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habile aux soins duquel ont recours tous ceux qui ont été blessés dans le combat et qui ont échappé aux périls de la bataille ; car, aussitôt qu’on se réfugie à l’ombre de son toit, la pâleur des âmes blessées disparaît, et toutes les plaies de l’homme intérieur se trouvent parfaitement guéries. Jérémie t’avait aperçue ; quand il disait :« Heureux celui qui attend en silence le salut de Dieu ! Heureux l’homme qui porte le joug dès sa jeunesse ! Il s’assiéra solitaire et il se taira, parce que Dieu a posé ce joug sur lui[1] ». Celui qui t’habite s’élève au-dessus de lui-même. Quand, en effet, une âme affamée s’élève au-dessus des choses de la terre et se suspend à la voûte de la contemplation des choses divines, elle se sépare du monde, elle s’éloigne de ses influences et s’élance dans les régions célestes sur les ailes de ses désirs. Dès lors qu’il cherche à contempler celui qui domine toutes les choses créées, l’homme s’élève au-dessus de lui-même en même temps qu’il s’élève au-dessus de ce bas monde et de ce qu’il renferme.
6. O cellule, séjour vraiment spirituel, où les orgueilleux deviennent humbles, où les gourmands deviennent sobres, où la cruauté se change en dévouement charitable et la colère en douceur, où, enfin, la haine fait place à une affection toute céleste et ardente. La langue oiseuse trouve en toi un frein, et la blanche ceinture de la chasteté y vient serrer les reins que tourmente la luxure. À respirer ton atmosphère, les étourdis reprennent l’habitude de la gravité, les amateurs de plaisanteries renoncent à leurs airs bouffons, et ceux qui parlent trop se renferment sévèrement dans les bornes étroites du silence. Sous ton toit, on triomphe de la fatigue, du jeûne et des veilles, on conserve la patience, on apprend l’innocente simplicité, on ignore complètement la duplicité et la fourberie ; les vagabonds y sont retenus en place par les chaînes du Christ, et ceux dont les mœurs ne connaissent pas de règle mettent un terme à leur dépravation. Tu sais élever les hommes au sommet de la perfection et les conduire jusqu’au faîte de la plus sublime sainteté ; à ton ombre, l’homme devient joyeux et agréable, et l’égalité de son caractère le rend toujours semblable à lui-même. Tu fais de lui une pierre carrée, toute prête à entrer dans la construction de la Jérusalem céleste ; la légèreté de ses mœurs ne l’exposera point à rouler en un autre endroit, mais le poids de ses sentiments sincèrement religieux le tiendra fixement à la même place. Sous ton influence, les hommes étrangers à eux-mêmes rentrent en possession de leur propre personne, et les vertus fleurissent en des vases où l’on n’avait encore vu que des vices. « Tu es noire, mais tu es belle comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon[2]. Tu es le lavoir des brebis tondues[3], tu ressembles aux fontaines d’Hésébon[4] ». Tes yeux sont comme des colombes sur la rive des eaux, lavées dans le lait, et qui habitent les bords des ruisseaux paisibles. Tu es le miroir des âmes ; l’âme humaine s’y contemple à l’aise ; elle y voit parfaitement les défectuosités auxquelles elle doit pourvoir, les superfluités qu’il lui faut retrancher, les obliquités qu’elle doit redresser, les difformités qu’elle doit faire disparaître. Tu es le lit nuptial où se donnent les arrhes de l’Esprit-Saint, où l’âme heureuse fait alliance avec le céleste Époux. Les hommes droits te chérissent, et quiconque s’éloigne de toi se prive de la lumière de la vérité et ne sait plus où diriger ses pas. « Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens pas de toi, si Jérusalem n’est pas toujours ma première joie[5] ! » C’est pour moi un vrai plaisir de m’unir au même Prophète et de te dire encore : « Elle sera mon repos à jamais ; je l’habiterai ; elle est l’objet de tous mes désirs[6] ». « Que tu es belle, que tu es ravissante, délices de mon âme[7] » ! Rachel, qui était grande et belle[8], te préfigurait ; « et Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée[9] ». Tu es la colline des parfums, la fontaine des jardins, le fruit du grenadier. À en juger par ton écorce, ceux qui ne te connaissent pas te croiraient remplie d’amertume ; mais, qu’on pénètre jusqu’au cœur, on y trouvera caché un inépuisable trésor de douceur.
7. O désert, tu nous sers d’abri contre les persécutions du monde ; les travailleurs trouvent en toi leur repos et les âmes leur consolation ; ton ombre tempère les ardeurs du soleil ; chez toi, nous divorçons avec le péché et recouvrons la liberté de nos cœurs ! Écrasé

  1. Lam. 3, 26-28
  2. Can. 1, 4
  3. Id. 4, 2
  4. Id. 7, 4
  5. Psa. 136, 6
  6. Id. 131, 14
  7. Can. 7, 6
  8. Gen. 29, 17
  9. Luc. 10, 41