ab Aurati lugubribus camœnis tanquam præficis solemnes funeri questus et lacrymæ sufficerentur ; quo fiebat ut in tantâ similium argumentorum multitudine beata illa quondam uberioris ingenii vena non aresceret quidem, sed fundo propior languidius negligentiusque flueret ac se traheret [4]. J’ai dit dans la remarque (B) de l’article Afer (Domitius), que les poëtes devraient quitter de bonne heure le service d’Apollon. J’ajoute que s’ils sentaient le retour de quelque accès poétique, ils devraient le prendre pour une tentation de quelque mauvais génie, et se servir envers les déesses du Parnasse de la prière qu’un de leurs confrères employa envers la déesse de l’amour :

........ Parce, precor, precor,
Non sum qualis eram bonæ
Sub regno Cynaræ. Desine dulcium
Mater sæva Cupidinum
Circa lustra decem flectere mollibus
Jam durum imperiis : abi
Quò blandæ juvenum te revocant preces [5].


Le service des muses sympathise en bien des choses avec le service des dames ; il vaut mieux s’en retirer trop tôt que trop tard, et dire de fort bonne heure avec une ferme résolution de s’en tenir là :

Vixi puellis nuper idoneus,
Et militavi non sine gloriâ :
Nunc arma, defunctumque bello
Barbiton hic paries habebit [6].


On parle de certains monarques, qui donnèrent ordre à quelqu’un de leurs domestiques de leur venir dire chaque jour : Souvenez-vous d’une telle affaire [7]. S’il est permis de

  1. * Leclerc assure que ces vers sont tous latins et furent imprimés la même année en une brochure in-folio avec figures.
  2. (*) On trouve pag. 339 du livre intitulée, Veneres Blyemburgicæ, sive amorum Hortus, etc. opera Damasi Blyemburgii Batavi, Dordraci, 1600, in-8o., ces vers d’un pacte appelé Evangelista, qui sont une imitation de ceux d’Ausone :

    Dum dubitat, faceret ne Deam, faceret ne puellam
    Jupiter, ecce Dea es facta, puella simul.
    Sed Dea dum fieres, dubitat Venus, anne Minerva,
    Virgo, fores ; subito es facta Minerva, Venus, etc.

    Ces vers sont adressés ad Helenam Vendraminam virginem Venetam. Rem. crit.

  1. Lib. LVII.
  2. Du Breul, Antiquités de Paris, pag. 565.
  3. Il l’avait déja rapportée, pag. 94.
  4. Sammarth. Elogior., liv. III, pag. m. 55, 56.
  5. Hor., od. I, lib. IV, vs. 2.
  6. Hor., od. XXVI, lib. III, vs. 1.
  7. Souvenez-vous que vous êtes mortel. On attribue cela à Philippe de Macédoine. Souvenez-vous des Athéniens. Hérodote, liv. V, chap. CV, touchant Darius fils d’Hystaspe.