Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Caussin


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CAUSSIN (Nicolas), jésuite français, confesseur de Louis-le-Juste, naquit à Troyes en Champagne [a], l’an 1580 [* 1]. Il entra chez les jésuites à l’âge de vingt-six ans, et s’acquit beaucoup de gloire par la régence de la rhétorique dans plusieurs de leurs colléges. Il se mit ensuite à prêcher [b] ; et comme la réputation qu’il acquit à cet égard fut soutenue et augmentée par les livres qu’il publiait, on le trouva digne d’être mis auprès du roi comme directeur de conscience. Il ne s’acquitta point de cette charge au gré du premier ministre (A) : et, selon l’opinion la plus commune, ce fut à cause qu’il s’y comportait comme doit faire un homme de bien. Il y en a qui ont dit qu’il se laissa trop surprendre aux artifices d’un jésuite de la cour du duc de Savoie (B). Il y a quelque apparence qu’il intrigua pour faire chasser le cardinal de Richelieu (C). Quoi qu’il en soit, on lui ôta son emploi, et on le relégua dans une ville de Bretagne. Il eut permission de revenir à Paris après la mort de ce cardinal, et il y mourut dans la maison professe, le 2 de juillet 1651 (D). De tous ses ouvrages aucun ne lui a fait plus d’honneur que celui qu’il intitula la Cour Sainte (E). Il en publia plusieurs autres [* 2], tant en latin, qu’en français (F). C’est une chose bien singulière, que ce que l’on dit de sa sympathie avec le soleil [c]. Le sieur Bullart est tombé dans quelques anachronismes (G).

Je viens de lire une lettre [d], où l’on assure que la reine-mère le fit sortir de Paris, et le relégua en Bretagne, pour complaire au cardinal Mazarin à qui il avait déplu ; et que la raison de cette disgrâce vint du livre de Regno et Domo Dei, qu’il avait publié l’an 1650, et dans lequel il avait dit de très-bonnes choses sur les qualités que doivent avoir les princes.

  1. * Il naquit en 1583, dit Joly. Son père était un grand médecin. N. Caussin entra, dit encore Joly, chez les jésuites, en 1607 ; mais voyez ci-après la remarque (D).
  2. * Outre les ouvrages du père Caussin cités par Alegambe, etc., Joly indique une lettre imprimée pages 571-604 du Tuba altera majorem clangens sonum, Strasbourg, 1714, in-12. Cette lettre adressée au père Mutio Viteleschi, général des jésuites, est relative à la disgrâce de l’auteur.
  1. Son Père y exerçait la médecine. Éloge du père Caussin, à la tête de la Cour Sainte.
  2. Alegambe, Biblioth. script. societ. Jesu, pag. 351.
  3. Voyez la remarque (G), citation (28).
  4. De Guy Patin, imprimée avec celles de quelques autres illustres, à Amsterdam, ex Museo Joannis Brant, l’an 1701, in-8o. Voyez-y la pag. 200.

(A) On le trouva digne d’être mis auprès du roi comme directeur de conscience. Il ne s’acquitta point de cette charge au gré du premier ministre. ] La disgrâce du père Caussin a été de ces sortes d’événemens sur lesquels on pense beaucoup et on parle peu, et dont la cause n’est jamais clairement connue. Néanmoins, il en est venu quelque chose à la connaissance du public. On prétend que ce jésuite, peu de temps avant sa mort, donna à un de ses amis l’original de quelques lettres qu’il avait écrites de sa main au général de son ordre, et au père Seguiran, et au prince de Condé ; et le public a pu voir par quelques fragmens de ces lettres [1], que le père Caussin s’attira cette disgrâce, pour n’avoir pas voulu révéler certaines choses qu’il apprenait de Louis XIII au confessional, ni consulter même ses supérieurs à l’égard de la direction de ce prince, lorsque pour savoir leurs conseils il aurait fallu donner quelque atteinte au secret de la confession. Les mêmes fragmens nous font entrevoir qu’il désapprouvait la conduite que Louis XIII avait tenue envers la reine sa mère. Or, c’était le moyen le plus propre d’irriter le cardinal. M de la Barde a observé que cette éminence fit chasser le père Caussin, à cause des scrupules qu’il jetait dans l’âme du prince, sur les duretés que l’on exerçait envers Marie de Médicis. Hic posteâ Ludovici XIII regis confessarius fuit, qui quoniam ei scrupulum injecerat, de Mariâ reginâ matre haud satis piè habitâ, atque aulâ, et regni finibus abscedere coactâ, aulâ et ipse Richelii operâ, cui cum Mariâ lites intercessêre, facessere pridem jussus fuerat [2]. L’auteur de l’éloge du père Caussin a raison de dire qu’on doit admirer un homme qui aima mieux s’attirer la haine d’un tel cardinal, en suivant les instincts de la conscience, que complaire à ce cardinal en s’écartant du droit chemin. « Il faut dire à l’honneur de ce généreux père, qu’il s’est tellement comporté dans la cour, qu’il y a laissé de quoi admirer, et l’a obligée d’avouer avec étonnement, que son esprit était d’une magnanimité toute extraordinaire, puisqu’ayant en tête une puissance capable de l’accabler de biens ou de maux en un instant, il n’en rechercha la faveur, ni pour lui ni pour les siens, et en craignit si peu la disgrâce, aimant mieux souffrir tout en sa personne, que de manquer au devoir d’un fidèle confesseur. C’est de vrai une parole avantageuse et bien hardie, avancée par saint Augustin en faveur de son cher Alipius [* 1], mais qui convient aussi bien au généreux père Caussin, et qui fait seule plus glorieusement son éloge qu’une centaine d’autres [3]. » L’auteur de cet éloge ne savait pas que les lettres du père Caussin touchant sa disgrâce sont entre les mains des jansénistes [4]. Il les croit perdues, car voici ce qu’il dit : « Je sais bien que ce fut un grand problème que cette affaire, et que quand elle se passa elle fut fort diversement interprétée. Mais la suite du temps a décidé le différent des opinions partagées, et la vérité s’étant fait jour au travers des nuages a justifié la sincérité d’une action si héroïque et si glorieuse. Il en avait écrit lui-même l’histoire dans une excellente lettre qui a été malheureusement égarée [* 2], et qui mériterait pourtant de voir le jour pour la satisfaction des esprits, si elle se pouvait recouvrer. »

On prétend que ce jésuite ne croyait pas que l’attrition par la seule crainte de l’enfer fût suffisante pour être justifiée dans le sacrement [5] ; et l’on veut même que sa doctrine sur ce sujet ait donné lieu à sa disgrâce. M. Arnauld sera mon témoin. « On a su par des personnes très-dignes de foi de la vieille cour, que votre père Caussin, étant confesseur du feu roi, se crut obligé de l’avertir que cela ne suffisait pas, et qu’on ne pouvait être justifié sans aimer Dieu. Ce qui fut une occasion au cardinal de Richelieu qui se défiait de lui de le faire chasser et reléguer à Quimper, en persuadant au roi que cette doctrine ne valait rien. Et c’est ce qui lui fit ensuite employer tout son crédit pour faire censurer ce que le père Seguenot avait dit sur ce sujet, dans ses remarques sur le livre de la sainte virginité, que ce ministre fit entendre au roi être la même chose que ce que lui avait dit le père Caussin [6]. »

On ne saurait assez admirer le silence du père Alegambe, et de son continuateur. Celui-là, publiant son livre depuis la disgrâce du père Caussin, ne marqua pas même qu’il eût été confesseur du roi : celui-ci, publiant le sien depuis la mort du même jésuite, marque à la vérité qu’il fut confesseur de Louis XIII, mais sans dire le moindre mot de sa disgrâce. M. Moréri n’a pas été moins mystérieux que les deux jésuites qui ont écrit la Bibliothéque des écrivains de leur ordre : il n’a rien dit, ni de cet emploi du père Caussin, ni de son éloignement de la cour.

(B) On a dit qu’il se laissa trop surprendre aux artifices d’un jésuite de la cour du duc de Savoie. ] Abrégeons sur ce sujet ce que M. Auberi en a publié [7]. Le père Monod, confesseur de la duchesse de Savoie, ayant dessein de brouiller la France, travailla avec chaleur au rappel de la reine mère. C’est pourquoi il eut soin, dans le voyage qu’il fit à la cour de France, de lier une étroite habitude avec le père Caussin, aussi jésuite, et confesseur du roi, et d’avoir diverses conférences avec lui, où il n’eut pas grande peine à le persuader, ni à gagner toute la créance qu’il désirait sur son esprit, étant bien un autre homme d’état, et un autre courtisan que n’était pas l’autre, et ayant autant d’esprit et de malice, s’il en faut croire le sentiment du Cardinal-Duc dans quelque dépêche, que le père Caussin avait de simplicité et d’ignorance. De sorte qu’ayant déjà cet avantage, il ne douta plus du succès de l’affaire, et qu’un prince religieux comme était Louis XIII ne dit suivre en un point de conscience les mouvemens et les avis de son confesseur. Et en effet, l’on remarqua au roi des inquiétudes et des chagrins extraordinaires depuis que le père Caussin lui eut renouvelé ses scrupules sur l’éloignement de la reine mère, et qu’il l’eut disposé à la rappeler, contre l’inclination et les sentimens de son Premier Ministre. Le duc de Savoie apprit au cardinal la correspondance et les menées de ces deux pères [8]. D’autres assurent qu’elles furent découvertes par l’imprudence du père Caussin, lequel étant sollicité par le duc d’Angoulême sur l’expédition d’une abbaye de filles qu’il poursuivait, lui insinua qu’il eût patience que le Cardinal fût éloigné des affaires, comme il le serait infailliblement dans peu de jours, et qu’il aurait alors une prompte et entière satisfaction. Ce que le duc ayant fait entendre à son Éminence, elle se trouva beaucoup soulagée d’avoir appris la cause du chagrin extraordinaire où l’on voyait le roi depuis quelque temps, et travailla aussitôt à chercher le remède au mal qui pressait. Ce remède fut un billet qu’il écrivit à sa majesté embarrassant pour le confesseur. Ce père ne se trouva pas à l’épreuve d’une si rude attaque, ni en état de résister à cette guerre déclarée. C’est pourquoi, étant sans comparaison le plus faible, il lui fut force de céder, et de recevoir la loi du plus fort, qui le fit chasser avec quelque infamie de la cour, et reléguer à Quimpercorentin, dans la Basse-Bretagne [9]. M. Auberi marque ceci sous l’an 1639 ; mais il nous fournit lui-même de quoi le convaincre qu’il ne marque pas bien l’année. Le cardinal ayant ainsi rangé l’un de ces deux directeurs au devoir, dit-il [10], ne vint pas si aisément à bout de l’autre, ou au moins n’en tira pas une si prompte raison, quoiqu’enfin il l’eut encore plus ample et plus exemplaire. Quelques pages après [11] il nous apprend que la duchesse de Savoie fit savoir au cardinal la détention du père Monod, le 4 de janvier 1639. La plupart des historiens, je parle de ceux qui mettent en marge l’année, tombent plus qu’il ne faudrait dans de semblables inconvéniens. Voyez la remarque (G) à la fin.

Il résulte de ce narré, quelque avantageusement qu’on le tourne pour le cardinal, que le but du père Caussin n’était que de rappeler Marie de Médicis. Son dessein pouvait être légitime ; car enfin il ne semble pas que la conscience d’un prince soit en bon état lorsqu’il maltraite sa mère. Mais il est vrai qu’en l’état où était la France, le prince ne pouvait guère retenir auprès de lui Marie de Médicis sans exposer son royaume à beaucoup de troubles, tant elle était obsédée d’esprits brouillons : et après tout, il était fort difficile de travailler au rappel de cette princesse, sans avoir en vue la ruine du cardinal. Un auteur que j’ai cité ci-dessus m’apprend que le jésuite Caussin travailla efficacement à la réunion de Louis XIII avec la reine sa femme, et par ce moyen à lever la stérilité de cette princesse. C’est le sens le plus plausible qu’on puisse donner, ce me semble, aux paroles de cet auteur. Louis XIII, dit-il [12], donna au père Caussin un très-grand accès auprès de sa personne, et depuis, ayant goûté ses entretiens, il le fit entrer fort avant dans ses bonnes grâces, même jusqu’à la familiarité, et le traita avec tant de confiance, qu’on jugea bien qu’il reconnaissait en ce digne père quelque excellente partie, qui lui avait si aisément et sitôt gagné le cœur. Et l’on ne douta nullement que ce ne fut cette forte et généreuse inclination qu’il témoignait au service et à l’honneur de sa majesté qui le rendait extrêmement zélé pour le bien public, et pour la parfaite intelligence de la maison royale, que ses desseins envisageaient uniquement. Et nous avons appris par une déposition fidèle et irréprochable que c’est à ses sages conseils que la France est redevable en partie du riche présent qu’elle a reçu du ciel, dont elle jouit maintenant en la personne sacrée de son auguste monarque, très-digne fils, et légitime héritier des vertus de son père.

(C) Il y a quelque apparence qu’il intrigua pour faire chasser le cardinal de Richelieu. ] Si l’on en croit les Mémoires de l’abbé Siri [13], ce jésuite, dans ses entretiens avec le roi, avait conclu à l’éloignement du cardinal pour quatre raisons. 1o. À cause de l’exil de la reine mère. 2o. À cause que cette éminence ne laissait que le nom de roi à Louis XIII. 3o. À cause qu’elle opprimait trop les peuples. 4o. À cause des grands services qu’elle rendait aux protestans au préjudice de la catholicité. Il s’engagea même à soutenir ces quatre points au cardinal en présence de sa majesté, et il proposa au duc d’Angoulême de prendre la place du cardinal. Ce duc, avertissant de ce complot le premier ministre, fut cause de la disgrâce du père Caussin, à ce que dit l’abbé Siri.

(D) Il mourut... le 2 de juillet 1651. ] M. Moréri, qui s’était trompé au temps que Caussin se fit jésuite [14], s’est trompé de plus au temps de sa mort : il l’a mise à l’année mil six cent cinquante-cinq. MM. Bullart et Witte ont marqué comme il fallait le temps de la mort, mais non pas la durée de la vie. L’un veut que Caussin soit mort le 2 de juillet 1651, en la soixante-neuvième de ses années [15] ; l’autre qu’il soit mort le 2 de juillet 1651, à la quatre-vingt-unième année de sa vie, et à la cinquante-septième de sa profession de jésuite [16]. Cela ne s’accorde ni avec le père Alegambe, ni avec le père Sotuel. Selon le père Alegambe, l’entrée de Caussin chez les jésuites est de 1606, et Caussin avait alors vingt-six ans. Il serait donc mort à l’âge de soixante-onze ans, et dans la quarante-cinquième année de sa vie religieuse. Le père Sotuel prétend que Caussin se fit jésuite à l’âge de vingt-six ans, en l’année 1596. Il serait donc mort à l’âge de quatre-vingt-un ans, et n’aurait été jésuite que cinquante-cinq ans. Je crois qu’il s’en faut tenir au père Alegambe [* 3].

(E) De tous ses ouvrages aucun ne lui a fait plus d’honneur que celui qu’il intitula la Cour Sainte. ] Il a été imprimé je ne sais combien de fois [17], et on l’a traduit en latin, en italien, en espagnol, en portugais, en allemand et en anglais [18]. La première édition du Ier. volume est de l’an 1625, in-8o. Les autres tomes suivirent de près celui-là. Je critiquerai ci-dessous [19] M. Bullart, qui a dit que Caussin se retira de la cour pour composer la Cour Sainte ; il fallait dire qu’il la revit et l’augmenta pendant sa disgrâce.

(F) .…. Il en publia plusieurs autres, tant en latin qu’en français. ] Les premiers essais de sa plume furent les Symboles sacrés, quelques pièces de poésie qui se trouvent dans la Pompe royale, et les Parallèles de l’éloquence [20]. Il fit ces trois livres encore assez jeune, à ce que dit son éloge. Cependant on marque dans la Bibliothéque des écrivains jésuites que l’Electorum Symbolorum et Parabolarum Historicarum Syntagma, seu de symbolicâ Ægyptiorum Sapientiâ et Polyhistoris symbolici lib. XII, fut imprimé à Paris, l’an 1618, et que l’Eloquentiæ sacræ et humanæ Parallela fut imprimé à la Flèche, l’an 1619. L’auteur avait donc près de quarante ans, au compte du père Alegambe, et près de cinquante, au compte du père Sotuel, lorsqu’il publia ces deux livres. Est-ce être encore assez jeune ? Entre ces autres ouvrages, je remarque principalement l’Apologie pour la société des jésuites, imprimée l’an 1644, la Réponse aux objections touchant la théologie morale ; le Triomphe de la piété, qu’il publia au sujet de la prise de la Rochelle, l’an 1629 ; la réponse qu’il publia trois ans après au livre de M. Drelincourt [21] contre ce Triomphe de la piété ; l’Angelus Pacis, imprimé l’an 1650 ; le Regnum Dei seu Dissertationes in libros Regum cum aliis Tractatibus, imprimé aussi l’an 1650 [22].

(G) Le sieur Bullart est tombé dans quelques anachronismes. ] J’ai déjà marqué [23] sa méprise touchant l’âge du père Caussin, n’en parlons plus ; voyons le reste. « Il n’y avait pas longtemps qu’il (le père Caussin) s’était voué à Dieu sous l’habit et la règle de saint Ignace, lorsqu’il présenta au public les premiers fruits de son étude. Ce fut ce livre rare des symboles sacrés, qui pénétrant dans les hiéroglyphes des Égyptiens, éclairait les énigmes qu’un auteur ancien nous cache sous ces caractères mystérieux [24]. » On a déjà vu que ce livre fut imprimé l’an 1618, c’est-à-dire, selon le père Alegambe, douze ans après que Caussin fut entré chez les Jésuites. Selon le père Sotuel, il y avait vingt-deux ans que Caussin s’était enrôlé sous la règle de saint Ignace. N’étant pas en état de confronter les éditions, je prie ceux qui en auront la commodité, de voir si l’approbation du provincial des jésuites est bien datée dans l’édition de Cologne. Je parle du livre de Symbolicâ Ægyptiorum Sapientiâ. Cette approbation est datée de la Flèche, le 19 de novembre 1623, dans mon édition qui est de Cologne, in-8o., l’an 1631. Je ne doute point que les imprimeurs n’aient mis 1627 pour 1617. Ainsi je ne veux point me servir de cette date pour prouver que le jésuite Caussin ne fit point son coup d’essai sur les hiéroglyphes des Égyptiens. La préface de cet ouvrage pourrait là-dessus me servir de preuve ; car l’auteur y dit qu’en travaillant à sa Rhétorique, il songea à celui-ci. Cùm libros de triplici eloquentiâ et apparatum quendam ex florentissimâ exemplorum copiâ ad oratoriam facultatem instruerem, adjeci quoque animum ad symbolicam veterum sapientiam. Notez qu’il avait publié un recueil de poésies grecques [25] l’an 1612, et la traduction latine d’un ouvrage de Richeome [26], l’an 1613 ; de sorte qu’on n’a pas pu dire en rigueur que l’explication des hiéroglyphes ait été le premier essai de sa plume. Ces beaux ouvrages (ce sont les paroles de M. Bullart [27], et il parle 1o. des Symboles sacrés ; 2o. de la Pompe royale ; 3o. des Parallèles de l’éloquence sacrée et profanes,), ayant fait connaître son nom à la cour parmi les savans, ses supérieurs voulurent que le prince conmît aussi sa personne. Le père Gonteri, l’un des plus fameux prédicateurs de leur société, le mena au Louvre, et le présenta à Henri IV, qui le reçut avec beaucoup de caresses, et dit en voyant l’éclat qui brillait sur son visage, qu’il serait un jour l’un des plus signalés personnages de sa compagnie. C’est bouleverser la chronologie ; car ces trois ouvrages du père Caussin n’ont paru qu’après la mort d’Henri IV. Les Symboles, qui, selon M. Bullart, ont été le coup d’essai, ne parurent qu’en 1618. Le narré qui est dans l’éloge du père Caussin n’a pas été moins bouleversé que l’ordre des temps. Voici les paroles de l’auteur de cet éloge [28] : « Le père Caussin avait une sympathie toute particulière avec les cieux, nommément avec le soleil, qu’il appelait son astre, et duquel il ressentait des opérations fort notables, tant au corps qu’en l’esprit, selon ses approches et ses éloignemens, et à proportion qu’il se montrait ou qu’il était couvert de nuages. Et cette affinité ne se remarquait pas seulement dans ces rencontres passagères, elle paraissait constamment dans le feu de ses yeux, et dans la couleur vive de son visage, qui portait je ne sais quoi de céleste, et qui toucha autrefois Henri-le-Grand d’un mouvement assez extraordinaire. Ce prince, si judicieux en la connaissance des hommes, l’ayant un jour envisagé encore tout jeune, accompagnant le père Gonteri, l’un des illustres prédicateurs de son temps, ne l’ayant jamais ni vu ni connu, s’avança devers lui, faisant fendre la presse, le prit par la main, lui fit des caresses dont il eut de la confusion, et ceux qui étaient autour de lui de l’étonnement, ajoutant qu’il l’avait bien reconnu parmi tout ce grand monde, et qu’il fallait qu’il le servît bien lui et les siens : et, se tournant vers le père Gonteri, lui dit tout haut, par un pronostic remarquable : Vous avez là, mon père, un compagnon qui me paraît devoir être quelque jour une des grandes lumières de votre compagnie. » Comparez cela avec le narré de M. Bullart ; quelle différence ne trouverez-vous pas entre l’original et la copie ! car il ne faut point douter que M. Bullart n’ait copié cet éloge, en tournant à sa manière ce qu’il en prenait. Il n’a pas mieux réussi dans ce qu’on va lire. Le père Caussin « accepta véritablement cette charge difficile [29], et l’exerça quelque temps avec beaucoup de prudence et de piété ; mais voyant la maison royale dans la discorde, il la quitta avec cette même indifférence, et retourna dans son couvent, où, dégagé des troubles d’une cour profane, il donna toutes ses pensées à la composition de ce grand et merveilleux ouvrage de la Cour Sainte. » Cet ouvrage était déjà traduit en latin avant que ce père sortît de la cour [30] ; et, au reste, sa sortie ne fut nullement volontaire : il fallut céder aux persécutions et aux volontés impérieuses du premier ministre ; et l’on ne se retira point dans son couvent, on fut relégué en Basse-Bretagne.

Je suis assuré que la plupart des éloges des hommes illustres sont tout pleins de semblables anachronismes, et que l’on y commet plus souvent que dans les livres de scolastique le sophisme à non causâ pro causâ. Pour éviter cela, il faudrait toujours donner la forme d’annales à l’histoire des grands hommes ; mais les annalistes eux-mêmes ne sont point exempts d’anachronismes ; car il leur arrive souvent de ne parler d’une affaire que sous l’année où elle se termina. Alors ils la reprennent de plus haut, ils en donnent l’origine et les progrès, et entassent cinq on six ans ensemble, sans marquer aucune date : de sorte que leurs lecteurs sont hors des voies de l’exacte chronologie.

  1. (*) Mirantibus omnibus inusitatam animam, quæ hominem tantum innumerabilibus præstandi, nocendique artibus celebratum, vel amicum non optaret, vel non formidaret inimicum. S. Aug., Conf., lib. VI, cap. X.
  2. * Joly qui possédait une copie fidèle de cette lettre en donne l’extrait. Il paraît que, de concert avec mademoiselle de la Fayette le père Caussin travaillait à inspirer à Louis XIII des sentimens désavantageux contre Richelieu. Celui-ci conserva son empire, et, pour ne plus s’exposer à le perdre, fit exiler le père Caussin. Ce jésuite écrivait au pape Urbain VIII le 10 février 1643, cinq ou six ans après sa disgrâce, qu’il avait tâché de persuader cinq choses au roi : 1o. de maintenir l’autorité du saint siége et de ne pas permettre qu’on écrivît contre ; 2o. de pacifier les troubles de l’Église excités par le cardinal ; 3o. de ne point suivre le conseil de ce ministre qui voulait l’engager à une alliance avec le Turc contre des princes chrétiens ; 4o. de soulager ses peuples accablés par la rigueur des impôts ; 5o. de respecter et rappeler sa mère exilée par les intrigues du cardinal. Joly donne aussi la liste chronologique des neuf confesseurs de Louis XIII.
  3. * Bayle à la fin de sa remarque (A) a parlé de la réserve d’Alegambe et de Sotuell.
  1. Voyez les Entretiens d’Eudoxe et d’Euchariste sur l’Histoire de l’Arianisme et sur l’Histoire des Iconoclastes du père Maimbourg, réimprimés en Hollande l’an 1683. Ils furent brûlés à Paris, par la main du bourreau, l’an 1674.
  2. Labardæus, de Rebus gallicis, lib. IX, sub finem.
  3. Éloge du père Caussin, à la tête de la Cour Sainte.
  4. Cela paraît par les Entretiens d’Eudoxe et d’Euchariste, cités ci-dessus.
  5. Arnauld, page dernière de l’avertissement à la quatrième dénonciation de l’Hérésie du péché philosophique.
  6. Là même.
  7. Dans la Vie du cardinal de Richelieu, liv. VI, chap. XVI, pag. 47 du IIe. tome, edit. de Hollande.
  8. Le cardinal écrit cela lui-même, comme l’assure M. Auberi, là même, pag. 48.
  9. Vie du cardinal de Richelieu, liv. VI, chap. XVI, pag. 50 du IIe. tome, édit. de Hollande,
  10. Là même, chap. XVII, pag. 50.
  11. Pag. 63.
  12. Éloge du père Caussin.
  13. Ceux qui ne les pourront consulter au tome VIII, pag. 573 et suiv., n’auront qu’à lire la nouvelle Vie du cardinal de Richelieu, imprimée à Amsterdam l’an 1694, tom. II, pag. 312 et suiv.
  14. Il dit que Caussin se fit religieux en 1605. Ce fut en 1606, selon Alegambe ; et en 1596, selon Sotuel.
  15. Bullart, Académie des Sciences, tom. II, pag. 225.
  16. Witte, Diar. Biograph.
  17. L’édition dont je me sers est de Bruxelles, 1664, en deux volumes in-4o. Il y en a une de Paris, 1680, en deux volumes in-folio.
  18. Sotuel, Biblioth, Societ. Jesu, pag. 627.
  19. Remarque (G), citation (30).
  20. Éloge du père Caussin. Voyez la dernière remarque.
  21. Ce livre de M. Drelincourt est la IIe. partie du Triomphe de l’Eglise sous la Croix. L’auteur nous apprend dans la préface que Caussin, dans la seconde édition de son livre, avait cherché tous les détours imaginables pour soutenir que la prise de la Rochelle était une preuve que cette ville était hérétique. M. Drelincourt le réfute invinciblement là-dessus dans sa préface.
  22. Tiré de Sotuel, Biblioth, Soc. Jes., pag. 627.
  23. Ci-dessus, remarque (D), citat. (15), etc.
  24. Académie des arts et des sciences, tom. II, pag. 224.
  25. Thesaurus græcæ poëseos ex omnibus græcis poëtis collectus. Alegambe, Biblioth. Soc. Jes., pag. 351.
  26. Vertit è gallico latinè justa funebria Henrico Magno Galliarum regi à Ludovico Richeomo scripta. Idem, ibid.
  27. Académie des arts et des sciences, tom. II, pag. 224.
  28. Pag. 1 et 2.
  29. Celle de confesseur de Louis XIII.
  30. Voyez dans Alegambe, pag. 157, qu’Henri Lamormaini traduisit en 1636, 1637 et 1638, la plupart des livres de la Cour Sainte. Le père Caussin fut éloigné, si je ne me trompe, en décembre 1637.

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