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dans un chapitre suivant[1] ; elle égayait ses hôtes par des représentations théâtrales très nombreuses. Le vieil idéal de galanterie moyen-âgeuse personnifié par le chevalier sans peur et sans reproche était ressuscité par la lecture de romans de chevalerie ; on faisait donc plus fréquemment des joutes, tournois, combats à la barrière et autres entreprises d’armes à plaisance qu’il ne s’était fait longtemps auparavant… Ces bouhourdis se faisaient par les rues de la ville. Le plus souvent les grandes chevaleries se faisaient dans la rue de la Juiverie, parce que là les chevaliers en queste trouvaient les plus belles et bonnes aventures selon ce qu’ils désiraient[2]. On s’efforçait aussi de captiver la foule des étrangers et des gentilshommes par les charmes d’une société qui commençait déjà à être instruite et galante. Steyert, dans son histoire de Lyon, nous raconte beaucoup de ces fêtes où l’on dansait et où l’on s’entretenait courtoisement. Les demoiselles lyonnaises étaient très aimables ; après le départ des chevaliers il y eut chez elles une singulière épidémie de suicide dont il ne serait pas délicat de rechercher les causes. Charles VIII goûtait si fort le plaisir de leur société qu’il en négligeait même ses devoirs de monarque[3]. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que la cour fût enchantée de ces séjours et aimât à retourner dans la ville hospitalière et gaie, où l’on goûtait si bien les délices et les plaisirs, la grande chère et le merveilleux passetemps[4].

Le luxe des Lyonnais se rendit cependant toujours plus célèbre, et s’augmentait surtout par le riche butin consistant en grande partie en objets d’art apportés d’Italie et revendus sur le marché de Lyon. Un document de l’année 1495 fait mention d’un payement de 1593 livres tournois pour le menaige, voiture et conduire depuis Napples jusqu’en la ville de Lyon de plusieurs tapisseries, librairies, poinctures, pierre de marbre et de porfire et aultres meubles, lesdites choses pezent en tout 87,000 livres ou environ[5]. La vie lyonnaise prit de cette façon un cachet qui différait beaucoup de celui des autres villes de France : les maisons, les vêtements, les objets usuels, tout était fait à la mode italienne, avec

  1. cf. chap. VII.
  2. Relations citée par Thibaut, Marguerite d’Autriche, p. 144.
  3. Brantôme, ed Lalanne, tome IX, p. 471. Aussi les aimait-il fort (les dames de son règne) et les servit bien, voire trop, car tournant de son voyage de Napples très victorieux et glorieux, il s’amusait si fort à les serviir, caresser et leur donner tant de plaisirs à Lyon par les beaux combats et tournois qu’il fit pour l’amour d’elles, que, ne se souvenant point des siens qu’il avait laissés dans ce royaume, les laissa perdre ; et villes et royaume et chasteaux tendaient les bras pour avoir secours.
  4. Colonia. Hist. litt. de Lyon. t. II. p. 408.
  5. Thibaut, op. cit. p. 144.