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les mains d’une adultère, précipitons-nous dehors ; avec le jeune homme de l’Évangile laissant là le suaire, suivons le Seigneur sans considérer même de quelle manière nous sommes vêtus, et marchons pendant trois jours pour nous rendre dans le désert et pour y sacrifier à notre Dieu. Cette voie par laquelle il nous est ordonné de nous rendre dans la solitude, c’est précisément le Christ, qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie[1] » ; et ailleurs : « Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi »[2]. Il faut donc marcher dans cette voie, non point par des mouvements corporels, mais par des désirs intérieurs, afin de parvenir à la solitude de l’esprit et au repos de la conscience. Car la connaissance de la loi divine s’acquiert et se perfectionne dans le repos et le silence. Aussi longtemps que le bruit tumultueux du péché frappe nos oreilles, aussi longtemps que la tempête et l’ouragan du vice font éclater au-dessus de nos têtes la voix formidable de son tonnerre, nous n’approchons point de la solitude ; mais lorsque, cet horrible tumulte ayant cessé, nous jouissons de la paix et de la tranquillité de la vertu, c’est alors seulement que nous pouvons offrir à Dieu un sacrifice de louanges. Or, on ne parvient à cette bienheureuse solitude que par trois étapes. Par la première de ces étapes, l’âme fidèle entre dans le jardin ; par la seconde, elle pénètre dans le cellier rempli de vin ; par la troisième, elle est introduite dans la chambre à coucher du roi. Il faut, en effet, que l’âme, autrefois esclave des plaisirs charnels dont elle aimait à s’enivrer, il faut, dis-je, que cette âme, délivrée de l’Égypte et fatiguée du chemin, trouve d’abord des consolations et des douceurs dans le jardin du Christ ; il faut que ce jardin lui offre des arbres chargés de fruits spirituels et des fleurs exhalant un parfum délicieux de vertu, afin que, grâce à ce puissant réconfort, elle oublie bientôt les jouissances grossières dans lesquelles elle se complaisait et ne recherche plus que les joies et les délices de la vertu. De là cette invitation qui lui est adressée dans les cantiques : « Venez dans mon jardin, ô ma sœur, ô mon épouse[3] ! » À la seconde étape, le roi l’introduit dans le cellier rempli de vin.: Ce cellier n’est pas autre chose que la divine Écriture, dans laquelle se trouve renfermé ce vin spirituel qui enivre l’esprit des fidèles et qui réjouit le cœur de l’homme intérieur. Après donc que l’âme, occupée d’abord à savourer les douceurs sensibles de la vertu, a pu satisfaire complètement cette curiosité, elle pénètre dans ce cellier rempli de vin, elle s’applique à l’étude des saintes Écritures, et la loi de Dieu devient l’objet de ses méditations du jour et de la nuit. De là ces autres paroles du même livre des cantiques : a Le roi m’a introduit dans son cellier au vin[4] ». À la troisième étape, enfin, l’âme entre dans la chambre à coucher du roi. Cette chambre, c’est le sanctuaire de la contemplation, une sorte de tabernacle mystérieux où l’âme médite plus à son aise. Car l’âme fidèle, après que le jardin des vertus l’a détachée de l’amour des choses temporelles et que le cellier rempli de vin l’a initiée à la connaissance des divines Écritures, l’âme fidèle se retire et s’enferme dans la solitude de l’esprit comme dans une chambre secrète, et là, s’enflammant des feux du divin amour par la méditation assidue des vérités éternelles, elle contemple et adore son Père comme sur une montagne inaccessible à tout profane, et offre à Dieu un sacrifice de louange.

5. Vous donc, ô mes bien-aimés, vous qui êtes de vrais Israélites, non point par un effet de votre génération charnelle, ni par suite d’une circoncision faite dans votre chair, mais par l’effet de votre fidèle observation des commandements de Dieu, fuyez l’Égypte, à l’exemple de vos ancêtres d’autrefois, secouez le joug de Pharaon, renoncez aux ouvrages de terre et de boue qui vous ont occupés jusqu’ici. Mettez fin à ces relations, à ces conversations avec les Égyptiens, qui vous souillent et vous corrompent ; et, criant avec force vers le Seigneur, venez avec Moïse et Aaron, dégagés de toute entrave et libres de tout fardeau, par une marche de trois jours, c’est-à-dire par de bonnes pensées, par de bonnes paroles, par de bonnes actions, venez au repos et à la solitude de l’esprit, et offrez un sacrifice de dévotion et de louange au Seigneur votre Dieu, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. Jn. 14, 6
  2. Id
  3. Can. 5, 1
  4. Can. 11, 4