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VINGT-TROISIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DU PSAUME 145, v.1 : « JE BÉNIRAI LE SEIGNEUR PENDANT MA VIE ; ETC. ».[1]

ANALYSE.—1. La louange de Dieu doit se prolonger au-delà de cette vie.—2. Rien ne dure en cette vie.—3. Que le chrétien ne s’abuse point sur son bonheur passager.—4. Que la fin du riche et de Lazare soit une leçon pour nous.

1. Daigne le Seigneur m’accorder de vous dire un mot sur les paroles du psaume que nous venons de chanter. Nous avons dit en effet : « Je bénirai le Seigneur pendant ma vie, je chanterai mon Dieu tant que je vivrai[2] ». À ces paroles, nous devons un avis à votre charité : c’est de ne point comprendre, quand vous entendez dire, ou que vous dites vous-mêmes : « Je bénirai Dieu tant que je vivrai », qu’après cette vie finira aussi la louange du Seigneur. Nous le bénirons mieux, en réalité, quand nous jouirons de la vie sans fin. Si nous le bénissons, en effet, dans ce pèlerinage qui doit finir, comment le bénirons-nous dans ce palais d’où nous ne sortirons plus ? On dit, on chante, on lit dans un autre psaume : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison ; ils vous béniront dans les siècles des siècles[3] ». Or, quand tu entends « les siècles des siècles », il n’y a aucune fin, et l’on jouit de cette vie bienheureuse, où l’on voit Dieu sans trembler, on l’aime sans l’offenser, on le bénit sans fin. Notre vie alors sera de voir Dieu, de l’aimer, de le bénir. Si donc nous bénissons Dieu quand nous ne le voyons que par la foi, comment le bénirons-nous quand nous le verrons à découvert ? Quelle sera l’allégresse de la claire-vue, si telle est la bénédiction de la foi ? L’Apôtre nous dit en effet : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous marchons loin du Seigneur ; car nous n’allons à lui que par la foi, sans le voir à découvert[4] ». Ici-bas c’est donc la foi, là-haut ce sera la claire-vue. Maintenant nous croyons ce que nous ne voyons pas, alors nous verrons ce que nous aurons cru. Celui qui croit, le fait sans confusion, car il est vrai qu’il verra. Le Seigneur a d’abord établi en nous la foi, afin que si la foi mérite une récompense, on ne1a cherche point avant d’avoir cru.

2. Mais, dira-t-on, pourquoi le psaume dit-il : « Je chanterai mon Dieu tant que je vivrai », et non : Je chanterai mon Dieu éternellement ? Cette expression, en effet : « Tant que je vivrai », semble appeler une fin, bien qu’on ne l’entende pas ainsi. Si tu veux appliquer « tant que je vivrai n à cette vie terrestre, vois si cette vie est bien longue. Quel que soit le nombre des années, la vie est courte. Comment serait longue une vie qui ne te rassasie point ? Un enfant dit que tel homme qu’il voit vieillard a vécu longtemps ; mais que lui-même arrive à l’âge de cet homme, et il sait que ce temps est peu long. Les années s’envolent et les moments se précipitent si rapidement, que c’est avant-hier que nous étions enfants, hier adolescents, aujourd’hui vieillards. Nous sommes donc fondés à croire que ces paroles : « Aussi longtemps que je vivrai je chanterai mon Dieu », ne s’entendent pas de cette vie. Dès lors, en effet, que le Prophète a dit : « Aussi longtemps que je vivrai », on ne saurait l’entendre de cette vie où rien ne dure « longtemps ». Des sages de ce monde ont pu en faire la remarque, et des chrétiens ne le pourraient

  1. Dans le Codex, fol.74, pag.2, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque », sur la brièveté de la vie et son bonheur passager, mis en lumière une seconde fois par l’exemple du riche et de Lazare.
  2. Psa. 145, 1
  3. Id. 83, 5
  4. 2Co. 5, 6-7