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que je vous ai dit, vous n’avez pu le comprendre comme des hommes spirituels, mais seulement comme des hommes charnels. « L’homme animal », c’est-à-dire celui qui juge humainement des choses, (il est appelé animal à cause de son âme, et charnel à. cause de son corps, parce que l’homme tout entier se compose d’une âme et d’un corps) ; « l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu[1] ». , c’est-à-dire ce que la croix de Jésus-Christ confère en fait de grâce à ceux qui ont la foi. Car il pense que le seul effet produit par cette croix consiste à nous faire imiter l’exemple du Sauveur, et combattre pour la vérité jusqu’à la mort. En effet, si ces hommes qui ne veulent être que des hommes, savaient que Jésus-Christ crucifié « nous a été donné de Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[2] », assurément ils ne se glorifieraient pas dans un homme, et ils ne diraient pas en hommes charnels : « Moi je suis de Paul, moi je suis d’Apollo, et moi je suis de Céphas » ; mais, en hommes spirituels, ils diraient : « Moi, je suis de Jésus-Christ[3] »
4. Mais ce qui fait encore une difficulté, c’est ce que nous lisons dans l’épître aux Hébreux : « Vous qui devriez être maîtres, depuis le temps qu’on vous parle, vous avez encore besoin qu’on vous enseigne les premiers éléments de la parole de Dieu, et vous êtes devenus tels que vous avez besoin de « lait et non d’une nourriture solide ; car quiconque n’est nourri que de lait, est incapable d’entendre la doctrine de la justice ; car il est encore enfant ; mais la nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l’esprit, par un long exercice, s’est accoutumé à discerner le bien du mal[4] ». Ces paroles de l’Apôtre nous indiquent bien en quoi consiste la nourriture solide des parfaits. Il tient le même langage en écrivant aux Corinthiens : « Nous prêchons la sagesse au milieu des parfaits ». Et pour faire comprendre ce qu’en cet endroit il entend par les parfaits, il ajoute : « Ceux dont l’esprit, par un long exercice, s’est accoutumé à discerner le bien du mal ». Donc ceux dont l’esprit n’est ni assez fort ni assez exercé pour faire cette distinction, à moins qu’ils ne soient retenus comme par le lait de la foi, qui leur fait croire les choses invisibles qu’ils ne voient point et les choses trop élevées qu’ils ne comprennent point, on les entraînera facilement à des fables vaines et sacrilèges, par la promesse de la science : on leur fera croire que le bien et le mal ne sont que des substances corporelles ; que Dieu lui-même n’est qu’un corps et que le mal est une substance : pourtant, le mal est plutôt le défaut qui sépare les substances muables de la substance immuable, laquelle, immuable, souveraine, Dieu en un mot, les a créées de rien. Pour ceux qui croient ces vérités et qui les comprennent, les perçoivent et les savent après y avoir appliqué les sens intérieurs de leur esprit, il n’y a rien à craindre, ils ne se laisseront pas séduire par ceux qui disent que le mal est une substance que Dieu n’a point faite, et qui font de Dieu lui-même une substance changeante tels sont les Manichéens et les autres pestes qui peuvent partager leurs égarements.
5. Pour les faibles d’esprit, que l’Apôtre appelle charnels, qu’il faut nourrir de lait et qui ne saisissent point la doctrine catholique, toute parole tendant à leur faire croire, comprendre et savoir ces vérités, est un insupportable fardeau ; elle les accable plutôt qu’elle ne les nourrit. De là vient que les spirituels ne taisent pas entièrement ces vérités aux charnels, puisqu’il faut prêcher à tous la foi catholique ; cependant ils ne leur en parlent pas d’une manière détaillée ; car, en voulant les introduire dans une intelligence qui est au-dessus d’eux, ils arriveraient à rendre fastidieux leur discours sur la vérité, au lieu de faire saisir la vérité par leur discours. C’est ce qu’a voulu dire l’Apôtre dans son épître aux Colossiens : « Quoique je sois absent de « corps, je suis avec vous en esprit, me réjouissant et voyant l’ordre qui règne parmi « vous et la fermeté de votre foi en Jésus-Christ [5] ». Et dans celle aux Thessaloniciens : « Nuit et jour », dit-il, « priant de plus en plus afin de voir votre face et de suppléer ce qui manque à votre foi[6] ». De là, il faut conclure qu’en les instruisant pour la première fois, il les avait nourris de lait et non d’une nourriture plus forte ; c’est de ce lait qu’en écrivant aux Hébreux il rappelle la

  1. 1 Cor. 2, 14
  2. Id. 1, 30-31
  3. Id. 12
  4. Héb. 5, 12-14
  5. Col. 2, 5
  6. 1 Thes. 3 10