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suis devenu malheureux », disait-il, « et courbé à l’excès ; je marche dans la douleur durant tout le jour[1] ». Durant tout le jour ; ces mots indiquent tout le temps qui s’est écoulé avant la venue du Christ : alors le genre humain marchait comme courbé, et il se désolait, car il n’y avait personne pour le redresser ; il était tombé dans l’abîme du péché, et personne n’était là pour lui tendre la main et l’en retirer. C’est pourquoi Notre-Seigneur est venu ; il a rencontré la femme que Satan forçait si bien, depuis dix-huit ans, à marcher courbée, qu’elle ne pouvait plus se redresser ; et, par l’effet de sa puissance divine, il a brisé ses entraves. Cette femme symbolisait la courbature du genre humain tout entier ; et, dans sa personne, notre Sauveur, qui est né aujourd’hui, a brisé les liens dans lesquels le démon nous retenait captifs ; de là nous est venu le pouvoir de regarder le ciel. Après avoir si longtemps marché dans la désolation et traînant dernière nous la chaîne de nos infortunes, recevons avec empressement le médecin qui vient aujourd’hui nous secourir, et tressaillons d’allégresse.

3. Oui, réjouissons-nous, frères[2].

VINGT-DEUXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. II

ANALYSE. —1. Les anéantissements et les grandeurs du Christ Dieu et homme. —2. Le bienheureux docteur continue le développement de sa pensée. —3. De la trinité et de l’unité en Dieu. —5. Épilogue.

1. Tous les dialecticiens, à beaucoup près, ne considèrent pas les humiliations du Sauveur comme un motif de devenir hérétiques ; au contraire, ils y trouvent des causes qui les portent à rendre gloire à Dieu, car si le Christ s’est fait homme, s’il est né dans le temps de la Vierge Marie ; s’il a vêtu sur la terre avant tous les siècles, il était Dieu et il a été engendré de Dieu. Toute ton attention, ô hérétique, se porte donc sur les anéantissements du Sauveur, et ils t’empêchent d’apercevoir sa glorieuse divinité. Après avoir lu ces paroles : « Mon Père est plus grand que moi[3] », lis donc aussi ces autres : « Mon Père et moi, nous sommes un[4] », et alors tu reconnaîtras que son humanité est la cause de son infériorité, mais aussi tu comprendras qu’il est Dieu et égal à son Père. Tu vois en lui un nouveau-né enveloppé de langes, et tu n’aperçois pas les légions d’anges qui l’environnent ? Tu le vois petit enfant, fuyant en Égypte, et tu ne remarques pas que les anges lui préparent le chemin et préservent de tout péril son aller et son retour ? Devenu homme, il s’approche de Jean pour recevoir de sa main le baptême, tu vois cela et tu ne vois pas que les cieux s’ouvrent au-dessus de lui, et qu’au lieu de recevoir la grâce qui sanctifie, il la confère ? Enfin, le Père se fait entendre du haut des nues ; le Saint-Esprit descend corporellement sous la forme d’une colombe : ainsi la sainte Trinité tout entière vient consacrer le mystère du baptême, et le Père déclare lui-même que le Christ est vraiment son Fils.

2. En lui tu vois l’homme tenté par trois fois, et tu ne remarques pas le Dieu qui a triomphé des tentations du démon ? Tu vois l’homme qui a faim, et tu ne remarques pas les anges qui lui apportent à manger ? Tu le vois exposé aux tempêtes de la mer, et tu ne

  1. Psa. 37, 7
  2. Voir la suite au tom. 7, page 131.
  3. Jn. 14, 28.
  4. Id. 10, 30.