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fardeaux » ; ne négligez pas mutuellement vos péchés : quand vous avez assez de confiance, reprenez ; et quand vous n’avez pas une confiance suffisante pour reprendre, avertissez[1] ; et si cela est nécessaire, pour que nul ne soit pécheur, priez, suppliez. Serait-ce vous humilier que vous dire : Suppliez ? Écoutez l’Apôtre : « En vous donnant nos préceptes », dit-il, « nous vous supplions de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu[2] ». Qu’un médecin trouve des forces dans un malade, il le réprimande ; mais si les forces font défaut, s’il craint de le voir défaillir sous l’amertume de la réprimande, il le supplie, le conjure de l’écouter, d’exécuter ses prescriptions, et de vivre. Il est donc constaté que cette parole : « Portez mutuellement vos fardeaux » est un avis pour l’homme spirituel, que l’Apôtre lui dit : « Veille sur toi-même de peur d’être tenté » ; de peur que ce spirituel ne vienne à croire qu’il n’a point lui-même de fardeau qu’un autre soit obligé de porter. Or, écoute-le en face de cette arrogance, de cette enflure, de cet orgueil, écoute-le qui nous répète : « Celui qui se croit quelque chose, se trompe lui-même ; car il n’est rien ». On ne saurait mieux dire que se tromper soi-même. Car il ne faut point tout rejeter sur le diable, puisque souvent l’homme est son diable à soi-même. Pourquoi faut-il éviter le diable ? Parce qu’il te séduit. Mais te séduire toi-même n’est-ce pas être le diable pour toi ? Que dit-il ensuite ? « Que chacun éprouve son œuvre, et alors il aura de la gloire seulement en lui-même, et non dans un autre ». Quand tu fais quelque bonne œuvre, si cette œuvre te plaît, parce qu’un autre te loue ; et que si cet autre ne te louait, tu viendrais à défaillir dans l’accomplissement de cette œuvre parce que l’approbation te manquerait ; alors tu as de la gloire dans un autre, et non en toi-même Qu’il te loue, et tu agis ; mais que la bonne œuvre que tu fais vienne à déplaire à l’insensé, tu ne la fais plus. Ne vois-tu point combien de bouches acclament ces hommes qui se ruinent en faveur des hystrions, sans rien donner aux pauvres ? Les louanges qu’on leur prodigue font-elles donc que leurs actions soient bonnes ? Lève-toi enfin : « La louange du pécheur est dans les désirs de son âme ». Vous applaudissez, parce que vous connaissez les Écritures auxquelles j’emprunte ce témoignage. Qu’ils écoutent, ceux qui ne les connaissent point. L’Écriture a dit, ou plutôt l’Écriture a prédit que « le pécheur est loué sur les désirs de son âme, et que l’on applaudit celui qui fait le mal[3] ». Et maintenant que le pécheur est loué sur les désirs de son âme, que l’on applaudit au mal qu’il fait, cherche les applaudissements. Des coupables désirs te viennent-ils déchirer ? Plonge-toi chaque jour dans l’iniquité et cherche les applaudissements. Crois-moi, tu ne saurais trouver que des adulateurs ou des séducteurs. Comment adulateurs, comment séducteurs ? Je te dois raison de mes paroles. Ils sont adulateurs, parce qu’ils te louent, bien qu’ils sachent que tu fais mal ; mais ceux qui te louent quand tu fais le mal, parce qu’ils croient que tu fais le bien, ne sont point des adulateurs, ils te louent dans leur âme ; mais ils sont des séducteurs, parce que leurs applaudissements répétés sont une séduction pour le mal, et ne te laissent point respirer. Tu te repais alors de vanité, tu crois que c’est lé bien que tu fais ; tu dissipes ton bien, tu ruines ta maison, tu dépouilles tes enfants ; ces louanges t’ont jeté dans le délire ; tu cours, tu gesticules, tu reçois des applaudissements, tu les stimules, tu appauvris ta maison, pour ne recueillir que le vent. Mais, diras-tu, comment sont-ils séducteurs, ceux qui me louent dans leur âme ? Ils sont pour toi des séducteurs, parce que tout d’abord ils se sont séduits eux-mêmes en te trompant. Veux-tu qu’il se fatigue à mettre des échelles auprès de toi, pour ne pas te séduire, cet homme qui s’est d’abord séduit lui-même ? « Donc le pécheur est glorifié selon les désirs de son âme, et l’on applaudit à celui qui fait le mal ». Éloigne de toi ces louanges, évite ces applaudissements, ou plutôt fais le bien. Mais, diras-tu, en faisant le bien je vais déplaire à tel bouillie. Qu’importe, si tu plais à Dieu ? Déplaire à cet homme, et plaire à Dieu, c’est posséder la gloire en toi, et non dans un autre. Toutefois les méchants sont les détracteurs des bons, ceux qui aiment le monde se plaisent à maudire ceux qui le méprisent, ils les outragent et cherchent à les critiquer. Qu’on leur en dise quelque peu de mal, ils le croient aussitôt ; qu’on leur en dise du bien, ils refusent de le croire, et ton cœur se trouble au point de cesser de faire là bien, parce qu’il n’y

  1. 2Co. 7, 4
  2. 2Co. 6, 1, ex Itala
  3. Psa. 9, 24