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ANDROMAQUE.

on les prendrait pour des Andromaques ; mais qu’elles paraissaient fort petites par derrière :

Tot premit ordinibus, tot adhuc compagibus altum
Ædificat caput. Andromachen à fronte videbis,
Post minor est [1].


Voilà dans les modes de l’ancienne Rome quelque chose d’approchant de nos fontanges. Un autre poëte s’exprime ainsi :

.....Celsæ procul aspice frontis honores
Suggestumque comæ [2].


La mère des dieux, avec ses tours sur la tête [3], n’y ferait œuvre, si l’on se met une fois à outrer la mode de nos fontanges. Voyez les Amœnitates Theologico-Philologicæ de M. Almeloveen, vous y trouverez [4] une curieuse littérature sur l’antiquité des fontanges. Voyez aussi la remarque (C) de l’article Conecte, et ce passage de Synesius. Μέλλει γὰρ, dit-il [5] en parlant d’une nouvelle mariée, καὶ ἐις τὴς ἠθιοῦσαν ἑϐδόμην ταινιώσεσθαί τε καὶ πυργοϕόρος καθάπερ ἡ Κυϐέλη περιελεύσεσθαι. Quippè etiam in diem septimum sequentem tæniis ornabitur, atque turrita quemadmodùm Cybele circumibit. Mais, pour revenir à l’épouse du grand Hector, je dois dire que Darès le Phrygien l’a ornée de cent bonnes qualités, sans oublier la grande taille : Andromacham, oculis claris, candidam, longam, formosam, modestam, sapientem, pudicam, blandam.

(H) Son dialogue avec Hector, dans le VIe. livre de l’Iliade, est un des meilleurs morceaux de ce poëme. ] C’est le jugement qu’en a fait M. Perrault. Il a mis ce dialogue en vers français ; il lut sa version à l’académie française, quand on y reçut M. l’abbé Fénélon [6]. Cette lecture fut précédée d’un petit discours très-bien tourné : il protesta qu’il reconnaissait Homère pour le plus excellent, le plus vaste et le plus beau génie que la poésie ait jamais eu ; et que, afin de persuader les incrédules qu’il l’honore selon son mérite, il avait traduit en français cet endroit de l’Iliade. Il avoue qu’il en a retranché quelques digressions qui lui semblaient trop languissantes. Voilà le défaut d’Homère : il est trop grand parleur, et trop naïf, grand génie d’ailleurs, et si fécond en belles idées, que, s’il vivait aujourd’hui, il ferait un poëme épique où il ne manquerait rien. Il n’aurait garde de donner à Andromaque, parmi les plaintes qu’elle fait de la mort de son mari, cette réflexion, que le petit Astyanax ne mangerait plus, sur les genoux de son père, la moelle et la graisse des moutons [7]. C’est peindre d’après nature, je l’avoue ; mais aujourd’hui on ne souffre point ces naïvetés dans l’épopée ; nous trouverions cela trop bourgeois, et bon seulement pour la comédie. Je pense que nos comtesses et nos marquises craindraient de parler bourgeoisement si elles disaient comme la reine de Carthage dans Virgile, lib. IV, Æneïd., vs. 328.

........Si quis mihi parvulus aulâ
Luderet Æneas...............


Ce ne sont pas les défauts des anciens poëtes, c’est celui de leur temps : proprement, il n’est pas question si les esprits sont meilleurs dans notre siècle qu’anciennement ; mais si notre siècle possède mieux les idées de la perfection, et si nous pouvons appliquer au grand Homère ce qu’Horace a dit d’un autre :

...................Sed ille,
Si foret hoc nostrum fato dilatus in œvum,
Detereret sibi multa, recideret omne, quod ultra
Perfectum traheretur [8].

(I) Quelques-uns ont fait valoir le soin qu’elle avait des chevaux d’Hector, afin de montrer que les femmes sont obligées de s’employer aux exercices les plus mécaniques du logis. ] Lisez ces paroles de Tiraqueau : Quæ loca Franciscus Barbarus in suo libello de Re uxoriâ, quem apud Gallos imprimendum primi omnium dedi-

  1. Juvenal., Sat. VI, vs. 501.
  2. Stat. Silv. II, lib. I, vs. 113.
  3. ....Qualis Berecynthia mater
    Invehitur curru Phrygias turrita per urbes.
    Virgil., Æneïd., lib. VI, vs. 785.

  4. Pag. 106, et seq.
  5. Synes., Epist. III.
  6. Le 31 de mars 1693. On a imprimé cette version dans la Ire. partie du Recueil de pièces curieuses, à la Haye, chez Moetjens, en 1694.
  7. Voyez ci-dessus, tome Ier. pag. 152, citation (25).
  8. Horat., Sat. X, lib. I, vs. 67.