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ARTAXIAS Ier.

l’article d’Artaxata, n’oublia point ce qu’il y vit touchant Annibal, et que c’est à son abréviateur, moins habile homme que lui, qu’il faut imputer la négligence dont Pinedo a fait une juste plainte. Il n’y a peut-être point d’ouvrage qui demande plus de discernement et de bon goût que l’abrégé d’un gros livre [1]. Je ne me lasse point de faire cette remarque, parce que je porte chaque jour la peine de la négligence des abréviateurs. Ils sont cause que je trouve des obscurités embarrassantes en cent endroits, qui apparemment étaient fort intelligibles dans l’auteur qu’on a abrégé. Voyez ce que M. Gronovius observe contre les auteurs du Synopsis Criticorum [2].

(B) Sa situation était fort avantageuse. ] Strabon nous apprend qu’Artaxata était bâtie dans un endroit où la rivière faisait une péninsule, de sorte que les murailles étaient entourées de cette rivière, comme d’un cercle presque entier. Son traducteur n’a pas entendu la chose, et Pinedo le lui a fort justement reproché [3]. Si l’on ne consultait que la version, on croirait que cette ville était sans murailles, hormis l’endroit où la rivière ne l’entourait pas : Cincta muri loco flumine, nisi qua isthmus est. Le grec ne dit point cela : Τὸ τεῖχος κύκλῳ προϐεϐλημένον τὸν ποταμὸν, πλὴν τοῦ Ἰσθμοῦ.

(C) Elle fut brûlée par Corbulon…… que les lois de la guerre y avaient comme forcé. ] Plus on considère les suites inévitables de la guerre, plus se sent-on porté à détester ceux qui en sont cause. Voilà Corbulon qui réduit en cendres une grande et belle ville, et qui jette dans la dernière désolation une infinité de femmes, d’enfans, de vieillards, qui ne lui avaient jamais fait aucune injure. Demandez à ceux qui entendent le plus à fond le métier des armes s’il fit bien, ils vous répondront qu’il fit très-bien, et qu’au cas qu’il ne l’eût point fait, il aurait agi en très-malhabile général, comme il eût été aisé de l’en convaincre par les raisons que Tacite a exposées. Artaxatis ignis immissus, deletaque et solo æquata sunt, quia nec teneri sine valido præsidio ob magnitudinem mœnium, nec id nobis virium erat quod firmando præsidio et capessendo bello divideretur, vel si integra et incustoditar elinquerentur, nulla in eo utilitas aut gloria quòd capta essent [4]. Les insultes que l’on fait à son ennemi, lorsqu’il abandonne ses conquêtes sans les mettre hors d’état de lui nuire, ou qu’il ne les garde qu’en affaiblissant trop ses armées, le rendent si méprisable que, pour maintenir sa réputation, l’un des plus grands ressorts de la guerre, il ne faut jamais donner lieu à ces insultes. C’est donc par une fatale et malheureuse nécessité, que les dures lois de la guerre obligent à priver son ennemi de ce dont on ne saurait profiter soi-même.

(D)... et qui y fut encouragé par un grand miracle. ] Tacite, avec tout son grand esprit, donnait d’aussi bon cœur qu’un autre homme dans ce merveilleux dont on aime à se repaître. Les habitans d’Artaxata cherchèrent sans doute à se consoler de la ruine de leur ville, entre autres raisons, par quelque miracle qui les assurât que les dieux ne l’avaient point agréée ; et ils crurent aisément tout ce que l’on inventa dans cette vue. Mais ils n’ont point eu d’historien qui ait fait parvenir jusqu’à nous ce qu’ils crurent. Les Romains, de leur côté, ne manquèrent pas de gens qui surent tourner la médaille. Nous le savons, grâces à Tacite : Adjicitur miraculum velut numine oblatum, nam cuncta extrà teclis hactenùs sole inlustria fuêre, quod mœnibus cingebatur ità repentè atrâ nube coopertum fulguribusque discretum est, ut quasi infensantibus deis exitio tradi crederetur [5].

  1. Voyez ci-dessus la fin de la remarque (C) de l’article Achille [tom. I, pag. 147], et la remarque (C), num. VII, de l’article Arsinoé.
  2. Gronovius, in Tractatu de Judâ Proditore. Consultez les Nouvelles de la République des Lettres, mai 1684, art. VI, pag. 276.
  3. Pinedo, in Stephan, de Urbibus, pag. 117.
  4. Tacit., Annal., lib. XIII, cap. XLI.
  5. Idem, ibidem.

ARTAXIAS Ier., roi d’Arménie, n’étant encore qu’un des généraux d’Antiochus-le-Grand, partagea l’Arménie avec un des autres généraux de ce même roi (A). Ce prince leur permit à l’un et à l’autre d’y commander sou-