Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arsinoé 2


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ARSINOÉ, femme de Magas, roi de Cyrène (A), se déshonora par ses impudicités. Magas, un peu avant que de mourir, accorda leur fille unique Bérénice au fils de Ptolomée, roi d’Égypte. Dès qu’il fut mort, Arsinoé, qui n’avait vu qu’à regret ces fiançailles, prit des mesures pour les rompre. Elle fit offrir Bérénice, avec le royaume de Cyrène, à Démétrius frère du roi Antigonus [a]. Ces offres furent acceptées. Démétrius s’embarqua tout aussi tôt, et eut un vent si favorable, qu’il ne tarda guère à voir Bérénice. Il était bel homme, et cela le rendit d’autant plus fier, qu’il s’aperçut promptement de l’impression que sa beauté avait faite sur le cœur d’Arsinoé. Il négligea la fille pour se rendre plus agréable à la mère ; il traita les troupes de haut en bas ; enfin il se rendit si odieux, que tout le peuple tourna ses désirs vers le fils de Ptolomée. On résolut de se défaire de Démétrius, et l’on en concerta les moyens avec Bérénice [b]. On lâcha sur lui les assassins destinés à le tuer ; on les lâcha, dis-je, dans un temps qu’il avait choisi pour coucher avec Arsinoé (B). Cette femme ayant ouï sa fille, qui se tenait à la porte, et qui commandait que l’on épargnât sa mère, couvrit de son corps son galant le mieux qu’elle put ; mais ses efforts furent inutiles. On le tua, ensuite de quoi le mariage de Bérénice avec le fils de Ptolomée sortit son plein et entier effet [c]. Justin, si je ne me trompe, est le seul historien qui nous apprenne cela : j’en suis surpris, car une action de cette nature méritait bien d’être remarquée. Ce qu’il y a encore de bien étrange, c’est que personne ne nous dit ce que devint Arsinoé, ni d’où elle était, ni ce que devint cette Bérénice ; et bien loin que l’on rapporte que Ptolomée Évergètes, fils de Ptolomée Philadelphe, l’ait épousée, on nous assure qu’il se maria avec Cléopâtre. Matthias, qui le dit [d], ne cite personne ; mais on voit dans Josephe, au chapitre IV du XIIe. livre de ses Antiquités judaïques, que la femme de Ptolomée Évergètes se nommait Cléopâtre. Notez que Ptolomée Évergètes eut un fils appelé Magas [e], d’où l’on peut conjecturer que le père de sa femme se nommait Magas, comme Justin le rapporte. Je marquerai quelques erreurs de M. Moréri (C), et une de M. Ménage (D).

  1. Il était roi de Macédoine.
  2. On peut inférer cela des paroles de Justin.
  3. Tiré de Justin, liv. XXVI, chap. III.
  4. Matth. Theatrum histor., pag. 363.
  5. Plutarch. in Agide et Cleomene, pag. 820.

(A) Elle était femme de Magas, roi de Cyrène. ] est nommé Agas dans les éditions de Justin ; mais les bons critiques ont remarqué, il y a long-temps, qu’il faut lire Magas : c’est ainsi, ajoutent-ils, que Pausanias, Polyænus et Athénée le nomment [1]. On leur objectera, peut-être, que celui dont Pausanias a fait mention n’est point le mari de notre Arsinoé ; car il était frère utérin de Ptolomée Philadelphe, au lieu que le mari d’Arsinoé était frère de Ptolomée Évergètes. Voici l’histoire de ce Magas, selon Pausanias. Il était fils de Bérénice, et d’un Macédonien nommé Philippe, homme de basse extraction. Eurydice, fille d’Antipater, ayant été mariée avec Ptolomée fils de Lagus, mena en Égypte cette Bérénice. Celle-ci coucha avec Ptolomée, et lui donna entre autres enfans Ptolomée Philadelphe, qui régna après son père. Elle fit donner le gouvernement de Cyrène à son fils Magas, qui épousa Apame fille du roi Antiochus, et fut fort brouillé avec Ptolomée Philadelphe. Voilà le Magas de Pausanias [2]. N’est-il pas clair, dira-t-on, qu’il ne peut pas être celui de Justin, ce Magas qui était mari d’Arsinoé, et qui mourut environ le temps que le fils de Pyrrhus fut rétabli dans le royaume d’Épire [3] ? Les critiques peuvent répondre que Magas, roi de Cyrène, ayant régné cinquante ans [4], rien n’empêche qu’il n’ait vécu jusqu’au rétablissement du fils de Pyrrhus, que les meilleurs chronologues placent sous l’an de Rome 493 [5], qui était le vingt-cinquième du règne de Ptolomée Philadelphe. Au lieu donc de dire, comme l’on fait ordinairement, que Justin parle de Ptolomée Évergètes dans son livre XXVI [6], il faut établir qu’il parle de Ptolomée Philadelphe, et que c’est à celui-ci qu’il donne pour frère Magas roi de Cyrène. Que s’il nomme Arsinoé la femme de Magas, ce n’est pas un signe que son Magas soit différent de celui de Pausanias, puisque le même roi de Cyrène a pu être marié successivement avec Apame fille d’Antiochus, et avec notre Arsinoé. Quant au reste, les guerres où il s’engagea contre Ptolomée Philadelphe, selon Pausanias, conviennent très-bien au Magas dont parle Justin. Rex Cyrrenarum Agas decedit qui ante infirmitatem Berenicen unicam filiam ad finienda cum Ptolemæo fratre certamina, filio ejus desponderat [7]. J’avoue qu’elles ne semblent pas convenir au Magas dont Athénée a parlé ; car c’était un homme qui, jouissant de la paix, se plongea dans les délices et dans la fainéantise, et qui, à force de manger, devint si gros, que la graisse l’étouffa [8]. Mais cette objection n’est pas insoluble : un prince dont le règne dure cinquante ans ne peut-il pas s’engager à quelques guerres, et s’abandonner ensuite à un long repos ?

(B) On lâcha sur lui les assassins... dans un temps qu’il avait choisi pour coucher avec Arsinoé. ] Le jésuite Bisselius a trouvé là un sujet d’admiration. Adulteris autem duobus illis, dit-il [9], Berenicâ filiâ mæchæ consciâ, tensæ per dispositos percussores ità sunt insidiæ (quod mireris), ut in ipso flagrantis sceleris ardore deprehensis superveniens adulteræ filia, mæchique conjux Berenice pro talami nefandi foribus subsistens, etc. La circonstance du temps, ni celle du lieu, n’ont rien d’admirable ici. Il était aisé de remarquer quand Démétrius allait à la chambre d’Arsinoé, et c’était l’occasion la plus plausible que les conjurés pussent prendre.

(C) Voici quelques erreurs de M. Moréri. ] 1°. Il n’y a point d’exactitude dans cette expression, Magas donna en mariage Bérénice sa fille à Ptolomée : le latin porte Beronicen... filiam desponderat [10]. Les paroles de Moréri nous cachent un fait qui ne se développe pas dans la suite de sa narration, c’est que Bérénice demeura auprès de son père et de sa mère. On songe à toute autre chose, quand on lit qu’elle fut donnée en mariage à un fils du roi d’Égypte. Afin donc de ne faire pas égarer ses lecteurs, il fallait suivre rigoureusement le mot despondere. Cette remarque est petite en elle-même, mais ses usages peuvent être considérables par rapport à ceux qui veulent traduire. Ils ne sauraient jamais être trop scrupuleux dans l’observation de cette règle : c’est qu’ils doivent éviter tous les termes équivoques, tout ce qui peut empêcher que le lecteur n’ait les idées les plus conformes à la nature de chaque sujet. 2°. Il n’est pas vrai que Justin dise que notre Arsinoé était fille d’Antiochus Soter ; 3°. Ni que son mari se nommait Magus [11] ; 4°. Ni que ce prétendu Magus était fils de Ptolomée Lagus [12] ; 5°. Ni qu’elle fit épouser sa fille à Démétrius ; 6°. Ni qu’elle eut dessein de lui mettre la couronne sur la tête ; 5°. Ni qu’elle fut chassée. Peut-on assez condamner une licence si hardie ? On narre tout ce qu’on veut sans qu’on le trouve dans un auteur, et puis on a la hardiesse de le citer. Je sais, qu’en prenant pour guide un historien d’un aussi petit jugement que Justin, on est obligé de suppléer bien des circonstances ; mais alors il faut avertir qu’on les supplée, il ne faut pas les donner pour une version de Justin. J’ai dit que cet abréviateur n’a guère de jugement, et je suis sûr que Trogue Pompée pesterait cent fois le jour contre lui, s’il pouvait connaître le mauvais état où son ouvrage a été réduit par ce faiseur d’abrégés. Il se perdrait lui-même dans les ténèbres de son abréviateur. Presque tous les Antiochus et les Ptolomées, et les Antigonus y paraissent sans les marques de leur distinction : on ne sait s’il parle du père, ou du fils, ou du petit-fils ; il faut le deviner la plupart du temps. Il n’a pas seulement pris la peine de dire si le mariage de Démétrius avec Bérénice fut consommé. Belle demande ! me dira-t-on ; et moi je dis qu’il eût dû marquer expressément le oui ou le non ; car il n’est pas sans apparence qu’un homme qui observa avec joie qu’il était aimé de la mère, consentît que l’on différât ses noces avec la fille. Vous m’allez dire que Justin donne à Arsinoé la qualité de belle-mère de Démétrius, nimis placere socrui cœperat ; mais je vous réponds qu’il donne ensuite à Bérénice la qualité de pucelle, quæ res suspecta primò virgini : par conséquent, l’une de ces phrases renverse l’autre, et l’on soupçonne qu’il ne se sert point des termes dans le sens le plus exact. L’index de Justin, dans l’édition de M. Grævius, ne donne à Bérénice que la qualité de fiancée [13]. Quoi qu’il en soit, ni Justin, ni plusieurs autres abréviateurs, ne savent pas qu’un abrégé doit ressembler aux pygmées qui ont toutes les parties du corps humain, mais chacune à proportion plus petite que celles d’un homme de belle taille. Apetissez dans un abrégé les parties d’une narration, tant qu’il vous plaira, mais ne les retranchez pas entièrement. Comptons pour la VIIIe. faute de M. Moréri, la contradiction où il est tombé. Il veut ici que Bérénice, femme de Ptolomée Évergètes, fût fille de Magus ; ailleurs [14], il assure qu’elle était la propre sœur de ce Ptolomée.

(D) .....et une de M. Ménage. ] Elle est dans sa note sur ces paroles de Diogène Laërce : Δημητρίου τοῦ πλεύσαντος εἰς Κυρήνην, ἐπὶ πλέον ἐρασθῆναι λέγεται (Ἀρκεσίλαος) [15]. Demetrium qui Cyrenem [16] navigavit amâsse plurimùm dicitur (Arcesilaus). Je ne n’étonne pas, dit M. Ménage, que ce philosophe amoureux des jeunes garçons ait aimé Démétrius, qui semble avoir eu une beauté merveilleuse, et qui enfin le perdit ; car on le tua dans le lit de sa marâtre, In novercæ concubitu cæsus est. Justin, cité par M. Ménage, ne permet pas de dire qu’Arsinoé eut une telle alliance avec le mignon d’Arcésilas. On eût mieux fait de marquer la faute de l’interprète latin [17].

  1. Voyez le Commentaire de Justin, dans l’édition de M. Grævius, à Leyde, en 1683.
  2. Pausanias, lib. I, pag. 6.
  3. Justin, lib. XXVI, cap. III.
  4. Athen., lib. XII, pag. 550.
  5. Voyez Calvisius, ad annum mundi 3690.
  6. Voyez l’index du Justin de M. Grævius, et notez que Bisselius à la IVe. décade Ruinarun illustrium, pag. 1534, suppose que Justin parle d’un Agas frère de Ptolomée Évergètes.
  7. Justin, lib. XXI, cap. III.
  8. Athen., lib. XII, pag. 550.
  9. Bisselius, Ruin. illustrium decad. IV, pag. 1536. Justin a dit, Cui (Demetrio) cùm in lectum socrûs concessisset, percussores immittuntur.
  10. Justin, lib. XXVI, cap. III.
  11. Son nom dans les éditions de Justin est Agas : son vrai nom est Magas.
  12. Il était fils d’un certain Philippe et de la maîtresse de ce Ptolomée.
  13. Demetrius à sponsâ suâ interficitur., 26, 3, 7.
  14. Dans le second article Bérénice.
  15. Diog. Laërtius, in Arcesilao, lib. IV, num. 41.
  16. Il y a dans les éditions, cùm is Cyrenem navigâsset. Ce qui est faux ; car l’amour d’Arcésilas ne vint point après le voyage de Cyrène.
  17. Voyez la note précédente.

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