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et se moquer comme d’une sottise de la foi aux choses vraies que doivent croire les enfants.

5. Mais, dira quelqu’un, n’y a-t-il pas certains points de doctrine que les hommes spirituels taisent aux hommes charnels, et qu’ils enseignent aux hommes spirituels ? Si je réponds non, aussitôt on m’objectera les paroles que nous lisons dans l’épître de l’apôtre Paul aux Corinthiens : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes encore charnels. Comme à de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, et non une nourriture plus solide. Car vous ne pouviez pas la supporter. À présent même vous ne le pouvez pas encore, car vous êtes encore charnels [1] ». On m’objectera aussi ce passage : « Nous prêchons la sagesse au milieu « des parfaits » ; et cet autre : « Aux hommes spirituels nous donnons les choses spirituelles ; mais l’homme animal ne conçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ; c’est pour lui une folie[2] ». Quoi qu’il en soit, il ne faut point profiter non plus de ces paroles de l’Apôtre, pour chercher des mystères sous les nouveautés profanes des mots ; on ne doit pas dire que les hommes charnels ne peuvent porter ce que tout homme chaste d’esprit et de corps doit éviter : c’est ce qu’il nous faudra, si Dieu nous l’accorde, montrer dans un autre discours, car il est grand temps de terminer celui-ci.

QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME TRAITÉ.

SUR LA MÊME LEÇON.

LAIT ET ALIMENTS SOLIDES.

L’enseignement catholique est le même pour tous, mais tous ne le saisissent pas de la même manière ; les uns le comprennent mieux, les autres ne le comprennent pas aussi parfaitement. Ce que les uns comprennent s’appelle la nourriture des spirituels, des parfaits : ce que les autres ne comprennent guère se nomme le lait des enfants, des charnels ; à ce défaut d’intelligence, ils suppléent par la foi. On leur dit des choses relevées pour leur prêcher la croyance Catholique, mais on ne peut s’y appesantir dans la crainte de les surcharger, tandis qu’aux spirituels on peut en parler à l’aise. Il n’y a donc aucune opposition entre un enseignement moins haut et une doctrine plus élevée, si tous deux restent conformes à la foi ce à quoi il faut faire attention de part et d’autre.

1. De ce passage où Notre-Seigneur dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », est née une difficulté sérieuse que je me souviens d’avoir remise, pour la traiter plus à loisir ; car la longueur de mon précédent discours m’avait obligé de le terminer là. C’est donc le moment de tenir ma promesse : je tâcherai de le faire comme Dieu m’en fera la grâce, puisqu’il a mis dans mon cœur la pensée de l’entreprendre. Voici la question Les hommes spirituels ont-ils dans leur doctrine des maximes qu’ils cachent aux hommes charnels et qu’ils découvrent aux hommes spirituels ? Si nous disons : ils n’en ont point ; on nous répondra : Que signifie donc ce que disait l’Apôtre dans son épître aux Corinthiens : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels ; mais comme à de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait et non une nourriture plus forte ; car vous ne pouviez encore les supporter ; et même maintenant vous ne le pouvez pas, car vous êtes encore charnels [3] ? » Si, au contraire, nous répondons oui, il est à craindre et il faudrait y prendre garde, qu’on en prenne occasion d’enseigner en secret des choses mauvaises ; sous le nom de spirituelles on les ferait passer pour des choses placées bien au-dessus des hommes charnels, et, par ce moyen, non seulement on les justifierait,

  1. 1 Cor. 3, 1-2
  2. Id. 2, 6, 13-14
  3. 1 Cor. 3, 1, 2