Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
ANTINOUS.

ce pied-là ; mais on ne laissait pas de croire qu’Hadrien les avait forgés [a]. Il fit rebâtir la ville où son mignon était mort, et il ordonna qu’elle portât le nom de ce favori (D). Il était bien aise qu’on lui vînt dire qu’on voyait au ciel un nouvel astre, qui était l’âme d’Antinoüs (E), et il disait lui-même qu’il voyait l’étoile d’Antinoüs [b]. Ce qu’il y a de plus étrange là-dedans n’est pas la complaisance profane que l’on avait pour la faiblesse de ce prince, dont on se moquait d’ailleurs [c] ; mais c’est de voir que, long-temps après sa mort, on ait persévéré dans le culte de cette nouvelle divinité. Ce culte était encore en vogue sous l’empire de Valentinien [d], lorsqu’il ne s’agissait plus de flatter un prince, ni de craindre l’édit exprès qui avait ordonné cette religion [e]. C’était donc par le sot attachement qu’ont les peuples à tout ce qu’ils trouvent établi, que l’on continuait d’adorer Antinoüs. Les pères de l’Église se servirent avantageusement de cette folle superstition, pour faire sentir la vanité de la religion païenne. Il était aisé de remonter jusqu’à la source, à l’égard de cette nouvelle divinité, et puis de rendre suspecte l’origine de toutes les autres. Ils parlèrent diversement d’Antinoüs, selon les temps : ils n’eurent pas l’imprudence de marquer la cause infâme de son apothéose, en s’adressant à Antonin Pius, fils adoptif et successeur d’Hadrien, ou à Marc-Aurèle, adopté par Antonin Pius, selon l’intention d’Hadrien. Ils touchèrent alors délicatement à cette plaie [f] ; mais Tertullien, plus éloigné de ce temps-là, et sous des empereurs qui n’avaient pas le même intérêt à l’affaire, ne garda plus de mesures. Prudence a finement observé, que le mignon d’Hadrien était monté à une condition plus relevée que celle du mignon de Jupiter (F), puisqu’Antinoüs était à table, pendant que Ganymède versait à boire. Il pouvait dire :

....Mediis videor discumbere in astris
Cum Jove, et Iliacâ porrectum sumere dextrâ
Immortale merum [g] ..............


De tout temps les hommes du monde ont fait plus exactement leur cour aux dieux de la terre, qu’aux dieux du ciel. Je ne sais pourquoi M. Moréri débite qu’Hadrien crut Antinoüs changé en fleur et en temple [h], et même qu’il lui fit bâtir un autel. N’est-ce pas dire qu’il ne lui fit point bâtir des temples ? et cela est-il plus vrai que le changement d’Antinoüs en fleur ?

  1. Voyez la remarque (D), à la fin.
  2. Xiphil. in Adriano.
  3. Idem, ibid.
  4. Tristan, Comment. Historiq., pag. 543.
  5. Saint Athanase contre les Gentils, et Théodoret, au VIIe. Discours sacré, cité par Tristan, Comment. Historiq., pag. 543, disent qu’il y eut un édit exprès d’Adrien pour le culte d’Antinoüs.
  6. Justin., Martyr, Apolog. ad Antoninum Pium ; Athenagoras, ad Marcum Imperat.
  7. Statius, Silv. II, lib. IV, vs. 10.
  8. Voyez la remarque (C).

(A) L’empereur Hadrien lui rendit toutes sortes d’honneurs divins. ] Je ne m’arrête point à ce grand nombre de statues ou de simulacres qu’il lui fit faire presque par tout le monde. [1]. Je dis qu’il lui fit bâtir des tem-

  1. Xiphil., in Adriano.