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observation dans des gorges étroites, sur des chemins ensanglantés, où il avait maintes fois surpris les voyageurs qui marchaient à la recherche de la vérité. N’ayant jamais eu ni le Christ pour roi, ni le Verbe pour habitant, le monde des Gentils se trouvait en entier rempli de bois stériles et de pierres rocailleuses, car autres n’étaient pas ses dieux. Une forêt de vices l’enveloppait de toutes parts ; ses crimes, toujours et partout croissants, formaient autour de lui comme une ceinture de rochers ; couverte des aspérités et des épines de la corruption, la terre faisait mal à voir ; jamais la faux de la loi n’y avait passé ; jamais la charrue du céleste agriculteur n’y avait tracé de droits sillons ; aucune main laborieuse n’y avait jeté la semence de la grâce de Jésus Sauveur, et d’elle on pouvait dire ce qu’avait dit autrefois le Psalmiste : « C’est une terre déserte, sans chemins et sans eaux[1] ». Avant le Christ, il n’y avait en effet, parmi les Gentils, ni sources ni voies ; car les hommes y étaient en proie à la fausseté, à l’erreur ; ils s’y voyaient sans cesse confondus au milieu d’une foule d’opinions toujours incertaines, toujours changeantes ; nulle pluie bienfaisante ne venait éteindre, par ses ondées, l’ardent brasier des crimes publics.
2. Une voix, piquante comme un buisson d’épines, retentit donc en ce désert habité par les Juifs et les Gentils : le héraut du Juge qui allait paraître se présenta, annonçant le Sauveur à l’exemple duquel il devait lui-même mourir, et exhortant les hommes à suivre désormais une règle de vie plus sévère et plus pure. « Préparez la voie du Seigneur », dit-il, « rendez droits ses sentiers : toutes les vallées seront remplies, toutes les montagnes et toutes les collines seront abaissées[2] ». C’est-à-dire : tout homme humble sera exalté, et tout orgueilleux sera brisé ; car « quiconque s’élève sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté[3] ». « Et les sentiers tortueux seront redressés, et les chemins montueux seront aplanis[4] ». En d’autres termes : Tout ce qu’il peut y avoir d’anfractueux et de glissant dans les erreurs semées par le cauteleux serpent, tout ce qu’une nature couverte d’aspérités peut cacher sous sa dure et inégale enveloppe, se verra parfaitement nivelé dans la surface unie d’une voie où l’on ne rencontrera ni pierres ni détours, et d’un sentier où le pied du voyageur se posera sans crainte. « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses sentiers[5] ». Déjà Marie avait conçu du Saint-Esprit ; déjà la Vierge avait grossi, sans avoir néanmoins connu le contact de l’homme, sans que sa pureté eût subi la moindre atteinte ; déjà le char des évangélistes, conduit par tout le monde, suivait la route du siècle qui tombait sous le poids du Dieu dont il était rempli, et ce char faisait entendre les louanges du Christ. La voix précédait le juge, la trompette annonçait le roi, pour attirer le monde, pour fixer l’attention du genre humain tout entier et ouvrir, par ses sons terrifiants et ses graves modulations, les oreilles assourdies des hommes.
3. Comme prêtre, Zacharie se tenait donc près de l’autel : comme père, il refusa de croire à la parole de l’ange qui lui annonçait le héraut du Christ, et aussitôt il fut condamné à se taire. La voix naturelle apprit à connaître le silence, et la vieille langue des Juifs ne se fit plus entendre. Après avoir offert son sacrifice, le prêtre Zacharie revint frappé de mutisme, parce que le véritable Prêtre allait bientôt venir au monde. Chez lui, l’organe de la parole s’endormit dans son lit ; la voix se dessécha, coupée qu’elle était dans sa racine, et, paralysée dans ses inutiles efforts, elle expira : de sa bouche ouverte ne s’échappait aucun son, car la parole, se trouvant interceptée à son passage et retenue dans le noir cachot de sa source, prête à s’épancher, s’éteignait avant de naître. La voix naquit avant le Verbe. Aussi la Judée perdit-elle la parole des pères, et la force de faire entendre une voix nouvelle devint-elle l’apanage du fils, puisque Jean devait se mettre au service du Christ. Pour le père incrédule, qui n’avait point voulu ajouter foi aux prédictions venues d’en haut par l’intermédiaire de Gabriel, sa voix s’était trouvée emprisonnée dans la vaste profondeur de son gosier, et retenue captive dans la ténébreuse solitude de ses entrailles ; mais dès que la mère du Précurseur eut brisé les liens de la nature, dénoué les inextricables nœuds qui tenaient son sein fermé, donné la vie à la voix, Zacharie recouvra la parole. Au moment où cette femme âgée et stérile mettait au monde d’une manière toute nouvelle, la langue du père se

  1. Psa. 62, 3
  2. Luc. 3, 4,5
  3. Id. 14, 11
  4. Id. 3, 5
  5. Luc. 3, 4