Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/751

Cette page n’a pas encore été corrigée

chez le Christ, l’estomac a été percé d’un coup de lance, et du sang et de l’eau en ont coulé pour le salut des croyants. Dieu avait imprimé la beauté et placé une chevelure sur la tête d’Adam ; celle du Christ a été dérisoirement couronnée d’épines. Sur le visage du premier homme venaient se peindre toutes les impressions subies par les différents membres chargés de pourvoir à tous ses besoins : celui du Christ a été couvert de sales crachats et de soufflets donnés à la sourdine. Le diable avait poussé Adam à l’adorer, et, par conséquent, à se soumettre à lui et à courber le dos devant son nouveau maître : Pilate a fait déchirer le dos du Christ à coups de verges. Le Sauveur n’a voulu laisser aucun de ses membres à l’abri des tortures de sa passion, parce que, sous l’influence du démon, ceux d’Adam ne s’étaient nourris que des coupables convoitises des passions. Notre premier père a traversé les délicieux ombrages de la forêt ; et notre Rédempteur, les cruelles tortures de sa passion. À tout cela qu’ajouterai-je ? Dans le Paradis, trois personnages, Adam, Eve, le démon ; sur le Calvaire, trois autres, le Christ et deux larrons élevés eu croix, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Adam représentait le Christ, Eve le larron converti, le diable le larron impénitent et damné. Le jardin est devenu le théâtre du premier péché ; c’est sur la croix qu’a été accordé le premier pardon. Le voleur, q ni a criminellement porté la main sur le fruit défendu, a été chassé du Paradis, et le voleur, qui a heureusement enlevé le pardon de Dieu, est entré dans son royaume. Celui-là est sorti du jardin, qui a fait d’un arbre un instrument de mort, et celui-là est entré au ciel, qui a fait d’un arbre l’instrument de son salut. Mais afin de parvenir au royaume des cieux, le larron a fait violence à la puissance divine il en a triomphé, non par sa force physique, mais par l’ardeur de sa foi. Le Sauveur lui-même dit effectivement dans l’Évangile : « Le royaume des cieux souffre violence : les violents seuls le ravissent[1]. » Y a-t-il rien de plus violent qu’un larron ?

6. O la précieuse mine de choses admirables ! Abraham lui-même n’a reçu aucune promesse verbale d’entrer au Paradis : sa foi ne lui a obtenu qu’un héritage terrestre : à aucun patriarche Dieu n’a dit qu’il obtiendrait le Paradis. Examine avec un soin tout particulier, tous les livres de la loi, et tu le verras personne, avant le larron, n’a mérité que le ciel lui fût promis ; non, personne : ni Abraham, ni Isaac, ni Jacob, ni Moïse, ni les Prophètes, ni les Apôtres ; plus privilégié qu’eux tous, le larron seul a obtenu cette faveur. Écoute cette parole dit Christ, qui n’est parvenue qu’à ses seules oreilles : « En vérité, en vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis[2] ». Pour Abraham, Dieu l’appela, disant : « Sors de ton pays et de ta famille[3] ». Mais au lieu de lui dire : Aujourd’hui tu auras en partage le Paradis, il s’exprima ainsi : « Tu viendras dans la contrée que je te montrerai[4] ». Isaac s’est montré obéissant à l’égard de son père jusqu’à s’offrir comme victime à ses coups : pour toute récompense, il est devenu la figure du Christ. Après avoir lutté contre un ange revêtu d’une forme humaine, Jacob a affirmé avoir vu Dieu : « J’ai vu », dit-il, « le Seigneur face à face, et mon âme a été sauvée[5] ». Quant à Moïse, il a reçu la loi avec la promesse d’hériter des biens ; de la terre ; mais jamais, avant le larron, la promesse du Paradis n’a été faite à personne.

7. Il est donc nécessaire de chercher à savoir pourquoi l’héritage du Paradis a été concédé au larron de préférence à tous ces autres personnages, pourtant si distingués par leur foi. Nous l’avons dit, « Abraham a cru à Dieu[6] » ; mais les conditions dans lesquelles il se trouvait, étaient bien différentes quand il a cru à Dieu, le Seigneur lui parlait du haut du ciel, lui communiquait ses ordres par le ministère des saints anges, et lui donnait, de sa propre personne, connaissance de sa volonté. Isaïe a cru à Dieu, mais Dieu lui apparaissait assis dans le ciel, comme il le dit lui-même : « Je vis Adonaï assis sur un trône haut et élevé[7] ». Ézéchiel a cru à Dieu, mais après l’avoir aperçu au-dessus des Chérubins[8]. Zacharie a cru à Dieu, et il « a dit ceci : Je vis le grand-prêtre Jésus se tenant au-dessus de l’autel du Seigneur[9] ». Les autres Prophètes ont aussi cru à Dieu, mais parce qu’autant qu’il est possible à un homme de voir Dieu, ils le voyaient tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, et qu’il leur parlait. Nous vous l’avons fait remarquer :

  1. Mat. 11, 12
  2. Luc. 23, 13
  3. Gen. 12, 1
  4. Id
  5. Id. 32, 30
  6. Id. 15, 6
  7. Isa. 6, 1
  8. Eze. 10, 4
  9. Zac. 3, 1