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ANTINOUS.

ples, qu’il lui ordonna des prêtres et des jeux sacrés [1], et qu’il lui consacra des mystères [2]. Pausanias dit que la religion d’Antinoüs fut établie à Mantinée, avec un soin tout particulier de cet empereur, à cause que la patrie d’Antinoüs était une colonie de Mantinée [3]. On y célébrait des jeux, tous les cinq ans, en l’honneur de ce favori ; mais pour les mystères qui lui étaient consacrés, on les célébrait tous les ans. Ceux qui appuient sur ce qu’il y a eu des prêtres d’Antinoüs qui prenaient la qualité de prophètes, ceux, dis-je, qui appuient sur cela, et qui en tirent la raison de ce qu’il avait un oracle, cherchent des mystères où il n’y en a point [4]. Ces prophètes étaient les prêtres qu’Antinoüs avait en Égypte dans la ville qui portait son nom [5] ; ville qui était église mère, et chef d’ordre, dans cette nouvelle religion [6]. Or, dans les colléges des prêtres d’Égypte, on nommait prophètes ceux qui étaient comme les doyens et les chefs. Voyez les preuves que le docte Henri de Valois en apporte dans ses notes sur Eusèbe [7] On a une inscription, dans laquelle Antinoüs est placé sur le même trône que les dieux d’Égypte : σύνθρονος τῶν ἐν Αἰγύπτῳ Θεῶν [8]. La dignité d’assesseur des dieux était de beaucoup inférieure à celle-là. Je ne dissimulerai point que le philosophe Celsus avance que les Égyptiens ne souffriraient pas que l’on égalât Antinoüs à Jupiter et à Apollon [9]. Origène soutient le contraire ; mais j’avoue qu’il le dit sans preuve, et que je n’entends point son raisonnement.

(B) Quelques-uns disent qu’il mourut pour Hadrien. ] Hadrien ne disait point cela ; mais Dion n’a nul égard à l’histoire de cet empereur, où il avait lu qu’Antinoüs était tombé dans le Nil et s’y était noyé. Il donne pour un fait constant, qu’une opération magique à laquelle Hadrien faisait travailler, demanda que quelqu’un livrât son âme volontairement et qu’Antinoüs accepta cette condition. L’abréviateur Xiphilin nous a dérobé apparemment quelques circonstances qui éclaircissaient un peu ce mystère ; car il n’est point vraisemblable que Dion Cassius ait rapporté une telle chose d’une manière si coupée, ou plutôt si étranglée. Quoi qu’il en soit, on ne peut conclure de la narration de Xiphilin, qu’Antinoüs ait donné sa vie pour sauver ou pour prolonger celle d’Hadrien. On en doit plutôt conclure qu’il la donna, afin que, par l’inspection de ses entrailles, les devins pussent connaître l’avenir que cet empereur cherchait. Et qu’on ne me dise pas, avec un de nos antiquaires [10], que si ce n’eust esté que la seule curiosité de voir des entrailles d’un garçon pour un effet de devination, il n’estoit pas nécessaire d’exposer à cette espreuve celui qu’il aimoit le plus de tous les humains ; il y avoit assez d’autres enfans d’exquise beauté en tout ce grand empire (si la beauté y servoit [11]) qui eussent peu estre employez à cet infâme mystère : qu’on ne me fasse point, dis-je, cette objection ; car cet écrivain en a reconnu lui-même la nullité, en ajoutant tout aussitôt ces paroles : il se pouvoit faire néanmoins que le secret de cet art nécromantique requeroit que fust lui, comme son mieux aimé, qui fust sacrifié pour rendre le sacrifice plus efficace. Il devait ajouter ce que Dion dit nommément, qu’il fallait une victime volontaire : or, les autres jeunes enfans que l’empereur eût destinés à ce sacrifice, ne s’y fussent pas soumis de bon gré. Croyez-vous qu’il ne fallût pas faire une horrible violence à ces beaux enfans qu’Héliogabale livrait à ses magiciens ? Cœdit et humanas hostias, lectis ad hoc pueris nobilibus et decoris per omnem Italiam patrimis et matrimis, credo ut major esset utrique parenti dolor. Omne deniquè magorum genus aderat illi operabaturque quotidiè hortante illo, et gratias diis agente quòd amicos eorum invenisset, quùm

  1. Hegesippus, apud Eusebium, Histor. Ecclesiasticæ lib. IV, cap. VIII.
  2. Pausan., lib. VIII, pag. 244.
  3. Id., ibid.
  4. Voyez Casaubon, et Saumaise, sur Spart. Vit. Adrian., pag. 137, 143.
  5. Heges., apud Euseb. Hist. Eccl., lib. IV, cap. VIII.
  6. Voyez la remarque (D).
  7. Ad cap. VIII, lib. IV.
  8. Vide Spanh., de Numism., pag. 657.
  9. Apud Origen., lib. II, pag. 133.
  10. Tristan, Commentaires historiq., tom. I, pag. 541.
  11. Il ne fallait point parler de cela en doutant. Voyez l’Apologie d’Apulée, pag. 301.