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nos fardeaux » ; au point de vue de la piété, « chacun portera son fardeau ». Que dis-je ? Nous tous, qui sommes-nous, sinon des hommes, et dès lors des infirmes qui ne sauraient être absolument sans péché ? En cela « nous portons mutuellement nos fardeaux ». Si les péchés de ton père sont une charge pour toi, et les tiens pour lui, c’est une négligence mutuelle, et vous faites vraiment un grand péché. Mais s’il supporte ce que tu ne saurais supporter, et toi ce qu’il ne saurait supporter, alors vous portez mutuellement vos fardeaux, vous accomplissez la loi sacrée de la charité. Cette loi est celle du Christ ; la loi de la charité est la loi du Christ. Car il est venu parce qu’il nous aime, et il n’y avait rien en nous qu’il pût aimer ; son amour nous a fait aimables. Vous avez entendu ce que signifie : « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ ». Que signifie dès lors : « Chacun portera son propre fardeau ? » Chacun rendra compte de ses propres péchés, et nul ne rendra compte des péchés d’un autre. Chacun a sa propre cause, et doit rendre compte à Dieu. Mais les évêques eux-mêmes, qui doivent rendre compte à Jésus-Christ de son troupeau, rendront compte pour leurs propres péchés, s’ils négligent le troupeau du Christ. Donc, mes frères, « si quelqu’un est tombé par surprise dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, qui que vous soyez, dès lors que vous êtes spirituels, ayez soin de le relever dans l’esprit de douceur ». Mais si tu cries au-dehors, aime à l’intérieur ; exhorte, flatte, corrige, sévis ; aime et fais ce que tu voudras. Car un père aime son fils, et toutefois un père, quand il le faut, frappe son fils, lui inflige la douleur, afin de veiller à son salut. C’est donc là « l’esprit de douceur » ; car si tel homme « est tombé par surprise dans quelque péché », et que tu lui dises : Que m’importe ; si je te demande pourquoi ce peu m’importe ? « Parce que, me diras-tu, chacun portera son propre fardeau » ; et moi je répondrai à mon tour : Tu as entendu volontiers, et compris : « Portez mutuellement vos fardeaux. Si donc un homme est tombé par surprise dans le péché », toi qui es spirituel, tu dois le redresser dans l’esprit de douceur. Sans doute il rendra compte de son péché, parce que « chacun portera son propre fardeau » ; mais toi, si tu négliges sa blessure, tu rendras de ton péché de négligence un compte redoutable ; et dès lors, si vous ne portez mutuellement vos fardeaux, vous aurez à rendre un compte terrible, puisque « chacun portera son fardeau ». Faites en sorte de porter mutuellement vos fardeaux, et Dieu vous pardonnera quant au fardeau que chacun doit porter. Si, en effet, tu portes le fardeau d’un autre, quand il est tombé par mégarde dans le péché, de manière à le relever par l’esprit de douceur, tu en viendras à ce passage que tu as entendu : « Chacun portera son propre fardeau » ; et dans ta bonne confiance tu diras au Seigneur : « Remettez-nous nos dettes ». Souvenez-vous donc, mes frères, de ces paroles : « Si un a homme est tombé par surprise dans quelque faute », et ne passons pas légèrement sur cette expression, homme. L’Apôtre pouvait dire : Si quelqu’un est tombé par mégarde, ou : Quiconque sera tombé. Il n’a point dit ainsi, mais il a dit : l’homme. Or, il est bien difficile que l’homme ne tombe point par surprise dans le péché. Qu’est-ce que l’homme, en effet ? Mais ces spirituels, qu’il avertit de redresser avec douceur l’homme qui sera tombé par surprise dans quelque péché, disaient peut-être en leurs cœurs : Portons les fardeaux de ceux qui tombent dans le péché par surprise, parce que nous n’avons en nous rien qu’ils puissent porter. Écoute ces paroles qui t’avertissent de n’être point trop en sûreté. « Vois et surveille-toi, de peur d’être tenté ». Que les spirituels n’en viennent point à l’orgueil et à l’enflure ; et toutefois, s’ils sont véritablement spirituels, ils ne s’élèveront point. Je crains qu’ils ne s’élèvent, tout spirituels qu’ils sont, parce qu’ils sont en cette chair ; toutefois, que l’homme spirituel veille sur lui, de peur d’être tenté. Pour être spirituel, en effet, n’est-il plus un homme ? Pour être spirituel, n’a-t-il plus le corps corruptible qui appesantit l’âme ?[1] Pour être spirituel, est-il à bout de cette vie, qui « est sur la terre une continuelle épreuve[2] ? » Il est donc bien de lui dire : « Veille sur toi, de peur que tu ne sois tenté ». Après les avoir avertis, c’est-à-dire ces hommes spirituels, l’Apôtre nous jette alors cette sentence générale : Portez les « fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ ». Qu’est-ce à dire les uns des autres ? Que l’homme charnel porte le fardeau de l’homme charnel, l’homme spirituel celui du spirituel : « Portez mutuellement vos

  1. Sag. 9, 15
  2. Job. 7, 1, juxta Italam