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ARTAVASDE II.

seulement qu’Artaxias fut chassé par Archélaüs et par Tibère [1]. Suétone, sans dire un mot d’Artaxias, se contente d’observer que Tibère mit Tigrane sur le trône : Ducto ad Orientem exercitu regnum Armeniæ Tigrani restituit, ac pro tribunali diadema imposuit [2]. Je ne vois pas que le terme de restituer ait été ici bien employé, car Tigrane, qui était le cadet d’Artaxias, n’avait jamais été possesseur de l’Arménie, et n’avait point dû l’être pendant la vie de son aîné. Scaliger, qui a eu raison de dire qu’Eusèbe ne devait point se servir d’un mot signifiant que l’Arménie fut subjuguée par Tibère [3], puisque les Arméniens ne demandèrent pas mieux que d’avoir pour roi Tigrane qu’il leur amenait, Scaliger, dis-je, qui relève justement cette fausseté, ou cette impropriété d’Eusèbe [4], aurait bien fait d’éviter le restituit de Suétone, et de ne pas donner le titre d’usurpateur à Artaxias [5]. Il y a une autre impropriété ou fausseté dans Eusèbe et dans saint Jérôme, son traducteur, qui n’a pas été relevée par Scaliger. Ils nous assurent que Tibère se saisit de l’Arménie, παρεςήσατο occupavit Armeniam : or, il ne fit autre chose que donner aux Arméniens le maître qu’ils demandaient. Il est certain d’ailleurs qu’il l’intronisa, qu’il lui mit le diadème sur la tête, et qu’il lui aurait prêté main forte s’il l’avait fallu : d’où vient donc que Scaliger dit que l’Arménie fut rendue à Tigrane sans l’intervention de Tibère ? Que veut-il dire quand il soutient que saint Jérôme ayant assuré que Tibère s’empara de l’Arménie, occupavit, a dû croire qu’elle appartenait déjà aux Romains ? J’avoue que je n’entends rien à cette grammaire. Mais pourquoi n’intentait-il pas un procès à Paterculus, aussi-bien qu’à ces deux pères de l’Église ? Paterculus, historien aussi flatteur envers Tibère qu’un poëte, ne l’a-t-il pas loué d’avoir réduit l’Arménie sous la puissance du peuple romain ? Redactâ Armeniâ in potestatem populi Romani, regnum ejus Artavasdi tradidit [6]. Ce n’est pas sa seule faute, il a nommé Artavasde celui que Tibère couronna roi d’Arménie, et il fallait le nommer Tigrane.

(E) Tigrane et ses fils... firent place à Artavasde II. ] Les auteurs du Supplément de Moréri n’ont pas été en cet endroit moins fautifs que Moréri même. Je laisse passer ce qu’ils disent, que notre Artavasde était fils d’Artaxias, et par conséquent neveu de Tigrane : il n’est rien dit de cela dans le IIe. livre des Annales de Tacite, le seul auteur qu’ils aient cité. Mais passe pour cela : ils ajoutent que les fils de Tigrane furent nommés rois par Tibère, et qu’Artavasde II, leur cousin, succéda bientôt à la couronne par ordre du même empereur. Tacite, leur témoin unique, les confond, car il dit expressément que tout cela fut fait par Auguste. Il ne dit point avec eux que les Romains aient fait la guerre à cet Artavasde, et qu’ils l’aient enfin détruit : ses paroles sont, non sine clade nostrâ dejectus, qui peuvent signifier le contraire de ce qu’ils disent, savoir : qu’on le chassa malgré les Romains qui le soutenaient, et par la défaite de leurs secours. Voyez l’article d’Artavasde, roi des Mèdes. Enfin ils disent que Tigrane, oncle de notre Artavasde, eut la tête tranchée à Rome sous l’empereur Tibère. C’est une absurdité, car l’installation de Tigrane, oncle, à ce qu’ils prétendent, d’Artavasde II, se fit l’an 734 de Rome, et son règne dura fort peu. Le supplice de Tigrane, sous Tibère, arriva l’an 789 : il faudrait donc, selon ces messieurs, que ce prince détrôné eût survécu à sa chute plus de cinquante ans, et qu’il fût parvenu à une vieillesse que l’historien n’eût pas omise, en parlant de l’indignité de sa mort. Remarquez bien que Tigrane, créé roi d’Arménie en l’an 734, avait été fait prisonnier avec son père par Marc Antoine, en 720, et qu’il était déjà grand [7]. Remarquez aussi que, peu après son couronnement, il maria ses enfans ensemble [8], selon la coutume de ces nations-là. Mais il y a plus, celui que Tibère

  1. Joseph., Antiquitat., lib. XV, cap. V.
  2. Sueton., in Tiberio, cap. IX.
  3. Παρεςήσατο, armis subjugavit, recepit, ad deditionem compulit.
  4. Scalig., in Euseb., pag. 170.
  5. Il le nomme mal Artabaze, à limitation de Dion. Fratre ejus Artabaze, dit-il, regni insessore ab Armeniis occiso.
  6. Paterc., lib. II, cap. XCIV.
  7. Voyez Josephe, lib. XV, cap. V.
  8. Tacit., Annal., lib. II, cap. III.