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chose, et il n’est rien [1] ». Car, en comparaison de l’homme spirituel qui sait que c’est par la grâce de Dieu qu’il est ce qu’il est, celui qui s’abandonne à de vains sentiments de lui-même n’est rien. Ainsi on peut très-bien entendre que, dans ces paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera », Notre-Seigneur, par ces mots, « quelque chose », a voulu parler, non pas de toute sorte de choses, mais de quelque chose dont on ne puisse dire que ce n’est rien en comparaison de la vie éternelle. Ce qui suit : « Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom », peut s’entendre de deux manières. Ou bien vous n’avez pas demandé en mon nom, parce que vous n’avez pas connu mon nom comme il doit être connu ; ou bien vous n’avez rien demandé, parce qu’en comparaison de ce que vous deviez demander, ce que vous avez demandé doit être regardé comme rien. Aussi, pour les exciter à demander en son nom, non pas rien, mais une joie pleine (car s’ils demandent autre chose, cette autre chose n’est rien), il leur dit : « Demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit pleine » ; c’est-à-dire, demandez en mon nom que votre joie soit pleine, et vous le recevrez. Car les saints qui demandent avec persévérance ce bien-là, la miséricorde divine ne les trompera pas.
3. Notre-Seigneur continue : « Je vous ai dit ces choses en paraboles : l’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père ». Je pourrais dire que cette heure dont parle Notre-Seigneur doit s’entendre du siècle futur, où nous verrons ouvertement ce que l’apôtre Paul appelle face à face ; ainsi ces mots : « Je vous ai dit ces choses en paraboles », semblent n’être autre chose que ce que dit le même Apôtre : « Nous voyons maintenant par miroir en énigme[2]. Je vous parlerai ouvertement », parce que c’est par le Fils que le Père se fera voir, selon ce qu’il dit lui-même ailleurs : « Et personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui auquel le Fils voudra le révéler[3] ». Mais ce sens paraît opposé à ce qui suit : « En ce jour vous demanderez en mon nom ». Car dans le siècle futur, quand nous serons arrivés à ce royaume, où nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est [4], que pourrons-nous demander, puisqu’au milieu de tous les biens nos désirs seront satisfaits [5] ? C’est pourquoi il est dit dans un autre psaume : « Je serai rassasié, quand votre gloire paraîtra [6] ». Une demande, en effet, est la preuve d’une certaine indigence ; or, nulle indigence ne peut exister là où il y aura satiété complète.
4. Autant que je puis m’en rapporter à mon jugement, il n’y a donc plus qu’une chose à faire, c’est de croire que Jésus a voulu promettre à ses disciples de les rendre spirituels, de charnels et grossiers qu’ils étaient ; sans les rendre néanmoins tels que nous serons, quand notre corps lui-même sera spiritualisé, mais en les rendant tels qu’était celui qui disait : « Nous prêchons la sagesse au milieu des parfaits[7] » ; et encore : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels[8] » ; et encore : « Nous n’avons pas reçu l’esprit de ce monde, mais l’esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les choses qui nous ont été données par Dieu ; choses que nous annonçons, non avec les doctes paroles de la sagesse humaine, mais avec les doctes paroles de l’esprit : appropriant les choses spirituelles aux spirituels ; car l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu[9] ». L’homme animal ne percevant pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu, tout ce qu’il entend sur la nature de Dieu, il l’entend de telle sorte qu’il ne peut s’imaginer qu’il soit autre chose qu’un corps, aussi grand, aussi étendu que vous voudrez, aussi lumineux, aussi beau que vous le supposez, mais enfin toujours un corps. Toutes les paroles de la Sagesse sur la substance incorporelle et immuable sont donc pour lui des paraboles : non qu’il les regarde comme telles ; mais parce qu’il se fait des idées comme ceux qui entendent les paraboles et ne les comprennent pas. Mais l’homme spirituel commence à juger toutes choses et à n’être jugé par personnes, quoique dans cette vie il voie encore par miroir et en partie, néanmoins, sans l’intermédiaire d’aucun sens du corps et sans le secours de cette imagination qui reçoit ou produit les images des corps, mais bien par la très certaine intelligence de son âme, il comprend que Dieu

  1. Gal. 6, 3
  2. 1 Cor. 13, 12
  3. Mt. 11, 27
  4. 1 Jn. 3, 2
  5. Ps. 102, 5
  6. Id. 16, 15
  7. 1 Cor. 2, 6
  8. Id. 3, 1
  9. Id. 2, 12-15