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l’impression que le platonisme lyonnais ne fut qu’une aspiration vers un idéal qu’on voyait s’éloigner de plus en plus[1].

Une société instruite et luxueuse ne manquera jamais d’avoir sa littérature propre. Il est donc aisé de constater vers 1535 le commencement d’une deuxième période où les lettres lyonnaises se développent d’une façon plus remarquable. La littérature de ce temps, qui finit vers 1540, a un double caractère : la société bourgeoise contente ses besoins littéraires avec des vers français, les humanistes expriment leurs sentiments en mètres latins.

Clément Marot qui passe souvent par Lyon[2], et Mellin de Saint-

  1. Un curieux document nous permet — occasion très rare — d’être témoins d’une conversation de ce temps qui, bien qu’elle soit fictive, nous montre qu’elles furent les relations des deux sexes à Lyon, vers l’année 1520. C’est le prologue des Prouesses de plusieurs rois écrit à cette époque par Pierre Sala. (p.p. G. Guigue, cf. p. 9). — L’auteur se réveille par un beau matin de mai dans l’Anticaille, sa maison de campagne. Comme il ouvre sa fenêtre pour jouir de la vue splendide qu’on a de la montagne de Fourvière, il voit s’approcher trois jeunes dames de ses parentes, accompagnées de leurs suivantes.

    Le temps si doulz, point ne couroit de vent,
    Si sailli hors pour venir au devant
    Les saluer ; et dès qu’elles me virent
    En soubzriant très doulcement me dirent :
    „Où allez-vous, si matin, maintenant ?“
    „Mais vous, dames, ainsi par main tenant
    Qui vous a meu de monter la montagne ?“
    „Les grands pardons que là dessus on gagne,
    Me dit l’une, venez y avec nous
    Et nous viendrons après diner chiez vous.“
    Je accepte de bon cœur la corvée
    Et ma femme qui jà s’estoit levée,
    Très joyeux de ce gentil rencontre
    Nous accourut vistement à l’encontre.

    Les quatre dames vont au sanctuaire de Saint-Irénée ; le poète les attend, surveillant les préparatifs du festin. Le banquet et la joyeuse conversation ne cessent pas avant le soir.

    Après le dîner, les dames se retirent dans la bibliothèque où le volume „des rois“ donne à la plus jeune l’occasion de dire les éloges de François Ier. Elle admire surtout la bravoure héroïque dont il a fait preuve dans la bataille de Marignan

          „Puisque voulez sçavoir,
    „Pourquoi je ris, or sachez, pour tout voir,
    „Que passe-temps n’est nul qui tant me pleze
    „Que d’être en lieu seulette à mon eze
    „Où je puisse lire les faictz et dictz
    „Des rois passez, tant courtoys et hardys,
    „Qui n’eurent peur d’entrer parmi les dards
    „Aussi avant que leurs simples soudards
    „Et voulurent leurs corps habandonner
    „En tous perilz, pour courage donner
    „Aux combattants, comme fist notre roi
    „À Marignan en ce mortel conroy.“

    Les autres dames applaudissent et ajoutent d’autres anecdotes sur la valeur du roi à celles que la première vient de raconter. Elles finissent par prier l’auteur de recueillir tous les récits sur les faits d’armes des rois depuis les temps bibliques jusqu’à l’époque moderne.

  2. cf. le chapitre III.