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ARISTOTE.

à ceux qui voulurent savoir la cause de sa retraite, montre qu’il craignait qu’on ne trouvât contre lui, ou de bonnes preuves, ou de mauvaises : Je n’ai pas voulu être cause que les Athéniens connaissent une seconde injustice contre la philosophie. La première avait été la mort de Socrate. Πρὸς τὸν ἐρόμενον, διὰ τὶ ἀπέλιπε τὰς Ἀθήνας, ἀπεκρίνατο ὅτι οὐ βούλεται Ἀθηναίους δὶς ἐξαμαρτεῖν εἰς ϕιλοσοϕίαν· τὸ περὶ Σωκράτην πάθος αἰνιττόμενος, καὶ τὸν καθ᾽ ἑαυτὸν κίνδυνον[1]. Interroganti cur reliquisset Athenas respondit, quoniàm noluisset committere ut Athenienses bis peccarent in philosophiam ; obscurè Socratis mortem innuens, et suum periculum. Il se servit d’un vers d’Homère, pour signifier qu’il ne faisait pas bon demeurer dans une ville où la race des délateurs ne décroissait point, les uns succédant aux autres à point nommé. On pourrait croire qu’il se sentait coupable d’avoir offensé personnellement, par quelque trait de raillerie, le prêtre de Cérès Eurymédon[2] et que ce fut ce qui réveilla le zèle du personnage qui avait laissé vingt ans en repos la prétendue impiété de l’hymne. Or, il était plus dangereux d’offenser ces messieurs-là en leur personne, que de les offenser en la personne de leurs dieux. Voyez la remarque (R), où nous dirons ce qu’ont pensé quelques auteurs touchant la cause de la fuite d’Aristote. J’ai dit sur la fin de l’article qu’Hésychius assure qu’on l’avait effectivement condamné et exécuté dans Athènes. Je n’use point d’hyperbole dans l’expression de vingt ans, puisqu’Aristote avait enseigné treize ans à Athènes, lorsque le procès d’irréligion l’obligea de se retirer à Chalcis[3]. Il n’était revenu à Athènes qu’après avoir instruit Alexandre, dont il n’était devenu précepteur qu’après la mort d’Hermias.

(H) On lui a donné quelque éloges encore plus forts, etc. ] « Averroës a dit qu’avant qu’Aristote fût né la nature n’était pas entièrement achevée qu’elle a reçu en lui son dernier accomplissement et la perfection de son être ; qu’elle ne saurait plus passer outre que c’est l’extrémité de ses forces et la borne de l’intelligence humaine. Un autre philosophe a enchéri sur Averroës et a dit depuis, qu’Aristote était une seconde nature. » Ces paroles sont de Balzac à la page 459 des Discours qui ont été imprimés à la suite de son Socrate chrétien. Cela me fait souvenir des scrupules d’un auteur qui, voyant que la nature elle-même souscrit aux imaginations d’Aristote, n’oserait douter de ce qu’il a dit : Rectè et hoc Aristoteles ut cætera ; nec possum non assentiri viro, cujus inventis nec ipsa natura dissentit[4]. Un théologien espagnol prétend que la portée de l’esprit de l’homme ne va pas jusqu’à pouvoir pénétrer, sans l’assistance particulière d’un génie les secrets de la nature autant qu’Aristote les a pénétrés[5]. Il croit donc qu’Aristote avait un bon ou un mauvais ange, qui l’instruisait invisiblement de mille choses à quoi l’intelligence humaine ne saurait atteindre. Guillaume, évêque de Paris soutient « en beaucoup d’endroits de ses œuvres[6], que ce philosophe tenait pour conseiller de toutes ses actions un esprit qu’il avait fait descendre de la sphère de Vénus, par le sacrifice d’un agneau enchevêtré, et quelques autres cérémonies. » D’autres ont dit qu’il n’avait pas eu besoin de tels secours. C’était « l’opinion du célèbre théologien Henri de Assia[7] qu’Aristote avait pu s’acquérir naturellement une aussi parfaite connaissance de la théologie, que celle qui fut découverte à notre premier père lorsqu’il s’endormit au paradis terrestre[8] ou à saint

  1. Ælian., lib. III, capite XXXVI. Vide etiam Ammonium, in Vitâ Aristot. Origenes contra Celsum, lib. I, Diogenes Laërtius, in Arist., num. 9.
  2. Diog. Laërtius, in Vitâ Aristot., num. 8.
  3. Ammon., in ejus Vitâ.
  4. Macrobius, Saturn., lib. VIII, cap. VI.
  5. Medina, in Thom. Aquin. I. Secundæ Quæst. CIX, art. I, cité par Naudé, Apolog. des grands Hommes, pag. 327.
  6. De Universo Spiritu, part. I, cap. XCII, CLIII, et II part., cap. VI, cité par Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 328.
  7. Apud Sibillam I, Decade peregrin., Quæst. cap. VIII, Qu. I, Quæstiunculâ IV, cité par Naudé, apologie des Grands Hommes, pag. 319.
  8. Voyez ci-dessus la citation (11) de l’article d’Adam.