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t’inspire de la crainte, c’est le ciel ; si c’est le gardien, c’est le Christ. Comment craindrais-tu de le perdre ? Tel est donc l’usage que Job faisait de ses biens, et dès lors ces œuvres étaient une louange à Dieu, il bénissait Dieu dans les biens qu’il en avait reçus. Car c’est à tort, mes frères, que l’on accuse les richesses. Quand vous voyez de mauvais riches, pensez-vous que, pour cela, les richesses soient mauvaises ? Ce ne sont pas les richesses, mais les riches qui sont mauvais. Quant aux richesses, elles sont un don de Dieu. Mettez-les entre les mains d’un juste, et vous verrez l’usage qu’il en fera. Le vin serait-il donc mauvais parce que tel individu s’enivre ? Donnez-le à l’homme sobre, et il y verra un présent divin. De même, donnez de l’or à l’homme avare, et, pour grossir son bien, il ne reculera devant aucun crime. Donnez de l’or à l’homme juste, au contraire, et voyez comme il fera des aumônes, comme il viendra au secours des autres, comme il soulagera autant qu’il pourra les besoins des autres. Ce ne sont donc point les richesses qui sont mauvaises, mais celui qui en use mal. Job fit de ses richesses un saint usage, ainsi qu’Abraham. Il était bien pauvre sans doute, mes frères, ce mendiant couvert d’ulcères, couché à la porte du riche, et dont les chiens léchaient les plaies. Voilà ce que nous lisons, voilà ce qui est écrit, et néanmoins où fut-il porté ? « Dans le sein d’Abraham[1] ». Compulse les Écritures, vois si cet Abraham fut pauvre sur la terre. Tu verras qu’il possédait beaucoup d’or, beaucoup d’argent, de grands troupeaux, beaucoup d’esclaves, et de grands biens. Le pauvre trouve donc le soulagement au sein du riche. Si la pauvreté lui était un mérite, Abraham ne le précéderait pas au lieu du repos, il ne le recevrait point venant après lui ; mais comme il y avait chez ce pauvre Lazare tout ce qu’on trouvait chez le riche Abraham, c’est-à-dire l’humilité, la piété, le culte de Dieu, l’observance de ses préceptes ; pour l’un, les richesses ne furent point un obstacle, ni pour l’autre la pauvreté ; la piété constitua pour l’un et pour l’autre le vrai mérite. De là vient, mes frères, que, dans ce riche de l’Évangile qui a si tristement changé les rôles, ce, ne sont point ses richesses que l’on blâme, mais son esprit. « Il était revêtu de pourpre et de fin lin, et donnait de grands festins tous les jours[2] ». Et il endurait qu’un mendiant couvert d’ulcères fût couché à sa porte ? Et, dans son orgueilleux mépris, il n’apaisait pas sa faim ? Quelles paroles de mépris contre l’indigent mettrez-vous dans la bouche de ce riche ? Que fait ce mendiant couché à ma porte ! Il était donc bien juste que sa langue souhaitât une goutte d’eau du doigt de ce pauvre qu’il avait méprisé.

6. Donc le saint homme Job, comme je l’ai dit, au milieu de ses richesses, loua Dieu et fut tenté pour être mis à l’épreuve, éprouvé pour devenir un modèle. Il était en effet inconnu aux hommes, et non-seulement aux hommes, mais au diable qui voit de plus près qu’aucun homme. On ne connaissait donc point ce qu’était Job ; mais le Seigneur le connaissait. Il permit au tentateur de l’éprouver, et il voulut cette épreuve non pour lui, mais pour nous donner un modèle à imiter. Car ce n’est point au diable que le Seigneur voulait montrer Job, mais à `nous par le moyen du diable, afin de proposer à notre imitation sa victoire sur le diable. Donc, après avoir tout perdu, non peu à peu, mais tout d’un coup, il s’écria : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté. Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni[3] ». « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ». Ce qui plaît au cœur droit ne peut être dépravé ; ce qui plaît à celui qui est bon ne saurait être mauvais. « Le Dieu d’Israël est bon aux yeux de l’homme au cœur droit ». Job avait le cœur droit et, dès lors, il lui convenait de louer Dieu. « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté. Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ». Sa confession est une louange : « Que le nom du Seigneur soit béni. Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ». C’était alors l’abondance, maintenant c’est la pauvreté. Les biens sont changés pour moi, mais Dieu n’est point changé. Pour moi, je suis tantôt riche, et tantôt pauvre ; mais Dieu est toujours riche, toujours droit, toujours père. « Que le nom du Seigneur soit béni ! » Non pas que le nom du Seigneur ait été béni dans mes richesses, et maudit pendant ma pauvreté. Qu’à Dieu ne plaise ! Voilà ce que disait Job enrichi des biens intérieurs. Toute sa maison était en ruine, mais son cœur regorgeait. Sa

  1. Luc. 16, 22
  2. Luc. 16, 22
  3. Job. 1, 21