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CAUSSIN.

affaires, comme il le serait infailliblement dans peu de jours, et qu’il aurait alors une prompte et entière satisfaction. Ce que le duc ayant fait entendre à son Éminence, elle se trouva beaucoup soulagée d’avoir appris la cause du chagrin extraordinaire où l’on voyait le roi depuis quelque temps, et travailla aussitôt à chercher le remède au mal qui pressait. Ce remède fut un billet qu’il écrivit à sa majesté embarrassant pour le confesseur. Ce père ne se trouva pas à l’épreuve d’une si rude attaque, ni en état de résister à cette guerre déclarée. C’est pourquoi, étant sans comparaison le plus faible, il lui fut force de céder, et de recevoir la loi du plus fort, qui le fit chasser avec quelque infamie de la cour, et reléguer à Quimpercorentin, dans la Basse-Bretagne [1]. M. Auberi marque ceci sous l’an 1639 ; mais il nous fournit lui-même de quoi le convaincre qu’il ne marque pas bien l’année. Le cardinal ayant ainsi rangé l’un de ces deux directeurs au devoir, dit-il [2], ne vint pas si aisément à bout de l’autre, ou au moins n’en tira pas une si prompte raison, quoiqu’enfin il l’eut encore plus ample et plus exemplaire. Quelques pages après [3] il nous apprend que la duchesse de Savoie fit savoir au cardinal la détention du père Monod, le 4 de janvier 1639. La plupart des historiens, je parle de ceux qui mettent en marge l’année, tombent plus qu’il ne faudrait dans de semblables inconvéniens. Voyez la remarque (G) à la fin.

Il résulte de ce narré, quelque avantageusement qu’on le tourne pour le cardinal, que le but du père Caussin n’était que de rappeler Marie de Médicis. Son dessein pouvait être légitime ; car enfin il ne semble pas que la conscience d’un prince soit en bon état lorsqu’il maltraite sa mère. Mais il est vrai qu’en l’état où était la France, le prince ne pouvait guère retenir auprès de lui Marie de Médicis sans exposer son royaume à beaucoup de troubles, tant elle était obsédée d’esprits brouillons : et après tout, il était fort difficile de travailler au rappel de cette princesse, sans avoir en vue la ruine du cardinal. Un auteur que j’ai cité ci-dessus m’apprend que le jésuite Caussin travailla efficacement à la réunion de Louis XIII avec la reine sa femme, et par ce moyen à lever la stérilité de cette princesse. C’est le sens le plus plausible qu’on puisse donner, ce me semble, aux paroles de cet auteur. Louis XIII, dit-il [4], donna au père Caussin un très-grand accès auprès de sa personne, et depuis, ayant goûté ses entretiens, il le fit entrer fort avant dans ses bonnes grâces, même jusqu’à la familiarité, et le traita avec tant de confiance, qu’on jugea bien qu’il reconnaissait en ce digne père quelque excellente partie, qui lui avait si aisément et sitôt gagné le cœur. Et l’on ne douta nullement que ce ne fut cette forte et généreuse inclination qu’il témoignait au service et à l’honneur de sa majesté qui le rendait extrêmement zélé pour le bien public, et pour la parfaite intelligence de la maison royale, que ses desseins envisageaient uniquement. Et nous avons appris par une déposition fidèle et irréprochable que c’est à ses sages conseils que la France est redevable en partie du riche présent qu’elle a reçu du ciel, dont elle jouit maintenant en la personne sacrée de son auguste monarque, très-digne fils, et légitime héritier des vertus de son père.

(C) Il y a quelque apparence qu’il intrigua pour faire chasser le cardinal de Richelieu. ] Si l’on en croit les Mémoires de l’abbé Siri [5], ce jésuite, dans ses entretiens avec le roi, avait conclu à l’éloignement du cardinal pour quatre raisons. 1o. À cause de l’exil de la reine mère. 2o. À cause que cette éminence ne laissait que le nom de roi à Louis XIII. 3o. À cause qu’elle opprimait trop les peuples. 4o. À cause des grands services qu’elle rendait aux protestans au préjudice de la catholicité. Il s’engagea même à soutenir ces quatre points au cardinal en présence de sa majesté, et il proposa au duc d’Angoulême de

  1. Vie du cardinal de Richelieu, liv. VI, chap. XVI, pag. 50 du IIe. tome, édit. de Hollande,
  2. Là même, chap. XVII, pag. 50.
  3. Pag. 63.
  4. Éloge du père Caussin.
  5. Ceux qui ne les pourront consulter au tome VIII, pag. 573 et suiv., n’auront qu’à lire la nouvelle Vie du cardinal de Richelieu, imprimée à Amsterdam l’an 1694, tom. II, pag. 312 et suiv.