Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 3.pdf/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Et voyez, je vous prie, comme ces énigmes étaient claires ! Je prends mes exemples dans la cause. Le ministère public incrimine les Bohémiens[1], le Pèlerinage de Lisette[2], les Souvenirs du Peuple[3], la chambre d’instruction et la chambre d’accusation jugent ces pièces innocentes ; le ministère public incrimine l’Ange Gardien, la chambre d’instruction absout ; la chambre d’accusation réforme sa décision ; même divergence quant à la qualification des délits. Ainsi le ministère public voit dans le livre six textes coupables et cinq délits qualifiés ; les premiers juges, deux textes et trois délits seulement ; les juges d’appel, trois textes et cinq délits ; ainsi voilà un texte que le premier tribunal avait trouvé innocent, et que les seconds ont jugé coupable ; voilà trois textes que le ministère public avait trouvés coupables, et que les juges ont déclarés innocents ; et moi, pauvre libraire, il fallait que je devinasse tout cela ! Je devais être plus éclairé que le ministère public, qui s’est trompé, que les magistrats, qui ne sont point d’accord entre eux ! Non, non, par cela seul que l’accusation ne nous attaque qu’avec des interprétations, des sens détournés, l’absolution du libraire est infaillible, à moins qu’on ne prétende le réduire à la condition du lièvre de la fable.


Un lièvre apercevant l’ombre de ses oreilles,
            Craignit que quelque inquisiteur
N’allât interpréter a cornes leur longueur,
Ne les soutint en tout à des cornes pareilles.


Et lorsqu’on lui représente que ses oreilles sont des oreilles, non des cornes :

  1. Tome II, page 313.
  2. Ibid., page 293.
  3. Ibid., page 317.