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mais on les glorifierait en les annonçant.
2. D’abord, votre charité doit le savoir, c’est de Jésus-Christ crucifié que l’Apôtre affirme avoir nourri ces petits enfants comme d’un lait proportionné à leur faiblesse. Or, son corps, qui est véritablement mort après avoir été criblé de blessures, son sang qui s’est échappé de ses plaies, les hommes charnels ne s’en font pas la même idée que les hommes spirituels : pour ceux-là, son humanité n’est encore que du lait ; pour ceux-ci, elle est une nourriture solide ; car, bien qu’à son sujet ils n’en entendent pas plus que les autres, ils y comprennent néanmoins davantage. En chacun l’âme ne perçoit pas d’une manière égale ce que la foi donne à tous dans une égale mesure. Aussi Jésus crucifié et prêché par les Apôtres a-t-il été pour les Juifs un scandale, pour les Gentils une folie, et pour ceux qui étaient appelés soit juifs, soit gentils, la force et la sagesse de Dieu [1]. Pareils à des enfants, les hommes charnels recevaient leurs enseignements uniquement par la foi qu’ils y ajoutaient : les spirituels étant plus capables les considéraient en même temps avec les yeux de leur intelligence. Pour les premiers, c’était une sorte de lait ; pour les autres, c’était une nourriture solide. Non pas que ces vérités aient été prêchées publiquement aux uns, et annoncées secrètement aux autres. Mais ce que tous entendaient également, puisqu’on le leur prêchait en public, chacun le comprenait selon sa capacité particulière. Jésus-Christ a été crucifié et il a répandu son sang pour la rémission des péchés, et cette passion du Fils unique de Dieu nous montre le prix de la grâce divine. Personne donc ne doit se glorifier dans l’homme ; mais comment comprenaient-ils Jésus crucifié, ceux qui disaient : « Moi je suis de Paul[2] ? » Le comprenaient-ils de la même manière que Paul lui-même ? Cet Apôtre disait : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ[3] ! » De Jésus-Christ crucifié il tirait donc une nourriture solide pour lui-même et selon sa capacité, et il nourrissait les Galates d’un lait proportionné à leur faiblesse. Enfin, il savait que ce qu’il écrivait aux Corinthiens pourrait être compris d’une manière par les spirituels, par les plus capables, et d’une autre par ceux qui étaient plus faibles ; aussi leur dit-il, « Si quelqu’un parmi vous pense être prophète ou spirituel, qu’il reconnaisse que ce que je vous écris est le commandement du Seigneur. Mais si quelqu’un veut l’ignorer, il sera ignoré lui-même[4] ». Il voulait donc que la science des spirituels fût solide et qu’ils eussent non seulement la foi, mais encore une connaissance certaine. Ainsi les hommes charnels croyaient les mêmes choses que les spirituels, sans en avoir, comme eux, l’intelligence. « Celui qui l’ignore », dit-il, « sera ignoré » ; parce qu’il ne lui a pas encore été donné de comprendre ce qu’il croit. Lorsque pareille chose arrive dans l’âme de l’homme, on dit que cet homme est connu de Dieu, parce que Dieu lui fait la grâce de le connaître, ainsi qu’il est dit ailleurs : « Mais maintenant connaissant Dieu, ou plutôt connu par Dieu [5] ». Car ce n’est pas d’alors que Dieu les connaissait, puisqu’il les avait connus et élus avant la création du monde [6]; mais alors il se faisait connaître d’eux.
3. Nous le savons donc déjà, les vérités que les spirituels et les charnels entendent en même temps, ils les prennent chacun selon sa capacité, ceux-ci comme des petits enfants, ceux-là comme des hommes faits ; ceux-ci comme un lait qui les nourrit, ceux-là comme un aliment solide ; il n’y a, par conséquent, aucune nécessité de tenir secrètes quelques parties de la doctrine et de les cacher aux fidèles peu avancés, pour les faire connaître exclusivement à ceux qui sont plus grands, c’est-à-dire plus avancés. N’allez pas croire qu’il faille agir ainsi à cause de ce que dit l’Apôtre : « Je n’ai pu vous parler comme à des spirituels, mais comme à des charnels ». En effet, s’il a dit de lui-même qu’il ne savait parmi eux que Jésus, et Jésus crucifié[7], il n’a pu le leur dire comme à des hommes spirituels ; il l’a dit comme à des hommes charnels, parce qu’ils ne pouvaient le comprendre en hommes spirituels. Mais tous ceux d’entre eux qui étaient des hommes spirituels, saisissaient avec une intelligence spirituelle ce que les autres entendaient comme hommes charnels. Aussi, lorsqu’il dit : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels », il faut entendre ces paroles en ce sens : Ce

  1. 1 Cor. 1, 23-24
  2. Id. 12
  3. Gal. 6, 14
  4. 1 Cor. 14, 37-38
  5. Gal. 4, 9
  6. Eph. 1, 4
  7. 1 Cor. 2, 2