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ATTILA.

tinées promettaient l’empire de tout le monde à celui qui aurait cette épée fatale[1]. » C’est un des plus puissans stratagèmes dont un général d’armée se puisse servir, que de manier et de remuer ses soldats par les ressorts d’une mystérieuse superstition, qui les remplisse de confiance ou de crainte, selon les besoins : de confiance quand il faut se battre, de crainte quand l’envie de se mutiner commence à naître. Il est bon qu’un soldat se persuade que son général a un esprit familier qui le tire de tout mauvais pas[2]. Attila était lui-même superstitieux : Religioni persuasionibusque de diis à suâ gente susceptis, usque ad superstitionem addictus[3] : car un peu avant la bataille de Châlons, « il consulta ses devins, qui lui dirent qu’à la vérité toutes leurs observations ne promettaient rien d’avantageux aux Huns, mais qu’elles leur avaient fait connaître que le chef des ennemis serait tué dans la bataille. Ce fut assez pour décevoir Attila : il s’imagina que la mort d’Aëtius était certaine, et que, pourvu que cet homme ne lui fît plus d’obstacle, la conquête de l’empire lui serait aisée. Il n’appréhenda point de perdre ses soldats, et se persuada qu’il lui en resterait toujours assez, pourvu qu’il vécût après ce grand capitaine[4]. » Il fut trompé, car Aëtius ne fut pas même blessé dans cette bataille.

(D) La nuit de ses noces un saignement de nez l’étouffa. ] On conte qu’après que les prières du pape Léon l’eurent engagé à épargner le reste de l’Italie, il s’en retourna dans la Pannonie, chargé de butin ; et qu’encore qu’il eût un grand nombre de concubines, il ne laissa pas d’en prendre une toute nouvelle, qui était fille du roi des Bactriens. Elle était parfaitement belle, et il en devint si amoureux, qu’il voulut lui faire l’honneur de l’épouser dans les formes, pour lui donner le premier rang parmi ses femmes. Il célébra ses noces avec beaucoup de solennité ; mais il but tant, et puis il s’échauffa avec tant d’excès dans les caresses de sa nouvelle épouse, que s’étant enfin endormi, il lui prit un saignement de nez qui l’étouffa. Ildico puella ei fuit præ cæteris gratissima, Bactrianorum regis filia, mirâ pulchritudine et incomparabili venustate, cujus amore succensus eam primariæ uxoris loco habere constituit. Comparatis pro regis dignitate nuptiis per omnem intemperantiæ licentiam in conjugali convivio sibi indulsit, Baccho ac Venere corpus ità eâ nocte confecit, ut inter dormiendum supino corpore, profluvio sanguinis è naribus continuo suffocatus interierit[5]. Il n’y aurait rien que de vraisemblable dans ce conte, si l’on n’ajoutait pas qu’Attila était alors à l’âge de cent vingt-quatre ans. On a de la peine à croire qu’à cet âge un homme soit en état de faire de grands excès avec le sexe. Un historien frison n’a pas laissé d’alléguer ce fait comme une preuve favorable aux historiens de sa nation, qui donnent une très-longue vie à leurs anciens rois. Il ne l’emprunte point de Bonfinius, mais de Michel Rithius. His adde testimonium Michaelis Rithii, qui libro de regibus Hungariæ primo scribit, Attilam Italicâ prædâ opimisque spoliis onustum in Pannoniam se recepisse, uxoremque superduxisse regis Bactrianorum nomine Milzoth, etsi plures alias haberet in matrimonio, eumque cùm nuptiales epalas apparatissimè celebrâsset, liberiùs solito crapulatum in cubiculum se recepisse, erumpenteque è naribus sanguine in os dormientis extinctum esse, anno ætatis suæ 124, regni sui 44. Si tantam ætatem in hoc libidinoso tauro Seytico credimus, cur non et eamdem Frisiis accidere potuisse censeamus[6] ? Au reste, il y en a qui ont dit qu’Attila ne mourut point de cette façon ; mais que sa nouvelle épouse, qui ne l’aimait pas, le voyant ivre et assoupi comme un autre Holopherne, le tua d’un coup de couteau[7].

(E) Divers auteurs ont écrit sa vie. ] Nicolas Olahus, archevêque de Stri-

  1. Maimbourg, Histoire de l’Arianisme, tom. III, pag. 6.
  2. Voyez les remarques (A) et (B) de l’article Aristandre, et l’article Agrippa, remarque (P), num. I, à la fin.
  3. Gallimachus Experiens, in Attilâ.
  4. Cordemoi, pag. 120, ex Jornande.
  5. Bonfinius, Hist. Hungar., decad. I, lib. VII, pag. 75.
  6. Bernard. Furmerius, Annal, Phrisicor., lib. III, cap. IX, pag. 243.
  7. Maimbourg, Histoire de l’Arianisme, tom. III, pag. 35, à l’an 453, ex Cassiodoro.