Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/592

Cette page n’a pas encore été corrigée

3. O mon bien-aimé, touchez donc, oui, touchez mon âme ; cette âme que vous avez créée et choisie pour votre demeure au jour de mon baptême. Mille fois, hélas ! vous avez été honteusement et injurieusement chassé de cette maison qui vous appartenait en propre, et voilà que votre misérable hôtesse vous rappelle à grands cris ; car c’est pour elle le plus grand des malheurs de se trouver privée de vous. Revenez, ô Esprit bon, prenez pitié de cette séditieuse qui vous a chassé de chez elle. Maintenant, ah ! maintenant, elle se rappelle vivement tout le bonheur qu’elle éprouvait à se trouver auprès de vous. Tous les biens lui étaient venus à cause de vous[1] ; sitôt que vous vous êtes retiré d’elle, ses ennemis l’ont dépouillée ; ils ont emporté avec eux tous les trésors que vous lui aviez apportés, et, non contents de l’appauvrir, ils l’ont accablée de coups et de blessures et laissée presque morte[2]. Revenez donc, Seigneur bien-aimé ; descendez à nouveau dans votre maison, avant que votre hôtesse insensée rende le dernier soupir. Aujourd’hui je vois, aujourd’hui je sens combien je suis malheureuse en vivant séparée de vous : je rougis et tombe dans une confusion extrême de ce que vous vous êtes éloigné de moi ; mais les inénarrables faiblesses dont votre absence a été pour moi le principe me forcent à vous rappeler. Précieux gardien, venez dans la maison de votre misérable Marthe, et gardez-la dans la vérité, « pour qu’elle ne s’endorme pas un jour dans la mort et que son ennemi ne dise point : J’ai prévalu contre elle[3] ». Mes oppresseurs triompheront si je suis ébranlée[4]. Mais, avec votre secours, j’espérerai dans votre miséricorde, je m’y attacherai, j’y mettrai ma confiance : en elle sera la part de mon héritage, et, ainsi, je ne craindrai pas ce que peut contre moi un homme mortel[5]. Il vous est impossible de ne pas me faire miséricorde, car la miséricorde vous est consubstantielle. Voyez ma pauvreté, voyez mes pressants besoins, et prenez pitié de moi selon votre infinie grandeur, et non selon mes iniquités. Daigne votre commisération montrer qu’elle est au-dessus de toutes vos œuvres[6]. Que la malice du péché ne prévale pas sur la grandeur de votre bonté. C’est par indulgence que vous dites : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais je veux qu’il se convertisse et qu’il vive[7] ». Car vous voulez la miséricorde et non le sacrifice[8]. Très-généreux bienfaiteur, étendez votre droite, cette sainte main qui n’est jamais vide, qui ne sait point refuser, qui ne cesse de donner à l’indigent : étendez donc, aimable bienfaiteur, étendez cette main toute pleine de vos dons : c’est la main des pauvres. Donnez à votre pauvre, ou plutôt à la pauvreté elle-même, ces armes ou ces trésors qui enrichissent l’indigent sans lui laisser rien à craindre. Achevez, Seigneur, ce que votre bras a commencé[9]. Car, je le vois, si vous nous sauvez, c’est, non pas à cause des œuvres de justice que nous avons faites, mais par votre miséricorde[10]. Donc, très-sainte communication, accordez-moi le don de piété, dont le propre est d’inspirer la douceur, comme aussi de conserver et de rendre celui à qui il a été départi libre de toute attache aux biens de la terre ; ainsi pourrons-nous dire avec l’Apôtre Pierre : « Voilà que nous avons tout abandonné et que nous vous avons suivi[11] ». Dès lors que nous aurons renoncé à ce qui est de ce monde passager, votre esprit secourable nous conduira dans la voie droite[12], jusqu’à la terre des vivants, et par l’affectueuse piété qu’il nous inspirera, il nous introduira dans ce séjour où nous pourrons éternellement jouir de vous pendant la suite sans fin des siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. Luc. 10, 30
  2. Luc. 10, 30
  3. Id.6
  4. Id. 6
  5. Psa. 55, 5
  6. Psa. 144, 9
  7. Eze. 33, 11
  8. Mat. 9, 13
  9. Tit. 3, 5
  10. Tit. 3, 5
  11. Mat. 19, 27
  12. Psa. 142, 10