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ARISTOTE.

peuvent être mieux excusés que les docteurs ; car soit que les membres des parlemens fussent persuadés, comme il y a beaucoup d’apparence, que cette philosophie était la meilleure de toutes, soit qu’ils ne le crussent pas, le bien public a pu les porter à proscrire les nouveaux dogmes, de peur que les divisions académiques ne répandissent leurs malignes influences sur la tranquillité de l’état. Ce qui doit donc étonner le plus les hommes sages, c’est que les professeurs se soient si furieusement entêtés des hypothèses philosophiques d’Aristote. Si l’on avait eu cette prévention pour sa Poétique et pour sa Rhétorique, il y aurait moins de sujet de s’étonner ; mais on s’est entêté du plus faible de ses ouvrages, je veux dire de sa Logique et de sa Physique (M). Il faut rendre cette justice, à ses plus aveugles sectateurs, qu’ils l’ont abandonné dans les choses où il a choqué le christianisme (N). Ces choses sont de la dernière conséquence, puisqu’il a soutenu l’éternité de l’univers, et qu’il n’a point cru que la providence s’étendit sur les êtres sublunaires. Pour l’immortalité de l’âme, on ne sait pas bien s’il l’a reconnue (O). Nous rapporterons en quelque autre lieu les longues disputes qui ont régné dans l’Italie sur ce point de fait. Le célèbre capucin Valérien Magni publia un ouvrage de l’athéisme d’Aristote, l’an 1647. Il y avait alors cent trente ans que Marc-Antoine Vénérius avait publié une Philosophie qui montre plusieurs contrariétés entre les dogmes d’Aristote et les vérités de la religion. Campanella soutint la même chose dans son livre de Reductione ad Religionem qui fut approuvé à Rome, l’an 1630. On a soutenu en Hollande, depuis peu dans la préface de quelques livres, que la doctrine de ce philosophe ne diffère pas beaucoup du spinozisme[a]. Cependant, si l’on en veut croire quelques péripatéticiens, il n’ignorait pas le mystère de la Trinité (P), il fit une belle mort, (Q), et il jouit de la félicité éternelle (R). Il composa un très-grand nombre de livres, dont une assez bonne partie est parvenue jusqu’à nous. Il est vrai que certains critiques forment mille doutes sur cela. Nous parlons des aventures de ces livres dans les remarques sur l’article Tyrannion[b]. Il fut extrêmement honoré dans sa patrie (S) ; et il y a eu des hérétiques qui vénéraient son image conjointement avec celle de Jésus-Christ. Je n’ai point trouvé que les antinomiens portassent plus de respect à ce sage païen, qu’à la sagesse incréée (T), ni que les aëtiens aient été excommuniés, parce qu’ils donnaient à leurs disciples les Catégories d’Aristote pour catéchisme[c] ; mais j’ai bien lu quelque part, qu’avant la réformation, il y a eu des églises en Allemagne, où l’on lisait au peuple tous les dimanches la Morale d’Aristote, au lieu de l’Évangile (V). Il n’y a guère de

  1. Hassel, dans la préface de l’Anti-Spinoza, de Wittichius, imprimé l’an 1690 et dans la préface de l’Investigatio Epistolæ ad Hebræos du même, imprimée l’an 1691.
  2. Voyez ci-dessus les remarques (B) (C) et (D) de l’article Andronicus.
  3. Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 392.